Et donc il s’agit toujours de saisir ce qui va, et dedans quoi on est pris de mouvant et confus, d’où sortent aussi parfois quelques éclats vifs, cinglants. Amusant de constater désormais avec l’usage blog comme la pratique de l’écriture ici est elle aussi prise dans ce flux (et c’est comme une mise en abîme), et comme au livre alors s’est substituée cette forme mouvante, discontinue. Contrairement au définitif du livre, le texte dans le blogne semble pas devoir s’achever, il se complète et mute continuellement, peut-être désespéré de son incapacité à se conclure. Ici la langue se cherche. Forcément on se souvient de Ponge.
J’imagine la plage,
une vague qui reflue.
Peut-être dans le fond une côte estompée. Le jeu d’oiseaux marins
dans le ciel qui virent sur l’aile et qu’on échappe.
Le rythme régulier et assourdissant d’un train qui passe le quai, une silhouette
devinée par intermittence dans l’intervalle découpé des wagons
sur le quai en face. Un homme qui marche
en forêt dans un paysage répété que l’on perd et reprend
et dont le visage danse dans un plan serré
au rythme de la marche. Le monde qui pivote
lorsqu’il s’arrête et roule un cigarette. Le rose de la peau par l’air frais.
Une jeune fille qui ne parvient pas à prendre la pose
devant un photographe, qui hésite
et qui bouge, qui éternise l’instant.
Ce restaurant routier croisé puis échappé comme on pivote autour.
Le vent dans les tamaris regard
au ciel qui remue des miettes de bleu.
Une playlist infinie par dessus toutes nos routes.
Un qui mime de conduire dans une décapotable et courbe le dos
et lance le menton. A l’arrière plan, une affiche.
Les rideaux qui dégueulent par une fenêtre ouverte flottés
par le vent. Longuement vous absorbent. Les derniers étages
affrontés au ciel que l’on bouge du regard. Tout au long des rues
et des cimes d’arbres penchées en travers les balcons
qu’on rabat les enseignes. Gens qui passent devant un banc
qui reste, qui n’en fini pas de rester. Les immeubles de la rue
qui défilent un instant dans un plan horizontal. Et l’échappée
à l’envers dans le rétroviseur.
Le paysage alors comme un bandeau souple
tenu par le vent.
Le regard absorbe les choses dans son jeu avec désinvolture.
Le plan tremblé d’un cargo au loin.
La rampe simple piquée de rouille sous les couches de peinture.
Le vent dans les rayures bleues des parasols tout
est immobile sinon le souffle vers la mer. Un hôtel
sur la plage à l’arrière saison comment il est ancré
on pense à une tortue vieille. Les filles qui rigolent
dont on perd le sourire, les jambes qui pédalent
et que l’on revoit rire
et l’équilibre précaire d’un pédalo blanc. Alors un éclat de ciel.
Une mouette qui arpente la plage le regard brigand. Comme
les mains passés dans le dos. Et les habits glissés pour aller goûter l’eau.
Ces petits tas dont on se dégage les pieds. Nids de taupes tissus dans le sable
qu’on bascule. Des mollets qui s’échappent au devant
de la mer rattraper leur silhouette
entière avec des gestes. Ailleurs puisqu’on le regarde
il se fait plus glouton à avaler l’assiette et à bourrer sa bouche, penche
un sourire en grimaçant. Reviens à la fille
qui ne fait qu’imposer en mimant des sculptures une dureté pareille
avec l’élégance. Les visages qu’on rencontre
par le wagon qui vient en face, les regards accoudés
à la vitre inondés de pensée. Et puis ceux
que le trajet tremblote
devant nous en un portrait
de famille, lointains. D’un visage à l’autre.
La petite qui montre le tableau en remuant le doigt et,
tenant son discours, intrigué maintenant par ce doigt qui remue.
Celui jeté là en grande confusion
et comme se déploie le monde
vertigineusement depuis sa solitude.
L’histoire.
L’histoire est une tentative de faire tenir le monde.
Il n’est rien que l’on ne puisse qualifier
d’imagination.
Ils sont arrêtés sur un élargissement de route
et la ville sans doute se dessine en contre-bas. On la voit
marcher plus loin un peu faussement
d’être vue sans scénario. Il y a les terres mauvaises
et une végétation rare, épineuse. L’œil se pose
parfois sur un détail du monde
qu’il nous est donné alors de voir furtivement
avant que reprenne le mouvement.
Face qui vient à soi ou visage
comme l’angle raide d’un immeuble (effectivement à l’arrière)
imposer l’insistance de la ville, son empiètement complexe,
ses couloirs. Yeux baissés qu’on échappe. Et
balayer les lieux pour n’y relever qu’éperdument
la présence ordinaire des choses, la grille qu’on longe et syncope
à l’arrière ce qu’on y peut trouver, un pan de mur aveugle. Une vieille femme
penchée passe dans l’ouverture, tourne la tête, continue. D’autres encore
ont passés et les choses viennent à nous,
la poésie est cette intensité, le geste de regarder et
s’emporte dans les mouvements du monde.
Le paysage bouge sur lui même, à travers les arbres et après
les champs qui bordent la nationale, comme
de tourner autour d’une grosse chose subtile et
de parfois le perdre, parfois le ressaisir dans un éclair penché.
Et nous spectateurs d’un éternel défilé d’images.