« La fraternité, ce n’est pas de la compassion ou de la pitié. La fraternité, ce n’est pas la politique des bons sentiments. La fraternité, ce n’est pas s’embrasser les uns les autres avec un sourire hébété bien sûr, même si ça n’est déjà pas si mal. La fraternité c’est d’abord penser à l’autre toujours. Parce que ce qui arrive de mauvais à l’autre ou qu’il soit, fini par générer quelque chose de mauvais pour soi même. Et aussi parce que ce qui arrive de bon à l’autre fini par créer du bonheur chez soi. »
Ségolène et moi. C’est le titre d’un billet sur Ségolène Royal que j’ai publié ici au lendemain de sa défaite au second tour de la Présidentielle, en mai 2007. Je l’ai relu aujourd’hui, alors
qu’on s’approche au PS d’un Congrès dont, j’en suis de plus en plus persuadé, il ne ressortira rien de bon. Je l’ai relu et, au-delà de l’émotion qu’il recèle entre ses lignes, qui me ramène à
cette période là, j’en pense encore chaque mot.
Je le republie aujourd’hui, corrigé et amendé pour tenir compte de cette année et demi qui s’est écoulée et qui, sur le plan de la politique, ne fut pas très heureuse. Au bout de cette grisaille,
une drôle de bonne femme a joyeusement rassemblé des gens, des musiciens, des artistes, des politiques, mais surtout des ‘‘simples’’ gens autour d’un mot d’ordre, la fraternité.
Le rassemblement de la fraternité de Ségolène Royal, organisé au Zénith il y a deux semaines, a suscité chez moi une réponse paradoxale. Cette femme m’épate, et m’intéresse, et me touche
toujours autant. Mais le pessimiste qui grandit en moi croit qu’il est trop tard, que le cynisme a dévoré l’âme des gens, et que plus rien ne pourra empêcher la chute. Je crois toujours au
progrès, mais je crois aussi que le progrès a parfois besoin d’une crise terrible pour ressurgir, et que nous ne sommes qu’au début d’une telle crise, aux premiers glissements d’une descente vers
l’abîme.
C’est en cela que j’attache de l’importance à Ségolène. Pas tant en tant que personne – parce que la tradition monarchique que la France a conservé au cœur de sa République, sa tentation de
croire à l’homme providentiel capable de maintes prouesses comme, par exemple, «aller chercher la croissance avec les dents», est terriblement délétère. Non, elle est importante pour ce qu’elle
représente, et qu’elle représente seule à ce jour. Son refus du cynisme, son acharnement à l’écoute, son souci de la réparation, son désir de collectif, son alliance étonnante entre un idéalisme
romantique et un pragmatisme nécessaire.
Si tout cela peut réunir suffisamment de gens, alors, peut-être, y a-t-il encore un espoir.
Ségolène et moi
Ségolène Royal est apparue dans le paysage politique vu depuis ma petite personne globalement aux alentours de septembre 2005. Bien sûr, avant j’avais déjà entendu parler d’elle, au cours de ses
passages aux Ministères, lors de sa victoire dans la région Poitou-Charentes en 2004. Aussi, et surtout, lors de ses sorties médiatiques sur le thème des médias, justement, LE sujet sur lequel
nous n’arriverions probablement pas à nous mettre d’accord tant sa vision de la télévision, par exemple, est souvent emprunte d’une morale petite-bourgeoise. Je lui concèderais toutefois d’avoir
un peu évolué sur ces sujets en 10 ans, sans prétendre qu’elle ait fait sa révolution médiatique. Et puis sa réaction au traitement médiatique de sa propre personne – un traitement inique – a
recentré la parole de Ségolène sur les médias à des problématiques plus réelles.
Mais enfin, en somme, je connaissais très mal Ségolène Royal, et n’avait sur elle rien de plus construit qu’un à priori -- qui se trouvait être négatif.
