Elles sont quinquagénaires, cadres d’entreprises. Une semaine par année, elles entretiennent leurs idylles tarifées avec de jeunes Egyptiens. Enquête sur les bords de la Mer Rouge.
Hurghada, ses plages, sa mer, ses hôtels et son tourisme sexuel féminin. Il y a seize ans, cette petite ville de la côte égyptienne n’était rien. Aujourd’hui, elle vit au rythme des ballets des vols charters : Paris, Düsseldorf, Genève, Amsterdam, Moscou ou Bruxelles, le tourisme de masse est roi. Ce séjour n’aura d’égyptien que le climat. Le reste n’est que touristes français, suisses, belges, canadiens et britanniques. J’en fais partie. Martine* aussi.
Martine est suissesse, elle a 53 ans. Lausannoise divorcée, elle est cadre dans une grande entreprise de la Côte vaudoise, au bord du Lac Léman. Je ne le sais pas encore, mais cette quinquagénaire, plutôt discrète et bien mise, sera l’objet de mon enquête hebdomadaire. Martine, c’est ce qu’on appelle une adepte du all inclusive : vol, hôtel, transfert et parties de jambes en l’air. Voilà cinq ans qu’elle y vient annuellement vivre une idylle tarifée.
Lundi 29 septembre. Un hôtel club comme il en existe des centaines. Au bord de la piscine, un Coca Zéro dans la main, je rencontre Martine pour la première fois. A la table d’à côté, elle murmure des « je t’aime habibi » au téléphone : « Tiens-moi au courant quand tu seras arrivé à la gare routière et je t’envoie un taxi. » Au bout du fil, Sofiane*, célibataire, 26 ans et étudiant en ingénierie au Caire. Une semaine par année, ils forment un couple. Lui ne paie rien. Elle lui paie tout.
Intrigué par la conversation téléphonique, j’engage la discussion : « Votre mari habite l’Egypte ? » Bravo Mehdi ! Elle est pertinente, ta question. « En quelque sorte », me répond-elle d’un air pressé. Le cours d’aquagym l’attend : « Joignez-vous au groupe, on pourra discuter. » Dix minutes après, me voilà parmi quinze quinquagénaires à sculpter mes abdos fessiers. Ça, c’est du journalisme de terrain ! Mais bon, si ça peut me permettre de mener mon enquête. Plus tard, au bar, toujours pas de traces de Sofiane. Martine s’impatiente. Je lâche l’affaire.
Le lendemain du côté de la plage. Il est là ! Dix transats plus loin, j’aperçois ce couple qui s’adonne à de chaudes embrassades. Je trouve un prétexte aussi fin que celui de la veille pour les saluer et discuter. Sofiane, elle l’a rencontré à l’automne 2006. « C’était dans une boîte à touristes d’Hurghada. » S’en est suivie une folle semaine passée dans la chambre d’hôtel. Quelle confession face à cette femme qui pourrait être ma mère et celle de Sofiane.
Cette relation m’intrigue. Mes questions se font de plus en plus précises. Martine, elle, est de plus en plus évasive. J’insiste. J’y vais franco. J’en suis certain, cette relation est tarifée : « Je ne suis pas une salope. On n’est pas en République Dominicaine. » C’est sûr. Ici, pas de drague agressive sur la plage. Le contact se fait discrètement. Faut-il rappeler que la prostitution est fortement réprimée en Egypte ?
Prostitution ? A ce mot, Martine s’agace, mais à y regarder de plus près, ça y ressemble: « Je ne lui verse pas d’argent. Ma contribution se limite à payer son voyage aller-retour, l’hôtel et… 200 euros pour l’écolage universitaire. » Soudain elle se tait, comme si elle s’était rendue compte de sa propre contradiction, puis continue tout en se justifiant : «Avec Sofiane, c’est l’amour parfait. Il est beau, grand, mais surtout très serviable et me câline. En fait, je crois que c’est ça qui me plaît chez lui et chez les Egyptiens. Ce sont les hommes les plus dociles du monde. Et puis, il faut le dire, ils sont bien membrés. »
Du discours passionné du début, celui-ci devient vite colonialiste et raciste. Martine ne semble pas s’en rendre compte. Son débit de parole se fait de plus en plus rapide. Je l’observe scrupuleusement. Je l’imagine dans son environnement, hyper active, travaillant plus de cinquante heures par semaine, tailleur, maquillage soigné, avec cette classe qui caractérise souvent ces femmes cheffes d’entreprises.
Je propose un autre verre. Martine ne semble pas m’entendre. Le décolleté rougit par le soleil, les cheveux asséchés par le sel, elle continue : « Vous savez, en Europe nous avons tout. Eux, ils n’ont rien. J’aime la simplicité et la docilité des Egyptiens. Ils sont toujours heureux de nous accueillir. Nous sommes un peu le poumon économique du pays. Ma relation avec lui a, par certains côtés, une vocation humanitaire. » Quelle belle mission ! Ses propos me mettent mal à l’aise. J’essaie de ne pas la juger, de combattre mes a priori. Difficile, mais je lutte. Ce discours, Martine le justifie par ses nombreux voyages à travers le pays : « Il n’a plus de secrets pour moi. » Entre l’hôtel Mövenpick de Sharm El Sheikh, le Club Med d’Hurghada et l’Hilton du Caire, l’Egypte la vraie, elle la connaît.
Sofiane, lui, nous a déjà quittés. Dans la suite de Martine, il se prépare pour l’Aïd, la fin du Ramadan. Le couple sera de sortie : « Toujours un moment inoubliable. » Martine y est habituée. Comme chaque année, elle veille à réserver sa semaine égyptienne pour les derniers jours du jeûne musulman : « Un mois sans manger, boire, fumer et baiser, il ne peut qu’être content de me voir. » Un plaisir pour lequel elle aura déboursé quelques 2000 euros… All inclusive. Sur cette relation, je n’aurai que quelques mots de Sofiane. Pas moyen de connaître son opinion, ni ses motivations. Et puis, la fin du séjour approche.
L’œil humide, Martine quitte Sofiane: « A l’année prochaine habibi ! Je t’aime ! Prends soin de toi et étudie, c’est important. » Lui, ne rejoindra le Caire qu’après-demain. Mi-novembre, il retournera du côté de Sharm El Sheikh. Une nouvelle semaine balnéaire l’attend, en compagnie de Nathalie, 48 ans, une responsable des ressources humaines d’Ile-de-France. Mais ça, Martine ne le sait pas.
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