Nouvelle rencontre littéraire "Couleur Saphir" à l'Association Réunionnaise Communication & Culture ce lundi.
Cette fois, il s'agit d'un auteur mauricien, Barlen Pyamootoo, présenté par Lydie Condapanaïken-Duriez, Docteur en litérature comparée.
D'emblée, l'ambiance est remarquablement conviviale. La salle est comble, pleine de gens venus de tous les horizons, mais les Mauriciens sont nombreux.
Lydie Condapanaïken-Duriez salue fort aimablement le "grand frère mauricien" et les représentants de "l'Ile-soeur".
Après un mini-spectacle de danse Bharatâ-Natyam qui renvoie aux origines indiennes (hindoues, tamoules) de l'écrivain-cinéaste mauricien, la présentatrice réunionnaise pointe du doigt le centre de son univers mental et créatif : sans conteste, la Mère.
Barlen Pyamootoo est né le 27 Septembre 1960, à Flac. Il a douze ans lorsque sa mère adorée s'exile à Strasbourg pour des raisons économiques. Cela lui vaut, bien évidemment, un choc : la séparation d'avec son île familière et la rencontre d'un univers totalement nouveau, aux antipodes, c'est le cas de le dire, dont "les saisons" entre autre, ne laissent pas de l'étonner.
Mais il apprend à s'y adapter et, une fois diplômé de linguistique et sciences de l'éducation, il finira par enseigner "la langue française à des Français", toujours à Strasbourg.
Cependant, il succombe bientôt au double et irrésistible appel de Maurice et de l'écriture : "Il fallait que je retourne à Maurice pour me mettre à écrire".
Il crée une maison d'édition, qu'il baptise - comme par hasard - "Alma Mater" et, très vite, en vient à écrire ses romans, publiés en France aux Editions de l'Olivier ,"Bénarès" tout d'abord, puis "Le tour de Babylone", qui vont faire de lui un grand de la littérature mauricienne actuelle.
Suivra un évènement déterminant : l'adaptation de "Bénarès" par un producteur, lequel accepte que Barlen réalise le film. Le long métrage est le premier film entièrement mauricien réalisé en langue créole de Maurice.
Mais hélas, il se trouve que la mère de l'écrivain trouve la mort accidentellement pendant le tournage, ce qui occasionne un nouveau choc de la séparation, de la perte. De cette souffrance naîtra, au terme d'une "gestation de trois ans", le roman le plus récent de Barlen Pyamootoo, paru cette année même, "Salogi's", pour lequel il dit s'être fortement inspiré des notes qu'avait laissé derrière elle l'irremplaçable défunte.
Après l'avoir qualifié d'"homme de talent et de renom à l'univers littéraire très particulier", Lydie Condapanaïken-Duriez invite un autre auteur mauricien connu et présent à ses côtés, Vinod Rughoonundun, à lire un passage de "Salogi's". Des phrases frappent : "J'étais défait. Rien ne pouvait m'arriver de pire que la mort de ma mère"; "On s'est téléphoné entre frères et soeurs"; "La vie, c'est des coups durs à encaisser parce qu'il n'y a rien d'autre à faire".
On enchaîne ensuite sur le travail d'écrivain de Barlen Pyamootoo.
Celui-ci déclare se sentir complètement perdu s'il n'a pas, au préalable, de titre : "le titre m'aclaire". Puis il avoue que l'écriture de "Salogi's" fut "très difficile". "Vous êtes seul à écrire", constate-t-il, de sa voix douce et rêveuse.
Vinod Rugghoonundun nous gratifie là-dessus d'une nouvelle lecture. Encore des phrases révélatrices, qui évoquent "les souvenirs", le "mauvais sort" (très mauricien), le rêve de départ pour recimenter la famille ("Il rêvait d'Angleterre, où vivait sa soeur aînée")
S'il est, souligne Lydia Condapanaïken-Duriez, une notion fondamentale chez cet auteur, c'est bien la séparation, laquelle "parcourt tout le livre ("Salogi's"), et même les autres livres", tels "Le tour de Babylone" qu'il confesse aimer tout particulièrement. La vie n'est que séparation...d'avec la mère, d'avec son île, d'avec son enfance et, pour finir, d'avec la vie (ça s'appelle la mort, et la mort est, aussi, très présente dans cette oeuvre). Séparation qui ne peut, donc, que devenir un "leitmotiv".
"L'enfance est une posture éternelle, permanente dans ma vie d'homme", estime, en toute sincérité, Barlen Pyamootoo. Est- un signe ? "Barlen", en tamoul, veut dire "enfant" et les Mauriciens, c'est bien connu, croient fort aux signes.
Barlen Pymootoo frappe par sa simplicité, sa modestie. "Humble comme beaucoup de Mauriciens", fait remarquer, au passage, sa présentatrice. Je ne lui donnerai certainement pas tort. Par moment, à voir le comportement de l'auteur, on imaginerait mal l'ampleur de la réussite littéraire qui est la sienne, tant à Maurice (où il est salué) qu'auprès de la critique française qui a décerné à "Salogi's" un concert de louanges.
Et pourtant, l'écrivain demeure très peu désireux de s'étendre là-dessus. Il contourne l'insistance de la présentatrice réunionnaise en faisant - chose assez amusante - l'éloge et la publicité de deux autres écrivains présents dans le public.
Barlen apparaît comme quelqu'un qui aime à s'effacer devant les autres.
Il consentira néanmoins à nous lire lui-même un extrait de son second roman "Le tour de Babylone", qu'il commentera ensuite en affirmant : "on se retrouve en différents lieux". Puis il précise , au sujet de son écriture : "je travaille beaucoup [...] c'est assez lent", et il parle même de "travail relativement pénible".