Ma petite personne n’était guère représentative. Depuis longtemps, Ségolène Royal jouissait d’une très bonne image auprès de la population, acquise à force de proximité et d’intérêt pour des
problématiques quotidiennes qui l’avaient rendues «différente» des autres politiques. Sa victoire aux Régionales contre la candidate adoubée par le Président sortant de sa Région, le Premier
Ministre de l’époque Jean-Pierre Raffarin, avait constitué un symbole fort. D’une part à cause de ces circonstances particulières. D’autre part parce que, déjà, Ségolène Royal représentait une
autre politique. Une autre façon d’être en politique, une autre façon de la faire.
Bien sûr, il faut tempérer cette notion de renouveau : Ségolène Royal n’est pas entrée en politique à l’occasion de cette vague rose de 2004. Elle est énarque, elle y a fait toute sa vie, en
«professionnelle de la profession». Mais il ne s’agit pas non plus de nier sa part de renouveau : le système actuel en France ne permet de toute façon pas au changement de venir de l’extérieur,
la nouveauté ne peut être apportée que par l’entrisme. Surtout, on remarque certaines constantes dans sa carrière : si elle a très tôt accédé aux responsabilités, elle s’est en revanche
consciencieusement tenue à l’écart des rouages internes du Parti Socialiste. Être devenue présidentiable sans avoir jamais été une femme d’appareil et de courant, c’est aussi cela la nouveauté de
Ségolène Royal.
Cette popularité élevée, constante, rendue plus rayonnante par la victoire aux Régionales qu’elle personnalisa, conduisit un jour de la rentrée 2005 un journaliste à cette question : la course à
l’investiture pour la présidence, voudrait-elle s’y lancer ?
Il faut remettre cette question à sa place, dans ce qu’elle a d’anodin. Cette question, on l’a aussi souvent posée à Des Kouchner ou Lang, d’autres figures très populaires, mais pas forcément
dans les rangs pour la course à la Présidence de la République. Non, ce qui fut surprenant, ce ne fut pas la question, et ce ne fut surtout pas la réponse plus que banale de Ségolène (en gros :
pourquoi pas ?), la surprise, ce fut la réaction. Celle de l’appareil, outrée de la place prise par l’effrontée qui avait pu prétendre se hisser au même niveau qu’eux sans s’être imposé de lutter
chaque jour pour sa survie dans les affrontements de courant depuis 20 ans. Le rejet fut immédiat. Le sexisme fut d’une grande violence : « qui va garder les enfants ? » demande Fabius.
Sans le savoir, les apparatchiks persuadés que la présidentiabilité était leur dû venaient, par leur violence, de placer Ségolène Royal sur orbite. Elle n’en décrocherait pas. Les élites, où ceux
qui donnaient le sentiment d’en faire partie, méprisaient copieusement Ségolène ? Elle montait d’autant dans les sondages. On pourra regretter cette réaction, ce rejet de la pensée d’en-haut.
C’est ne pas voir en quoi elle n’est que le symptôme d’un mal très profond qu’on a refusé de voir et de traiter. La rupture démocratique fait peser sur la France une menace de crise
institutionnelle permanente. Ségolène Royal aurait pu profiter de cet état de fait sans en saisir les enjeux. Ce n’est pas le cas. Elle est au contraire l’une des très rares, en France, à les
saisir et à proposer des solutions réelles et ambitieuses.
A partir de ce moment, je suivrai avec constance le parcours de Ségolène Royal au sein du PS. Je me rappelle de la couverture de l’Obs en décembre 2005. Et si c’était-elle ? Sur le même ton curieux et interrogatif, je me posais la même question. J’étais tombé sur ce numéro chez un ami, lors d’une soirée. Je me souviens que quelqu’un, je ne sais plus qui, m’avait demandé ce que je faisais à lire ce magazine à ce moment là. Je me souviens d’avoir répondu, à l’époque c’était encore en partie une boutade : « Je me renseigne sur la future Présidente ».
