la revue -lien social- fête ses vingt ans et pour la peine elle publie un hors-série dans lequel un certain nombre de personnes dont tahar ben jelloun, robert guédiguian, bernard langlois, juliette, magyd cherfi...livrent leurs impressions sur l'état du social en france et dans le monde. Parmi toute la richesse des textes publiés, j'ai retenu -subjectivement bien sur- celui du poète, écrivain, philosophe...marocain: tahar ben jelloun-
"Avant, avec de l'argent on achetait de la marchandise. Aujourd'hui, avec de l'argent on achète de l'argent. On ne le voit même pas. On ne palpe même pas les billets. C'est virtuel et ça tue. Ceux qui ne peuvent pas entrer dans la bulle crèvent. Ils sont réduits, soit à résister, soit à être broyés. Cela fait un moment que la barbarie du libéralisme avance.On n'a pas assez fait attention à cette machine qui affame et réduit à néant. On s'est laissé berner par des images et par des promesses. A présent, ce sont les gens qui travaillent avec leurs bras, ceux qui n'ont que leur force de travail, qui sont sacrifiés. Ce n'est pas limité à un pays ou à un continent. C'est une épidémie appelée "mondialisation". Que les pauvres crèvent! Ce fut le cri à peine dissimulé de l'ère Tatcher et Reagan. Nous en sommes là, et on attend. L'Abbé Pierre est loin. Sa voix devient à peine audible. Si la planète court à sa (notre) perte, on ne peut plus l'arrêter. La nature se met en colère. Et ce sont toujours les mêmes qui payent, que ce soit en Birmanie ou en Chine. En France on a découvert que la précarité se banalise. Pourtant ce n'est pas un pays pauvre. Il serait même très riche mais mal gouverné et dont le système crée des inégalités de plus en plus visibles. Le coùt de la vie ne cesse d'augmenter. Il faudrait qu'on nous explique comment un kilo de fruits acheté au propriétaire moins d'un euro par exemple se retrouve sur le marché à 9,90 euros. Comment un chef d'entreprise qui a ruiné la boite part avec des indemnités de plusieurs millions d'euros. Comment un appel téléphonique au prix de revient d'un centime est vendu au consommateur 0,58 euro. On peut continuer ainsi à donner des exemples d'exploitation de l'homme par l'homme. Mais ça fait ringard de rappeller que le capitalisme est inhumain, qu'il est cruel et sans pitié. Les valeurs d'humanisme, d'égalité et de justice sont rangées dans un placard. Les gens souffrent en silence. Je ne parle même pas des immigrés qui travaillent durement et n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Je ne parle pas des préjugés les concernant et la mise à l'écart de leurs enfants, eux citoyens français de seconde zone. La gauche, celle dont on a rêvé, celle qui lutte pour la dignité de l'homme, est réduite a des embrouilles politiciennes. Tout cela est rageant. Et l'on s'étonne de voir des hordes d'Africains traverser à pied le Sahara durant des semaines, puis tenter de passer sur les rives espagnoles au risque de perdre leur vie, et ils la perdent de plus en plus, on s'étonne et on dit qu'il faut faire quelque chose. Mais c'est inévitable. Les migrations seront le dernier recours contre la rapacité des puissants, ceux qui font de l'argent avec de l'argent à l'infini. Imagine! Imagine, comme dirait John Lennon, un monde où la rapacité et le mépris seraient bannis, un monde où la justice serait la principale préoccupation de ceux qui gouvernet. Mais les affaires sont les affaires. Pas d'état d'àme. Pas de discours. Il faut que la roue tourne. Quand tu n'es plus rentable, quand tes forces t'abandonnent, alors il faut s'approcher du cimetière ou d'une fosse commune. Là au moins, la terre humide est généreuse, hospitalière." -tahar ben jelloun-
les dessins sont de jiho collaborateur régulier du lien social