Je viens de faire un court séjour à Strasbourg pour m’arrêter un peu sur un moment important des itinéraires culturels : la Journée européenne de la Culture juive.
C’est en effet en Alsace que la volonté d’ouvrir un patrimoine volontiers tenu comme secret s’est fait jour il y a une dizaine d’années. On ne peut avoir vécu en Alsace sans savoir que la présence de la communauté juive, au côté des Protestants et des Catholiques est une réalité essentielle historique et contemporaine; d’autant plus à Strasbourg où l’enseignement religieux, voire les écoles puis les lycées liés aux trois grandes religions de tradition, pour ne pas parler de l’Islam plus récent, structurent la société urbaine, sans doute plus fortement encore que la société rurale.
Strasbourg a été marqué dans son histoire récente par la destruction de la synagogue du Quai Kléber en 1940, puis par la consécration d’un lieu de culte provisoire Place Broglie et enfin par la renaissance dans un autre quartier, de la Synagogue de la Paix. De la synagogue Kléber, la marque au sol et une plaque constituent un lieu de mémoire un peu ignoré devant un des temples du commerce contemporain : la galerie des Halles. Par contre toutes les petites synagogues de villages, comme les bains rituels, et les nombreux cimetières juifs sauvegardés se fondent aujourd’hui dans un environnement bâti, quand ils n’ont pas été, je veux parler des synagogues, désacralisés et transformés en centres culturels, voire en magasins ou en garage.
L’Alsace bossue, avec le musée de Bouxwiller, fait pourtant l’objet de circuits de visite, même si l’Agence de développement touristique du Bas-Rhin a laissé de côté depuis quatre ans sa collaboration directe à l’itinéraire du patrimoine juif.
Cette année, Claude Bloch qui est l’âme et de la reconsidération du patrimoine juif alsacien, et de la Journée européenne, mais à qui on doit aussi la volonté de créer un itinéraire européen, m’avait annoncé qu’à Rosheim serait présenté un livre édité par les éditions de la Nuée Bleue sur un personnage exceptionnel. Yossel de Rosheim, qui fut à l’époque du Saint Empire Romain Germanique, essentiellement sous Charles Quint, le défenseur et l’avocat, si on peut reprendre ces mots, des Juifs persécutés de l’Empire, et tout particulièrement des Juifs du Fossé rhénan.
Cett histoire là prend son ampleur dans cette époque de mutation européenne intense à laz fin du XVe siècle quand la Renaissance, l’Humanisme, la mise en place de la Banque et du capitalisme et la Réforme luthérienne – pour s’arrêter là – bouleversent toutes les données sociales et humaines.
L’idée que Yossel ait sillonné l’Europe de l’Empire et qu’il ait connu les puissants, les penseurs – si ce terme n’est pas trop anachronique – en tout cas, ceux dont les écrits religieux ou ésotériques retentissent jusqu’aujourd’hui, ne pouvait que m’attirer. Claude Bloch me connaît bien.Et l’intérêt de l’avanture est bien au-delà de ce que j’attendais.
L’ouvrage réunit finalement trois générations européennes.
D’abord celle du personnage dont on suit la vie avec passion, né en 1478 et mort en 1554.
Puis celle de l’auteur, une intellectuelle allemande née en 1890 et morte en 1981, révélée à la violence nationaliste au cours de la Première Guerre Mondiale. Mais elle est aussi révélée à son statut de femme, femmes à qui sont refusées les entrées universitaires, puis révélée à son statut de Juive à l’approche de la Seconde Guerre Mondiale, exilée enfin, pour une part de sa vie aux Etats-Unis.
Elle devient la biographe acharnée et fascinante dans son style comme dans ses connaissances, de femmes juives mais aussi de Madame de Staël et de cet « Avocat des Juifs », mais elle est également l’auteur du « Juif de Cour au temps de l’Absolutisme » et de « l’Etat prussien et les Juifs ».
Et enfin la génération la plus proche, celle des traducteurs et préfaciers, Freddy Raphaël universitaire sociologue strasbourgeois et Monique Ebstein,interprète auprès des institutions européennes. Une génération qui a vécu le drame de l’Europe nazie dans sa prime enfance et participé à la construction d’un rêve européen dans lequel le cauchemar de l’antisémitisme ne cesse de faire retour dans l’actualité et dans les faits divers.
J’ai déjà cité certains textes de Freddy Raphaël, en particulier à propos du Pont de l’Europe, et j’avais eu le plaisir d’accueillir les deux « auteurs » - on peut vraiment dire co-auteurs dans ce cas - il y a deux and à l’Institut à Luxembourg, à l’occasion d’une des réunions de ce petit groupe qui s’occupe du patrimoine juif dans la Grande Région.
Il faut acheter ce livre ! Je le dis rarement, mais là, je le dis avec force. Il y aura un Thema sur Arte le 8 février 2009 consacré à ce livre et le replaçant dans son contexte géographique. Mais en attendant cette soirée exceptionnelle, plongez vous dans livre universitaire rigoureux où les sources ont été explorées partout où elles pouvaient l’être, mais dans un récit échevelé qui nous révèle des pans entiers d’une histoire qui nous a faits des Européens et nous conte les récits de voyages diplomatiques qui dépassent un peu l’entendement que l’on a de la diplomatie religieuse et sociale aujourd’hui.
De Yossel, le héro je reparlerai demain.
Selma Stern.L’Avocat des Juifs. Les tribulations de Yossel de Rosheim dans l’Europe de Charles Quint. La Nuée Bleue / DNA, Strasbourg 2008.
Photographies : Freddy Raphaël et Monique Ebstein dédicaçant l’ouvrage. Exposition : Les Juifs et le Judaisme en Alsace. Autour de la représentation de la Synagogue sur le portail de la cathédrale de Strasbourg.