Le 13 avril 2006, je publie sur ce blog un post qui tourne autour d’une déclaration de Montebourg, faisant état de «l’utilité
politique de la candidature de Ségolène Royal». Comme lui, je tourne encore autour du pot. Mais comme lui, j’ai déjà compris que mon choix, c’était elle. Déjà, je ne suis plus les remous internes
des Verts, pour qui j’ai toujours voté, que d’un œil. Pourtant, Dominique Voynet, que je tiens en haute estime (s’il m’a lu jusque là, il va falloir réanimer Boris, là), remportera finalement
leur investiture. Mais non, je ne crois plus aux Verts. Mais je ne suis pas attiré vers le PS par la notion du vote utile (pas un instant je n’ai regretté mon vote Mamère du 1er tour en 2002,
parce qu’il émanait d’une conviction profonde), bien plus par l’inutilité évidente d’un vote Vert.
Et je commence à comprendre la part de folie qui s’est emparée du scrutin présidentiel, confondu avec les législatives (bien sûr, le fait que les législatives aient été détournées, tant par
l’absence de proportionnelle que par l’invraisemblable inversion du calendrier électoral, amplifient ce dérèglement). La campagne Présidentielle à venir ne ferait que confirmer mon sentiment
qu’un parti sous les 10% des voix n’a pas à y présenter de candidat. C’est aux législatives qu’ils doivent faire entendre leur pensée. C’est pendant des primaires bien conçues que les partis
minoritaires de leur courant de pensée devraient influer sur le débat présidentiel.
Ce débat, ces candidatures « de témoignage » ne font que l’embrouiller et le parasiter. Si les candidatures se limitaient à quatre ou cinq, alors il redeviendrait possible d’organiser de
multiples débats et confrontations entre les candidats. La faiblesse du débat du second tour Sarkozy-Royal, c’était aussi qu’en deux heures, on n’a pas le temps de parler de tous les sujets
importants. Deux ou trois débats de ce type sont un minimum. Savez-vous d’ailleurs que Ségolène l’a proposé, poussant même jusqu’à l’idée de cinq affrontements d’une heure tous les jours de la
seconde semaine ? Sarkozy a refusé, se contentant du minimum légal, après avoir déjà refusé le débat à quatre d’avant premier tour...
Début juin 2006, mon choix est déjà plus affirmé, même s’il s’appuie encore sur la parole d’un autre, en l’occurrence
Cohn-Bendit, qui a compris que les paroles de Ségolène Royal sont autant de bases sur lesquelles bâtir un nécessaire débat.
Pour la forme, et pour la forme seulement, parce que je sais que c’est inévitable, j’attends quand même qu’elle se positionne franchement pour l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples
homosexuels (ce qu’elle fait de manière prévisible quelques jours plus tard) avant d’affirmer un soutien total. Dès lors je
n’aurais plus d’hésitation, et argumenterais à loisir, un peu ici, surtout ailleurs, sur la nécessité du PS de ne pas faire n’importe quoi, c'est-à-dire cracher à la figure de la base militante
et sympathisante en donnant l’investiture à n’importe qui d’autre qu’elle. Car Ségolène Royal est, j’en ai à l’époque la conviction – et elle est intacte aujourd’hui – la seule qui pouvait
battre Nicolas Sarkozy.
Qu’est-ce qui m’amène à penser cela ? Et pourquoi la petite musique de Ségolène rentre-t-elle aussi franchement en résonance avec ma psychée ? Pourquoi me touche-t-elle ? Pourquoi est-ce que j’ai
autant le sentiment de comprendre où elle veut en venir ? Pourquoi j’adhère aussi finement aux prétendues étrangetés de sa «méthode» ?
J’argumenterai mon soutien à Ségolène Royal souvent pendant la campagne présidentielle, un peu ici, surtout ailleurs.
