En début d'année, il me faut installer des règles stables qui doivent être appliquées tout au long de
l'année pour permettre aux élèves de s'approprier les contenus, d'échanger, d'approfondir...
Rien ne va de soi.
Je mesure le poids des habitudes ancrées au plus profond de chaque élève:
- copier ce que dit le prof,
- écouter de temps en temps,
- ne pas avoir trop de boulot à faire à la maison,
- éventuellement comprendre ce qu'il a dit.
Cette demande est légitime, les élèves veulent un cadre stable et sécurisant
face à l'angoisse suprême ("Vais-je avoir le bac ?").
Mais l'inconvénient majeur de cette pratique est que le contenu du cours est "décoratif" pour une large partie des élèves: peu
d'activités en classe de la part de l'élève, ce qui est déresponsabilisant et donc peu formateur.
Je me suis fixé quelques règles pour tenter d'enrayer ce processus.
Je ne sais pas si elles vont porter leurs fruits, mais je voudrais m'y tenir un certain temps.
Les élèves me connaissent bien, les contacts sont bons, la confiance et le respect mutuel sont partagés (et même une dose d'humour).
Je dois cependant m'améliorer et les faire progresser dans la gestion du temps.
Changement n°1
J'ai établi un calendrier sur l'année scolaire pour donner les principaux moments-clés. Je l'ai donné à chaque
élève.
Il ne s'agit pas de s'enfermer dans des dates précises (que l'on ne tiendra pas), mais de donner des ordres de grandeurs (par exemple: mi-septembre, fin de l'introduction).
J'autorise la classe à me rappeler à l'ordre si le décalage est trop important entre les prévisions et la réalité.
Encore une fois, il ne s'agit pas de stresser, mais d'apprendre à gérer cette contrainte.
Il y a d'ailleurs déjà des élèves qui m'ont dit: "M'sieur, on est bien dans les temps !" "M'sieur, on est en avance, là , non ?"^^
C'est déjà un aspect positif: ils commencent à intégrer cette question de la gestion du temps, il me semble que c'est un peu moins déresponsabilisant pour eux, comme pour moi. Evidemment, si je
suis trop en retard, il faut , moi aussi que j'accepte cette dose de stress que m'infligeront les élèves.
Ce qui est nouveau, ce n'est pas tant le calendrier (tout les enseignants se font leur planning sur l'année), mais le fait de le rendre public et d'autoriser la classe à participer elle-même à
cette gestion du temps.
Je rejoins ce que j'écrivais dans les billets liés à ebay:le contrôle horizontal.
Pourquoi ai-je mis en place cette innovation cette année - et pas les autres années ? On retrouve un aspect essentiel de l'innovation: elle se présente comme un moyen de surmonter des obstacles,
des goulets d'étranglement. Je savais que, pour des raisons professionnelles (stages, formations, colloques...), je serais amené à être absent. Il a donc fallu trouver un moyen de rationnaliser
l'usage de l'espace-temps ^^
Pour le moment, ce changement s'avère très positif (il régule mieux)
Changement n°2:
En début de séance, j'écris au tableau le sommaire du cours .
Par exemple: "1:fin des exercices, 2: la question centrale du cours, 3:le travail à faire.
Je barre, chaque fois que l'activité est terminée.
J'avais assisté à un exposé-débat d'un groupe d'élève qui procédait de la sorte, je trouvais que cela donnait un aspect plus dynamique et structuré.
En tant qu'auditeur, cela me donnait des repères: je visualisait la progression de la séance. Et si, par hasard, j'avais une "absence" (cf: "tiens, mais
il y a une oiseau qui s'est posé sur la branche"), cela permettait de réintégrer le fil directeur.
Autres avantages: cela donne une idée du travail réalisé durant la séance et ce qui reste à faire.
Evidemment, c'est à moi de gérer ce temps de cours: il faut permettre les questions, digressions de la part des élèves (et du prof: n'oubliez pas, je
suis bavard^^).
Le principe est simple: un cadre structuré, mais pas une gestion taylorienne (où chaque activité est
chronométrée).
C'est ce mélange de contrainte et de liberté qui est le plus difficile à doser.
Il m'arrive presque toujours de revoir le déroulement d'un cours lorsque je "sens" que tel aspect ne passe pas, lorsqu'un élève pose une question qui met en jeu des problèmes complexes (et vous
sentez qu'il faut apporter des éléments de réponse).
Avec l'expérience, on arrive beaucoup mieux à maîtriser le synopsis d'un cours. Mais je m'aperçois que plus la classe est nombreuse, plus cette gestion du temps est périlleuse.
