L’exposition de portraits que présente l’Ambassade du Brésil (Du 2 octobre au 14 novembre 2008) est intéressante à bien des égards : elle montre d’abord un aspect moins connu du photographe Alécio de Andrade (Rio de Janeiro 1938 – Paris 2003) également poète et musicien, celui d’une vie personnelle riche en rencontres, en amitiés et en complicités, et elle confirme une fois de plus les liens étroits tissés entre les artistes et les intellectuels français et brésiliens tout au long du XXème siècle.
En effet, qu’ils soient écrivains, artistes, musiciens, photographes et poètes ; qu’ils choisissent Paris comme source intellectuelle et visuelle ou qu’ils arrivent pour fuir la dictature, toutes les voix qui ont façonné l’image culturelle de la modernité brésilienne ont aimé Paris, qu’ils y séjournent brièvement ou qu’ils choisissent de s’y installer définitivement. Mais en offrant toujours à cette ville d’accès difficile un vrai retour d’affect et de création, la rencontre avec l’Autre ayant été, de part et d’autre, une irréductible source «d’enchantement».De Tarsila do Amaral, peintre qui apprend le futurisme avec Fernand Léger et prend conscience avec son compagnon le poète Oswald de Andrade de sa « brésilianité », aux réalisations architecturales d’Oscar Niemeyer au Havre et à Paris (siège du Parti communiste) en passant par les séjours prolongés d’artistes comme Cicero Dias, Lygia Clark, Sérgio Camargo, ou encore aujourd’hui Arthur Luiz Piza, Franz Krajcberg et Flavio-Shiró pour ne citer que ceux-là ; du compositeur Heitor Villa-Lobos à ceux de la MPB (musica popular brasileira) comme Chico Buarque ou Caetano Veloso…, la vie parisienne latino-américaine regorge de ces passerelles entre les cultures. Elle est particulièrement enrichie par les apports du Brésil, les Brésiliens comptant parmi les acteurs majeurs de ces croisements culturels.
Gilberto Gil, musicien, 1971, Paris, France
C’est en quelque sorte cette histoire que nous raconte Alécio de Andrade avec la vraie tendresse poétique qui est la sienne. La cinquantaine de portraits choisis par Patricia Newcomer témoigne de la sensibilité complexe et dense de cet entrelacs d’images, d’idées, de voix et de sons. Cette « richesse inépuisable de l’instant » dont parle Patrick Bensard à propos de l’art d’Alécio, cette « temporalité personnelle » relevée ailleurs, conjuguent la délicatesse et la puissance de l’affection avec l’amour-passion de la vie. Si le poète Carlos Drummond de Andrade - avec qui Alécio entretenait une relation d’amitié - écrivait que « sa création constitue un puissant, délicat, et inoubliable commentaire lyrique du monde », ces quelques portraits sont aussi là pour nous le faire partager. Sans prétention, saisis dans un quotidien pris au vol, sans effet de pose, dans la spontanéité de l’instant retrouvé. Dans le sillage des capteurs d’images avec lesquels il a une fi liation assumée, tels que Cartier-Bresson, Edouard Boubat ou Robert Doisneau, Alécio de Andrade apporte cette légèreté grave de l’instant. Ce n’est pourtant pas un Brésil de la nostalgie, capté dans son exil parisien. C’est un Brésil de la gaieté et de la rencontre, un Brésil de l’échange comme le montrent les photos de Pierre Seghers ou de Jean-Louis Barrault avec Vinícius de Moraes, ou de Mario Pedrosa avec Calder prises à Paris respectivement en 1972 et 1975. C’est le Brésil de la modernité à Rio ou à Paris avec les portraits, méditatif pour Carlos Drummond de Andrade (Rio, 1964) ou pensif pour Arthur Luiz Piza (Paris, 1971).
Lygia Clark
peintre, sculpteur
1969, Paris, France
La « simplicité » de la plupart de ces portraits crée chez le spectateur l’impression d’une familiarité que suscitaient déjà les photos de l’enfance où la spontanéité éphémère et furtive des gestes et des regards nous plongeait dans le réel d’une perception à fleur d’objectif. On découvre un Gilberto Gil jeune et barbu lors de son exil en Europe (Paris 1971), un Oscar Niemeyer élégant et doux à Paris en 1973 : certains artistes comme Frans Krajcberg (Paris 1975) et Sérgio Camargo (Paris 1971) sont accompagnés d’un objet signifiant ou d’une de leurs oeuvres tandis que Chico Buarque (Paris 1992) ou Lygia Clark (Paris 1969) sont captés dans un mouvement ou dans un geste à l’aisance naturelle : choisis ou fruits du hasard, ces clins d’oeil ne sont pas seulement esthétiques, mais témoignent de la complicité qui unit l’artiste photographié et son oeuvre avec le photographe.
Cette exposition nous rapproche sans aucun doute de ces êtres d’exception. L’humanité que leur insuffle le regard d’Alécio nous touche car il sait briser la distance, évoquer la fragilité, susciter les éclats de rires. Faire parler le silence des images, pour qu’elles vivent, en dehors d’une quelconque stratégie.
Source: Communiqué de presse (Christine Frérot, septembre 2008)
Exposition Espace Frans Krajcberg
Ambassade du Brésil
34, cours Albert 1er - 75008 Paris
du lundi au vendredi, de 10h à 18h