Pourtant, ces questions ont longtemps gardé leur part de... mystère irréductible. Je crois n’avoir tout à fait compris que mercredi 2 mai 2007, à la lecture d’un article de Libé. Un psychanalyste
y analyse «à la sauvage» la candidate. Je sais la limite du procédé. Il n’en reste pas moins que la lecture de l’article cristallise enfin des sentiments que je n’avais jamais réussi à saisir
pleinement. Celles de similarités qui auront probablement facilité notre entrée en résonance. J’ai toujours eu une forte tendance à l’empathie. Appliquée à une personnalité dont je comprenais sur
un certain plan intime «d’où elle parlait», celle-ci aura fait le reste et produit la compréhension qui a construit l’adhésion.
Je reproduis cet article ici :
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«La réparation est son refrain»
Psychanalyste, Ali Magoudi voit dans le vocabulaire
et les idées avancées par Royal un besoin d'exorciser les injustices. En résonance avec celles qu'elle a pu vivre adolescente.
Par Marie GUICHOUX
LIBERATION : mercredi 2 mai 2007
Ali Magoudi est psychanalyste. Il a notamment écrit et réalisé avec le journaliste Pierre Jouve en 1986 ‘‘Mitterrand, Portrait total’’ et, en 1987 ‘‘Chirac, Portrait total’’, après
de nombreux entretiens avec les deux intéressés. Pour cette présidentielle, il a étudié tous les documents disponibles, mais n'a jamais rencontré Ségolène Royal ¬ «Cela permet d'être plus neutre»
(1). Nous lui avons demandé de dresser le portrait psychologique de la candidate socialiste.
Quelle est la petite musique de Royal ?
Je dirais que c'est la même depuis qu'elle a pris la parole. Elle a une constante étonnante : sa sensibilité à ce qui se passe dans la famille des Français. Et elle fait de la politique pour répondre aux problèmes quotidiens des Français dans leur famille. Elle peut être très réactive face à l'actualité, mais sur ce qu'elle dit en profondeur, sur ce qu'elle est, elle est immuable. Si on tente de comprendre pourquoi, d'un point de vue conscient et inconscient, il apparaît qu'elle essaie de réparer ce qui lui est arrivé dans sa famille. On trouve dans un certain nombre de ses interviews, des déclarations selon lesquelles elle n'a jamais été battue, qu'il n'y a pas eu d'inceste dans sa famille... Alors même que personne ne lui a demandé quoi que ce soit.
Cette dénégation est-elle un indice ?
Dans le cadre d'une cure, on pourrait le dire. Là, je me borne à constater. Ce que vous avez fait aussi, en une de Libération, quand vous avez titré au lendemain de sa désignation après le vote interne du Parti socialiste «Une femme pas battue». C'est extraordinaire de voir comment à cette occasion votre journal a fait circuler l'inconscient de Ségolène Royal. La réparation est, à n'en pas douter, son refrain personnel. Et ce fait affectif agit son être politique.
Vous avez dit: «depuis qu'elle a pris la parole.» Pourquoi ?
Elle a présenté, pendant des années, visiblement jusqu'à Sciences Po, ce que tout le monde décrit comme une forme de mutisme. Pendant très longtemps, elle s'est tue et a écouté les autres. On retrouve là quelque chose de son enfance, de la violence de son père, d'un milieu très dissocié entre des valeurs traditionnelles et un antisémitisme affiché au retour de la messe. Dans ce monde, elle a serré les dents, fermé la bouche et évité les conflits directs dans lesquels elle n'avait aucune chance de gagner. L'écoute est une manière d'éviter le conflit. Cela lui est resté : c'est le modèle de l'écoute participative.
De quand datez-vous ce changement ?
Elle prend la parole quand elle écrit son premier livre en 1987 et qu'elle fait ses premières apparitions télévisées. A la même époque, quand on lui demande quelle est son ambition et si elle veut un jour prétendre à l'Elysée, elle rit comme elle le fait souvent pour se défendre et répond : «Non, à moins que le chabichou amène à l'Elysée...» Guérie de ce mutisme, elle est aujourd'hui dans le flot. Son débit est celui de quelqu'un qui a eu du mal à se lancer, à prendre la parole, mais maintenant il n'y a pas moyen de l'interrompre. C'est une très bonne débatteuse.
Qu'entendez-vous dans le slogan de «l'ordre juste», qui a scandé sa campagne ?