Chez Barlen Pyamootoo, "le signifié et le signifiant, le son et le sens, sont intimement liés" et Barlen est quelqu'un qui peaufine énormément ses "rythmes", la musicalité de ses phrases.
Lydie Condapanaïken-Duriez s'arrête à ce propos sur "l'écho lancinant du "et" ". La conjonction de coordination symboliserait-elle, par hasard, la réunion ? A cette question de Lydie, Barlen a quelque peine à répondre. Il reste évasif, se contentant de dire : "ça vous replonge dans le passé".
Il se montre, en revanche, nettement plus précis lorsqu'on lui demande s'il a déjà un plan tout tracé dans sa tête avant de se mettre à écrire un livre. Là, il répond, assez catégoriquement : "oui, à peu près. J'ai le titre et presque la fin. Entre, je me sens complètement libre".
Et de s'attarder sur cet "entre", qu'il appelle également "le reste" : "le reste, c'est de la folie, le monde extérieur n'existe absolument pas".
Il reconnaît - dans un enthousiasme perceptible - que "c'et une folie extraordinaire que d'écrire", car "vous ne savez pas où vous naviguez". Il n'en fait pas mystère : s'il sait toujours, à peu près, qu'il terminera de telle ou telle façon, il est fortement stimulé par le fait de "ne pas connaître le chemin" qui le mène vers le dénouement d'un livre.
Après cela, une question fuse du public, sur son rapport à la langue mauricienne. S'il estime - non sans raison - que "la langue créole a un vocabulaire relativement restreint pour le moment" (mais il est certain que ça changera), il est également clair qu' "il n'y a pas de choix à faire entre les langues", qui méritent toutes le même "repect".
On en vient maintenant à l'activité cinématographique de Barlen.
Barlen Pyamootoo se définit comme un homme d'images, un homme qui "fonctionne beaucoup par les images" ou, plus précisément encore, par un "mouvement alternatif" entre images et mots.
Nous apprenons, avec un certain étonnement, qu'avant de réaliser le film "Bénarès", Barlen ne savait tout bonnement pas ce qu'était une caméra. mais il y a goûté, s'est pris manifestement au jeu, et, à présent, il lâche : "c'est un métier que j'aime beucoup"; "le cinéma est un travail d'équipe"; "je suis très intéressé par les images, par le va et vient entre les mots et l'image".
Homme comblé, il va, de la sorte, "au plus profond de sa quête artistique".
L'animatrice met par la suite le doigt sur l'importance de la famille, et de sa réunion chez Barlen. Elle note aussi qu'elle a la nette impression qu'il cherche à "transmettre". A cela, Barlen répond qu'en effet, il a la sensation de "faire pour". Il explicité : "Nous avons tous lutté, dans ma famille (sept frères et soeurs) pour améliorer le sort de nos parents". Il ne se voit, au fond, que comme "le fil conducteur d'une longue chaîne" générationnelle, laquelle transcende complètement l'individu. Toujours cette tendance, très mauricienne, à s'effacer devant les autres !
Ce qui est sûr, c'est que la famille fusionnelle (matricielle) est l'univers de Barlen, lequel, dans le même temps, se sent très proche des "gens de peu qui sont parfois décalés dans leur tête, dans leur demande". Son père qui lui donne de l'argent pour le "récompenser d'avoir écrit un livre sur maman", "ça, c'est de la littérature ! ". Plus que cent causeries intellectuelles.
Dans un sourire aimable et rêveur, Barlen pyamootoo reconnaît qu'il a "pour reprendre une expression mauricienne, une chance de chien". La chance de faire exactement ce qu'il aime faire.
Son prochain film, qu'il prépare, sera "une adaptation très très très libre de "Salogi's" ".
C'est alors qu'un spectateur - mauricien - s'exclame "c'et peut-être votre mère qui vous guide de là-haut", ce qui attendrit tout le monde.
Barlen Pyamootoo est un enthousiaste, un être dynamique, qui fourmille de projets (écrire un jour sur Trou d'Eau-Douce : pourquoi pas ? "Mais il y a trop de projets intéressants, et trop de choses à faire !")
Lorsqu'on évoque son athéisme, fort peu répandu à Maurice, cet être subtil sourit à nouveau et, après avoir cité l' "agir comme si dieu existait" de Pascal, révèle qu'à huit ans, "enfant assez solitaire et contemplatif", il guettait des "signes" de l'existence de dieu longuement, au bord des routes.
On passe à autre chose; la question tombe : quels films ont sa faveur ? Sans la moindre hésitation, il fait part de son enthousiasme pour le grand maître du cinéma indien Satyajit Ray (avec sa "trilogie d'Apu"), pour "La horde sauvage" de Sam Peckinpah et pour les films japonais.
En clôture, nous avons droit à une dernière lecture d'extraits de son nouveau livre, par Vinod Rughoonundun. Une phrase retient mon attention : "jamais je ne mettrai les pieds en Inde, un pays qui pratique la ségrégation". Cela encore, c'est très mauricien.
Barlen Pyamootoo nous fait l'effet d'être un homme sympathique, un homme que l'on sent habité par l'émerveillement et, sous ses apparences très sereines, brûlé par la passion de la littérature, de l'art. Et, en effet, il possède cet art de la littérarité, cet art de s'adresser à chacun et, ce faisant, d'atteindre à la dimension littéraire universelle.
Je terminerai en incitant les gens qui le peuvent à lire ses livres (moi, pour ma part, je m'apprête à commencer à lire "Salogi's"), car, sans aucun doute, nous sommes appelés à entendre reparler de lui.
Et encore merci à l'Associatin réunionnaise Communication et Culture pour l'accueil qu'elle réserve aux Mauriciens, qu'ils soient ou non auteurs.
Patricia Laranco.