Les
média ne bruissent plus aujourd'hui que de l'annonce de la mort de Soeur Emmanuelle, leur grande amie, qui était aussi celle de l'Abbé Pierre. Il se trouve que je n'ai jamis été très attiré,
spirituellement parlant, par cette religieuse, non plus que par son cher ami, fondateur des Compagnons d'Emmaus. Peut-être leur connivence avec les média m'a-t-elle toujours mal disposé à leur
égard, si je reconnais volontiers que leur action humaine en faveur des démunis et des déshérités était indéniablement méritoire.
Je suis gêné d'apporter une note discordante dans le concert unanime à l'égard d'une personne décédée, qui plus est d'une religieuse, qui j'espère a rejoint le Père Eternel, et pour le
repos de laquelle je prie bien sincèrement, du mieux que je peux. Je crois qu'au fond de moi, leur foi en l'Homme, à elle et à l'Abbé Pierre, m'a toujours semblé très décalée, pour
des religieux, par rapport à leur Foi en Dieu. Ce qui n'est pas un compliment aux yeux du catholique pécheur, et bien imparfait que je suis, qui préfère chercher ailleurs des modèles plus
sûrs.
Deux exemples, parmi d'autres, me semblent symptomatiques à ce propos : l'adresse de Bernard Kouchner, aujourd'hui à la télévision, qui salue la "militante" en Soeur
Emmanuelle; l'objet social de l'association créée en 1980 par Soeur Emmanuelle. Je suis sûr que Bernard Kouchner n'entendait pas par "militante" que Soeur Emmanuelle
était un membre éminent de l'Eglise militante. Quant à ASMAE, l'ONG créée par Soeur Emmanuelle, elle se déclare "indépendante,
laïque, et apolitique" ( ici ) ce qui ne laisse pas de me faire songer, s'agissant d'une fondation par
une religieuse catholique.
Il y a huit jours le pape Benoît XVI canonisait sur la place Saint Pierre une autre soeur, Soeur Maria Bernarda, d'origine suisse, celle-là, alors que Soeur Emmanuelle était, comme moi, d'origine
franco-belge, ce qui ne me rend pas pour autant plus complaisant à son égard. 700 pèlerins venus de Suisse avaient fait le voyage, dont pas moins de 250 depuis son village natal d'Auw en
Argovie, qui ne compte que 1'600 âmes. Je serais bien étonné que Soeur Emmanuelle bénéficie un jour d'une canonisation autre que celle qu'elle reçoit aujourd'hui des média...
Cependant, ce qui rapproche les deux soeurs, ce sont les oeuvres. L'une comme l'autre ont enseigné. L'une comme l'autre ont créé des écoles et des établissements médicaux, Maria Bernarda
en Colombie (après avoir été en Equateur, qu'elle a dû fuir, après l'arrivée au pouvoir de francs-maçons persécuteurs, en 1895), Emmanuelle en Egypte. Il s'agissait dans les deux cas d'un amour
réel pour les pauvres. Les soeurs de Sainte Maria Bernarda ont été surnommées "les soeurs des poubelles de Colombie", Soeur Emmanuelle s'est intitulée - on n'est jamais si bien servi que par
soi-même - "chiffonnière avec les chiffonniers".
La différence toutefois est que Soeur Maria Bernarda a créé une Congrégation, la Congrégation des Soeurs franciscaines de Marie Auxiliatrice ( ici ), sous l'égide de Saint François d'Assise et de la Très Sainte Vierge, et que Soeur Emmanuelle, comme je l'ai dit plus haut, a créé une ONG, sous son
propre nom. Car ASMAE signifie en toute humilité "Association Soeur Emmanuelle".
Dans les deux cas, celui de la Congrégation de Soeur Maria Bernarda et celui de Soeur Emmanuelle, les pays où la Congrégation et l'ONG se sont implantées sont des terres de mission. Dans
le premier cas il s'agit d'implantations en Colombie, au Brésil, en Equateur, au Venezuela, en Bolivie, au Pérou et à Cuba, mais aussi en Autriche, en Suisse ainsi qu'au Mali et au Tchad. Dans
le second cas au Burkina-Faso, en Egypte, en France, en Inde, au Liban, à Madagascar, aux Philipines et au Soudan. L'internaute ne devrait pas s'étonner que la Suisse, l'Autriche et la France
soient comptées parmi les terres de mission...
Là encore la différence saute aux yeux. Du côté de la première sainte de Suisse, il s'agit d'apostolat. Comme le Saint Père l'a rappelé dans son homélie "(Maria Bernarda) fit part aux autres de
l'amour de Dieu, auquel elle consacra, avec fidélité et joie, sa vie tout entière". Du côté de la religieuse franco-belge, il s'agit d'amour tout court, d'humanisme, et de "programmes
humanitaires". Sans dénigrement aucun, qui ne serait pas charitable, on me pardonnera donc de préférer prendre Maria Bernarda pour modèle plutôt qu'Emmanuelle, que je laisse volontiers aux
média qui en sont si friands.
Après Saint Nicolas de Flüe (1417-1487), canonisé en 1947, et patron de la Suisse, celle-ci a donc le bonheur de compter enfin une sainte d'origine helvétique, Sainte Maria Bernarda
(1848-1924), la première depuis que la Confédération existe, et qui sera fêtée chaque année le 19 juin. Puisse cette sainte, à qui l'on reconnaît deux miracles, protéger mon pays d'adoption, et
intercéder auprès de Dieu pour exaucer, de la part de ses fidèles, les voeux qui Lui sont agréables.
Francis Richard