Son père, à l'évidence, profitait de ses titres militaires pour faire le gendarme à la maison. Ce n'était pas un mauvais père alcoolique, c'était un militaire de carrière, c'est-à-dire qu'il y a quelque chose entre son père réel et la fonction d'autorité dont il profitait, qui nécessite pour elle de remédier à cette confusion. Qui est maltraitant ? L'institution ou le père ? Elle essaie de réparer l'institution. L'ordre, pour elle, c'est l'ordre militaire. Et il lui a semblé que l'ordre incarné par la figure de son père est un ordre injuste, puisqu'injuste avec elle. «C'est pas juste !» est un mot infantile. L'ordre n'est pas un mot infantile.
Quelle est la place de la mère ?
D'une manière générale, on a peu d'éléments sur elle comme sur son ascendance paternelle. Il est certain que c'est une mère qui a beaucoup compté pour ses enfants. Elle tient cette famille comme elle peut. Elle faisait du tricot et elle aimait la laine rouge. Quand on regarde les archives de la famille, on voit dans un film super-huit sur la plage de Dakar des enfants avec des cardigans en laine rouge. A Chamagne, les enfants ont des bonnets rouges, et quand le frère de Ségolène Royal est envoyé en expédition dans l'histoire du Rainbow Warrior, il est décrit comme l'homme au bonnet rouge...
Sa panoplie vestimentaire dans la campagne est noir, blanc, rouge...
Tout à fait. Quand la mère a accompli son rôle de mère nourricière, que les enfants sont à peu près casés (Ségolène Royal fait alors ses études à Nancy), elle s'en va seule de son côté. A partir de ce moment-là ni les deuils, ni les mariages, ni les enfants des frères et des soeurs ne réconcilieront cette famille. Ils ne se voient jamais. Aujourd'hui, Ségolène Royal est une femme qui n'a pas de lien avec sa mère, qui est toujours vivante. En politique, elle est dans la protection des femmes, avec cette volonté de faire entendre les voix rendues silencieuses.
Souvent, elle dit qu'elle est une femme libre. Cela vous paraît-il être le cas ?
En apparence, elle ne semble pas dépendre de ce qui lui est arrivé dans son passé. C'est très saisissant une personne qui assume comme ça à la fois le «je ne vois pas ma mère»-«mon père est mort»-«j'ai fait un procès à mon père parce qu'il ne donnait pas l'argent nécessaire pour les études des frères et soeurs»-«j'ai gagné le procès»... Tout ça ne pose pas de problème. Je suis libre. Comme libre de faire partie du Parti socialiste et de ne pas perdre mon temps dans les motions, les combats stériles internes pour arriver à être choisie, je contourne librement. Et surtout, je dirais, elle est libre d'utiliser le vocabulaire et le langage qu'elle désire.
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Je sais la limite du procédé, je le répète. J’ai pourtant la conviction profonde que, cette fois-ci, il vise ultra juste et que cet entretien livre beaucoup des clés qui déverrouillent ce « mystère Royal ».
Je sais aussi qu’une bonne part de ce qui nourrit mon intérêt suscite chez d’autres des doutes, voire le rejet. Ainsi de son aspect maternant, celui qui consiste à « vouloir pour la France ce [qu’elle] a voulu pour [ses] enfants ». Moi, je trouve que c’est une très belle base d’engagement politique.