Il y a quelques semaines, au cours d'une séance de 2 heures avec les Terminale, nous devions mettre à jour les conditions favorables à la croissance.
Mes objectifs :
- en terme de savoirs: réinvestir un certain nombre de notions acquises en Première.
Certains documents mettaient en avant les valeurs et normes propices à l'augmentation des richesses
(un texte sur Henri Ford et sa modèle T en 1908, un autre sur les jeunes cadres de la Silicon Valley).
D'autres documents portaient sur la construction des canaux au XIX et le financement de la R&D (cela permettaient de renvoyer à la notion de biens collectifs,
d'externalités et d'investissements publics).
Aucun document ne comportait les notions écrites en tant que telles. C'était aux élèves soit de les retrouver, soit de les utiliser dans un raisonnement.
- en termes de savoirs-faire: le travail était en groupe, il faut être capable d'échanger et de justifier sa réponse pour qu'elle soit
validée par le groupe.
De plus, je voulais qu'ils soient capables de formuler une suite d'arguments à la question posée (quelles sont les conditions de la croissance ?) autour de 2 ou 3 points clés.
Ils devaient donc prendre des notes par eux-mêmes et faire une communication orale de leurs recherches.
Comment s'est passé la séance ?
- le travail de groupe: en passant de groupe en groupe, je me rends compte de la richesse des
échanges et des difficultés. C'est vraiment un moment très utile pour mesurer le degré d'appropriation de la part des élèves.
D'abord les difficultés concernant la mise en route ("M'sieur, keski faut faire ?" ^^). Et là je me dis que mes consignes ne sont peut être
pas très claires ou trop nombreuses (ce souvent les 2 défauts à ce niveau).
Plus sérieusement, deux difficultés plus profondes apparaissent dans le travail de recherche.
La première (bien connue) est que les élèves n'utilisent pas les outils intellectuels qu'ils peuvent disposer (ce sont donc bien des savoirs décoratifs).
Ils se contentent de répéter le document.
Pourtant, lorsqu'on met l'accent sur un concept que l'on peut relier à un autre concept, ils y parviennent.
Je ne pense pas qu'il y ait de recettes miracles, mais cette question du lien est vraiment cruciale (surtout chez les élèves qui ont du mal à progresser)
La deuxième difficulté profonde, c'est la perte de sens. Certains récitent le cours, enchainent les idées en passant du coq à l'âne (parce qu'il faut bien produire une réponse) se perdent en
conjectures et oublient que les arguments ne sont là que pour être au service d'une thèse ou d'un sujet.
A chaque fois, je pose la question: "quel est le lien avec le sujet ?"...et quelque fois, le silence est
pesant ^^
Par contre, la richesse des échanges est vraiment étonnante: certains ne sont pas d'accord, le groupe doit trancher, ils s'emploient à utiliser des arguments mais ce n'est pas toujours ("et
vous, M'sieur ?" et je sens dans leur regard l'attente de la révélation ^^).
D'autres trouvent des idées pertinentes auxquelles je n'avais pas songé à priori.
- la restitution finale: là encore, beaucoup de choses à dire.
Certains ne se rendent pas compte du temps qui file (malgré mes interventions de contremaître: "Il vous reste 10 minutes !" ^^).
Ils n'ont pas rassemblé leurs notes, et se lancent dans l'improvisation (comme ils disent, la "tchache") ou se perdent dans les détails (en passant des heures sur un détail et
laissant de côté l'essentiel).
D'autres annoncent un plan et ne le suivent pas (j'ai trouvé 2 conditions favorables à la croissance...mais son traitement en révélera 3).
En mettant en place ces contraintes liées à la gestion du temps, je veux créer de la frustration et des goulets d'étranglement "intellectuels" chez les élèves:
- pour ceux qui ont "plein, plein et plein de choses à dire", ils doivent respecter les délais, donc se concentrer sur ce qui est le plus important.
- pour ceux qui ont des difficultés à progresser, ils doivent comprendre la nécessité de changer d'attitude: en général, ils se focalisent sur un détail (et constatent par eux-mêmes qu'ils ont fait
10 % du travail et qu'en plus ils doivent rattraper les 90 % restants).
D'autre part, ils s'apercoivent qu'ils existent un certain nombre d'innovations organisationnelles qui permettent de mieux employer leur temps (c'est à moi de les aider à les trouver).
Ceci dit, j'ai moi aussi, comme vous le voyez des progrès à faire dans la gestion du temps. Le rythme de publication de mes billets est très lent, en raison de multiples activités par ailleurs
(comme les élèves, j'ai toujours une "excuse" ^^)
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