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L'intelligence économique et les barbouzes

Publié le 21 octobre 2008 par Pguillery

Nicolas_moinet Sur le blog IE (pour "Intelligence Economique") du journal Les Echos, Nicolas Moinet signe une tribune dans laquelle il définit bien les enjeux de l'IE - et ce qui la sépare de l'espionnage :

"Rien à voir avec ces pratiques « barbouzardes » qui défraient la chronique judiciaire. D'ailleurs, les cabinets incriminés ne font pas d’intelligence économique. Car ce n’est pas l’intelligence économique qui conduit à l’espionnage ; mais bien son absence. Dès lors qu’une entreprise n’a pas mis en œuvre un dispositif de surveillance de son environnement, elle ne peut qu’être condamnée à (ré)agir vite en sous-traitant son action à des professionnels douteux."

Mardi 21 octobre 2008 18:25

Plus d’intelligence économique = moins d’espionnage !

A l’heure où la plupart des indicateurs économiques de la France sont dans le rouge (consommation, salaires, commerce extérieur, innovation, recherche, etc.), certaines affaires impliquant des pseudos cabinets d’« intelligence économique » font peser sur cette pratique des soupçons qui n’ont pourtant pas lieu d’être. Dernier exemple en date : la mise en examen de responsables du distributeur français du pistolet électrique Taser soupçonnés d’avoir fait espionner Olivier Besancenot, le porte-parole de la LCR. Quelques mois auparavant, Patrick Baptendier, ancien gendarme démissionnaire reconverti dans le renseignement privé (et mis en examen pour avoir divulgué des renseignements détenus dans diverses administrations au profit de cabinets dits d’« intelligence économique ») avait publié un ouvrage fort médiatique : « Allez-y, on vous couvre ! » : un barbouze au service de l’Etat, Editions Panama). Mélange des genres ? Confusion ? Michèle Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur, ne vient-elle pas d’appeler publiquement à un effort dans la sensibilisation des responsables économiques à l’intelligence économique, rappelant par là que cette démarche est une nécessité vitale pour nos entreprises et nos territoires. Attention donc à ne pas décimer le troupeau sous prétexte qu’il y a en son sein quelques brebis galeuses... surtout quand ces brebis sont venues malicieusement s’y mêler pour donner d’elles une image respectable.

Pour une organisation, faire de l’intelligence économique consiste à surveiller de manière systématique son environnement à partir d’informations ouvertes (obtenues légalement), protéger son patrimoine immatériel (informations mais aussi image), manager ses connaissances et mener des opérations d’influence (lobbying, normalisation...). Si la plupart des entreprises font, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, de l’intelligence économique sans le savoir, l’enjeu est d’aujourd’hui pour la grande majorité d’entre elles d’améliorer leurs pratiques, de développer celles qui ont pu être délaissées et de les mettre en musique dans le cadre d’une démarche globale. Du côté des territoires et de l’Etat, l’intelligence économique est une politique publique qui, sous la houlette des Préfets de Région, vise à mettre en réseau les acteurs du développement afin d’anticiper les mutations, parer les menaces et profiter des opportunités (l’idée de pôle de compétitivité est en elle-même un exemple d’intelligence économique). Ce défi implique, tant dans les entreprises que les organismes publics, un renouvellement de la pensée stratégique et du management (par exemple, le partage des connaissances doit l’emporter sur la rétention d’informations). Dans des environnements turbulents que certains décideurs qualifient de « guet-apens permanent », rester un Monsieur Jourdain de l’intelligence économique ne permet plus de rester compétitif.

S’il est évident que l’intelligence économique n’est pas la pierre philosophale du développement des entreprises et des territoires, elle en devient néanmoins peu à peu la clé de voûte. Seule, l’intelligence économique ne peut pas grand-chose. A quoi sert-il d’avoir des renseignements sur l’adversaire si on ne dispose pas de capacités crédibles ? Mais à l’inverse, il existe des potentiels (et la France n’en manque pas !) qui ne se réalisent jamais faute d’intelligence. A quoi sert-il d’avoir le meilleur avion de combat du monde si personne ne l’achète ? A quoi sert-il d’avoir le meilleur dossier aux JO si le CIO ne vote pas pour lui ? A quoi sert-il de favoriser la création d’entreprises innovantes si leurs technologies sont pillées ou rachetées ? Et les exemples ne manquent pas... Impliquant un nécessaire changement de mentalité, l’intelligence économique est un défi collectif, un nouveau scénario dont le premier rôle revient aux chefs d’entreprise, politiques, fonctionnaires... épaulés par des professionnels de l’information dite « ouverte » ; c’est-à-dire obtenue légalement.

C’est pourquoi la France forme chaque années plusieurs centaines de spécialistes de l’intelligence économique tant en formation initiale (Masters d’université ou de grandes écoles) que continue. Ces professionnels savent organiser un système global de recueil, traitement, diffusion et protection de l’information stratégique. Ils travaillent dans des grands groupes, des PME, des agences de développement économique, des cabinets de conseil... Leur quotidien : mettre en œuvre des logiciels de veille, organiser des réunions d’experts, sensibiliser le personnel à la sécurité économique, manager les connaissances (voir http://uptv.univ-poitiers.fr le récent colloque organisé à l’Université de Poitiers sur les métiers de l’intelligence économique).

Rien à voir avec ces pratiques « barbouzardes » qui défraient la chronique judiciaire et jettent l’opprobre sur l’ensemble d’une profession. Condamnables, de telles dérives ne sont-elles pas d’ailleurs inhérentes à toute pratique ? Mais le plus grave est que les cabinets incriminés ne font absolument pas d’intelligence économique (terme est souvent écrit d’ailleurs entre guillemets !) et n’ont pas en leur sein de professionnels formés à ces pratiques légales et éthiques. Car ce n’est pas l’intelligence économique qui conduit à l’espionnage mais bien son absence. Dès lors qu’une entreprise n’a pas mis en œuvre sur la durée et de manière éthique un dispositif organisé de surveillance et d’influence de son environnement, elle ne peut qu’être condamnée à (ré)agir vite en sous-traitant son action à des professionnels douteux dont elle fera semblant de ne pas connaître la réalité des pratiques. La conduite des entreprises n’est pas différente de la conduite automobile. Plus on part tard dans la course et plus on prend de risque, brûle les feux, franchit les lignes jaunes et commet des excès de vitesse. Alors réglementons et régulons. Plus d’intelligence économique = moins d’espionnage !

(c) Nicolas Moinet


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