Ce que je pense, c’est que la cohérence et le sens du projet politique porté par Ségolène Royal se nichent dans ses apparentes contradictions. Abordons ainsi la question des droits des gays et
des lesbiennes, qu’évidemment je connais bien. Le paradoxe est le suivant : d’un coté, Ségolène est l’une de ceux au PS qui ont accepté avec le plus de retard de se rallier à l’égalité absolue
des droits pour les gays et lesbiennes, par le biais de l’ouverture du mariage et de l’adoption. Mais la tentation d’y voir une homophobie est désamorcée par le passé : au Ministère de la
Famille, elle recevait l’APGL, Associations des Parents et futurs parents Gays et Lesbiennes aux cotés des autres associations familiales et, surtout, elle rédigea sa loi sur les droits du
co-parent de manière à ce qu’elle puisse s’appliquer aussi aux couples homosexuels. Ségolène Royal n’est pas homophobe. Ses réserves ne sont pas vis-à-vis de l’égalité des droits : elles se
situent du coté de la volonté de ne pas faire violence à la société, qu’elle veut réparer dans la paix civile et sociale. Il faut agir sur les mentalités et provoquer l'adhésion avant de
réformer. C'est le moyen de faire d'une réforme un fait qui s'ancre dans l'histoire d'un pays plutôt qu'une énième Loi jamais appliquée ou abrogée par le gouvernement suivant. Son ralliement à
l’ouverture du mariage alla donc de pair avec le ralliement de la société à cette idée.
On aura constaté ainsi, d’ailleurs, que si la culture catholique a eu chez elle une importance, Ségolène n’en est pas pour autant prisonnière, ce qui se traduisit aussi par sa vie passée en union
libre, ou la mise en place de la pilule du lendemain dans les Lycées qu’elle signa dans son passage au Ministère. Être libre, ce n’est pas prétendre, ni même sincèrement croire, qu’un ne subit
aucune influence, puisque cela n'existe pas. Et être dans le déni et croire qu'on n'est pas influencé, c'est donc être soumis. La liberté, c’est de savoir ce que ces influences sont, quels biais
elles produisent, et savoir trancher en leur défaveur face à l’intérêt général quand il le faut. En ce sens, Ségolène Royal est, incontestablement, une femme libre.
Le Dimanche de sa défaite, la liberté bravache de Ségolène a encore imposé sa petite musique particulière. En opposition totale avec l’image, cinq ans plus tôt, de Jospin blessé dans son orgueil
se «retirant» (sic ! On aurait bien aimé) de la vie politique, Ségolène souriait, remerciait, et encourageait. «Le combat continue».
Une attitude à mettre en parallèle avec le récit de la journée de campagne de vendredi dernier, racontée dans Libé le samedi précédent. On nous y parle de l’équipe de campagne défaite, qui sait
depuis la veille la bataille définitivement perdue, qui n’a plus vraiment le cœur à faire semblant. Au milieu de tout cela, Ségolène est la seule à n’avoir pas vu son enthousiasme et sa pugnacité
baisser d’un millimètre. Conjurant les sondages et la fatalité, elle se bat à la tribune comme si la victoire était encore à portée de main. Inconscience ? Bien sûr que non.
Dans Le Monde daté du mardi de cette dernière semaine avant le second tour, on nous rapporte que jeudi, à la lecture de la salve de trois sondages réalisés après le débat et la donnant perdante,
Ségolène Royal a su comme tout le monde que Sarkozy serait dimanche élu président. Ce jour-là, même, des larmes on coulé sur son visage nous rapporte-t-on. Alors ?
Alors, Ségolène Royal sait qu’elle représente plus qu’une candidature. Elle porte une espérance collective, celle d’un renouveau socio-démocratique (pas seulement social-démocrate) et d’une ouverture vers l’avenir. Et elle sait que rien n’est plus destructeur que de détruire l’espérance qu’on a porté comme le fit Jospin au soir du 21 avril 2002. Ce jour-là, Lionel Jospin lui-même a fait infiniment plus de mal à la gauche que la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour.
Une défaite n’est qu’une étape dans un parcours. Croire le contraire, c’est approuver le discours de droite qui consiste à dire que si l’on a perdu, c’est que l’on est un perdant. Quand deux génies s’affrontent, l’un des deux perd, et il n’en devient pas débile pour autant. L’idéologie de la victoire est un fascisme dont une société qui souhaite l’épanouissement de chacun doit se débarrasser.
Le combat continue sur les bases de la dynamique qui s’est engagée, dont il ne faut pas faire table rase, mais sur laquelle il faut continuer de construire. C’était ça, la « France Présidente ».
