Je reproduis ici le discours de Bernard GINISTY à l’Assemblée Générale de la Nef le 24 mai à Paris. Ce discours est d’autant plus intéressant dans le cadre de la crise financière. Enfin, il permettra de donner quelques éléments à ceux qui se demandent ce que peut-être l’éthique en général, et plus spécifiquement dans une initiative économique.
« Je m’exprime ici en tant que représentant du Comité d’Ethique de la Nef. L’an dernier, ce Comité a traversé une crise d’identité qui nous a conduit, collectivement, à préciser notre rôle. Il nous est apparu que le Comité d’éthique n’était ni une instance d’appel par rapport aux décisions prises par les organes de gestion de la Nef, ni une instance de jugement qui déciderait souverainement du bien et du mal, mais un organe de régulation éthique.
Qu’est ce qu’on appelle chez Aristote un acte éthique ? C’est un acte qui n’oublie pas les raisons finales de son projet. La maladie du monde moderne et de la finance plus particulièrement c’est de l’autonomisation de différentes actions par rapport aux raisons finales. Je dirai donc que le rôle du comité d’éthique, dans une organisation comme la Nef, c’est de constamment veiller à ce que tous les acteurs dont le métier est d’avoir, comme on dit, « le nez sur le guidon », ne soient pas conduits, petit à petit, à faire de leur action un but en soi, mais la confrontent en permanence aux valeurs de la charte fondatrice de la Nef.
Il s’agit en fait de maintenir constamment ouverte la question de l’adéquation de l’outil avec les finalités que l’on proclame.
Si la Nef a été créée, c’est bien d’abord pour réagir contre les dérives d’une fonction financière qui s’est autonomisée d’abord par rapport à la fonction politique qui gère l’art de vivre des citoyens, et plus récemment par rapport à la fonction économique. Dans un organisme vivant quand un organe fonctionne pour lui-même en se développant de façon anarchique, cela s’appelle un cancer.
Pour éviter ces dérives, d’abord au sein de notre Comité, nous avons choisi un mode de fonctionnement collectif. Nous avons par ailleurs décidé de ne pas nommer de président de notre Comité pour bien montrer que nous ne sommes pas une instance de décision. Je m’exprime donc ici en tant que représentant d’un comité d’éthique rassemblant des personnes de sensibilités diverses.
Comment s’est traduite notre action au cours de l’exercice écoulé ? Pour illustrer cela, je vais commenter rapidement trois éléments qui figurent dans le rapport que vous avez entre les mains. Il a été rédigé par Béatrice Poncin qui s’excuse de ne pouvoir être parmi nous aujourd’hui.
Notre travail le plus important a concerné la consultation autour de la Charte du projet de Banque éthique. Pour nous, cette charte n’est pas un texte « sacré » écrit une fois pour toutes, mais la première phase d’un travail permanent de confrontation de la pratique de la Nef et des valeurs proclamées. Nous avons insisté pour que ce texte reste vivant et s’enrichisse en permanence de l’expérience de la vie de la Nef. Pour nous, la pratique de la Nef et la pratique des sociétaires sont sources de connaissance. Une des missions du Comité d’Ethique est donc de veiller à tout ce qui peut émerger de la pratique de la Nef pour enrichir le contenu cette charte.
Deuxièmement, nous avons été saisis par la nouvelle société de capital-risque créée par la Nef Nef Capital Ethique (NCE). Cette société a souhaité qu’un membre du comité d’éthique y soit censeur ainsi qu’il est mentionné dans le document de présentation de Nef Capital Ethique: «nous souhaiterions vivement que le comité d’éthique de la Nef soit représenté au Conseil d’Administration par un ou une (c’est une) censeur qui serait officiellement nommée à l’occasion d’une prochaine assemblée générale. D’autre part le management de Nef Capital Ethique entretiendra avec le Comité d’Ethique des relations régulières permettant de s’assurer mutuellement de la cohérence au regard des valeurs et de la charte éthique des actions entreprises, du choix de ses investisseurs, du choix de ses investissements et de sa gestion». Ce texte rejoint bien la conception que nous nous faisons du Comité d’Ethique comme organe de régulation interne chargé de rappeler aux différents acteurs de la Nef la hiérarchie des valeurs qu’ils se sont données. Chantal Hirshauer a été désignée pour remplir cette fonction de censeur.
Enfin, troisième aspect que je voudrais souligner : nous pensons que la fonction de régulation éthique passe par l’échange et les valeurs partagées. C’est pourquoi, nous envisageons de proposer aux sociétaires des séminaires, entre autres, sur les thèmes suivants :
- L’argent est-il un bien commun ? Sommes-nous propriétaires de notre argent ?
- Qu’est ce que le droit au crédit (puisque que ce droit est mentionné dans la charte) ?
- Le profit est-il juste s’il est issu d’activités orientées vers le bien commun et réinvesti dans de telles activités ?
- Comment l’argent contribue ou non à la construction d’une société plus fraternelle telle que nous essayons de la construire ?
- À quel moment la taille de l’outil devient-elle un obstacle au projet culturel lui-même ?Comment faire grandir l’institution sans dénaturer le projet ?
Voilà à la fois notre action et nos projets. Ils tendent à éviter la schizophrénie qui nous menace si souvent en juxtaposant des placements financiers dont le seul but est le maximum de profit et le minimum de risque avec des dons généreux à des bonnes oeuvres. Un peu comme au XIXème siècle, certains patrons exploitaient durement leurs ouvriers tandis que leurs femmes se livraient à de bonnes actions dans un ouvroir pour les pauvres du quartier.
L’originalité de la NEF réside dans cette volonté d’être une vraie institution financière avec les contrôles et les exigences de la profession, mais qui place les valeurs éthiques au cœur de son action. C’est parfois difficile de faire comprendre que nous ne sommes ni une ONG ni un organisme dont le seul but est le profit. Un des rôles essentiels du Comité d’éthique est de contribuer à maintenir cette tension, parfois inconfortable, mais toujours féconde, entre la rigueur professionnelle bancaire et les valeurs dont nous nous réclamons.
Je vous remercie ».