Plaisir d'échouer, joie de décevoir

Par Marc Traverson

On sous-estime généralement les innombrables vertus de l'échec. Le ratage est pourtant l'expérience humaine la plus commune, et probablement l'une des plus riches d'enseignements variés. Dans un univers axé, parfois de manière trop manichéenne, sur la performance et une utopie de l'infaillibilité, il est bon de rappeller, comme disait Churchill avec son habituelle ironie, que "la réussite, c'est aller d'échec en échec sans jamais se décourager".

Réhabiliter l'échec paraît bien nécessaire, car on n'entreprend jamais rien si l'on est paralysé par la hantise d'échouer. Il y a, de ce point de vue, des leçons à tirer des cultures anglo-saxonnes, qui valorisent celles et ceux qui prennent des initiatives, qui retroussent leurs manches. Peut-être est-ce une conséquence  de leur culture de la libre entreprise ? En tout cas, on considère que si les efforts d'une personne ne sont pas payés d'une réussite immédiate, ils l'en rapprochent. Quelqu'un qui a beaucoup essayé, sans se décourager, montre une force de caractère qui a de grandes chances de le mener un jour au succès – bref cette persévérance à rebondir est portée à son crédit.

L'échec n'est cependant riche d'enseignements qu'à la condition de prendre le temps d'en extraire la substantifique moëlle. Le debriefing de "ce qui n'a pas marché" apporte toujours des informations essentielles sur certaines situations, et la manière dont nous les abordons. Cela permet, rétrospectivement, de mieux comprendre l'enchaînement des événements, les différentes phases d'un projet, de repérer nos "angles morts", ce sur quoi nous avons manqué de lucidité, ou les choses que nous n'avons pas voulu voir. Je me souviens d'une cliente qui s'associait toujours avec des personnes peu fiables, ce qui se traduisait par des dissensions, et lorsque le vent commençait à souffler, elle ne pouvait jamais compter sur ses partenaires – quand ils ne se retournaient pas contre elle!  Le travail que nous avons fait ensemble lui a permis de voir qu'elle ne s'autorisait pas à agir en son nom propre, ce qui lui faisait rechercher des "béquilles", des gens qui la confortaient par les paroles quand tout allait bien, mais qui profitaient de son énergie sans être pour elle d'un réel secours. Du jour où elle a perçu cela d'une manière claire, elle a pu agir pour elle, assumer la responsabilitéde ses initiatives. Et c'est ainsi qu'elle a commencé à réunir autour d'elle des partenaires aux compétences vraiment complémentaires, qui l'ont aidé à construire.

L'analyse des échecs a d'autres vertus, et notamment, en coaching, de permettre des recadrages fructueux. C'est-à-dire de réaliser que ce qu'on croyait un échec… n'en est pas un ! Bien souvent, focalisé sur un objectif, nous croyons avoir manqué notre cible, avant de réaliser, en prenant du recul sur la situation, que, par notre initiative, s'est créée une nouvelle situation pleine de possibilités.

Qu'est-ce qui caractérise l'échec véritable ? Nous devons être attentif en cas de répétition des situations douloureuses. C'est le signe qui doit alerter. Ce peut être aussi bien dans la vie intime que professionnelle. Cela signifie souvent que nous apportons une mauvaise réponse à de vraies questions, et que nous nous épuisons à répéter "toujours plus de la même solution qui ne marche pas". Il est important alors de prendre le temps de comprendre ce qui se passe, pour sortir du cercle dans lequel on se sent enfermé, et trouver des options pour rouvrir le champ des possibles.

Image : Icare, Henri Matisse via allposters