C'est-à-dire la dynamique collective qui créé la révolution vraie. Parce qu’ensemble, une fois le dialogue engagé, les dogmes sont révélés pour ce qu’ils sont. Ensemble, une fois le dialogue
engagé, on peut se dire qu’un-e caissier-e de supermarché en bave plus qu’un tel qui a un système de retraite ultra-avantageux, et que ce n’est pas juste. Alors, on peut remettre
entièrement à plat la question de la pénibilité. Ensemble, une fois le dialogue engagé, on peut se dire que le recul social, ce serait de voir diminuer le nombre d’années dont on peut profiter
une fois qu’on part en retraite, mais que face à l’allongement de la durée de vie, nous sommes loin d’en être là.
La justice sociale, ce n’est pas de s’arc-bouter sur des avantages acquis, c’est de réévaluer ces avantages constamment, pour qu’ils reviennent à ceux qui en ont vraiment besoin. C’est cela
être de gauche aujourd’hui ! Justice et pragmatisme étaient presque à portée pendant cette campagne. Mais voilà : la révolution vraie ne se fait pas en six mois.
Dans les derniers temps de la campagne, j’ai acquis une conviction profonde. Elle a émergé d’un constat : la profonde hypocrisie, de plus en plus marquée, des critiques qui frappaient Ségolène
Royale au fil des mois.
Quoi qu’elle fasse, on le lui reprochait. Silencieuse, elle était une Bécassine ignare. Prenant la parole, une Cruella agressive. (Que de sexisme, encore, dans le sous-texte !)
Pendant la phase de débats participatifs, elle n’avait pas de programme. Après Villepinte et la mise au jour du Pacte présidentiel, on expliqua qu’elle en avait trop, que 100 mesures, c’était un
peu n’en avoir aucune, que tout cela n’était pas finançable. (Son programme coûtait le même prix que celui de Sarkozy...)
Après six mois de campagne, on lisait encore des billets de blog ou, pire, des papiers de journaux qui semblaient avoir découvert la démocratie participative la veille et ne toujours rien y
comprendre.
Dans les derniers jours de campagne, j’ai acquis une conviction profonde. La France n’avait plus la «stature» pour défricher des terrains vierges. Dans un pays rongé par le repli sur soi, la peur, son bon vieux modèle patriarcal sexiste, dans cette France là, Ségolène était trop originale, trop peu conservatrice, trop en avance.
En six mois de campagne, Ségolène m’a convaincu. Je suis convaincu de sa volonté de ne pas être Présidente pour elle. Je suis convaincu de sa capacité à porter une espérance collective. Je suis convaincu de son intégrité. Je suis convaincu de son sens aigu de la justice. Je suis convaincu de sa capacité d’analyse de la société française. Je suis convaincu de sa capacité à innover. Je suis convaincu de sa capacité à réformer. Je suis convaincu de son aptitude à ne pas traumatiser. Je suis convaincu qu’en 2007, une chance nous a glissé entre les doigts.
Ségolène et les autres
Je voudrais croire que c’était juste partie remise. Je ne suis pas sûr de le pourvoir encore. Certaines chances ne se présentent pas deux fois. Même si Ségolène remportait l’élection en 2012,
serait-elle la même Ségolène ?
Cette interrogation-là était très forte au lendemain de la présidentielle. Elle l’est restée longtemps. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas. Samedi soir, au Zénith, Ségolène était plus
Ségolène que jamais. C’était agréable de la voire revenir à elle-même, après l’avoir fut se forcer à des exercices qui ne lui correspondent pas, comme le discours bloquée derrière un pupitre.
La réponse médiatique a sa personne, elle, reste toujours aussi délirante. Les mêmes qui lui reprochent de privilégier la forme sur le fond passent dix minutes a commenter sa tenue ou sa permanente, et presque rien, voire carrément rien parfois, a évoquer ce qu’elle a pu raconter. Le tout sur un air de nouveauté absolu, alors que ce n’est pas la première fois que Ségolène donne dans le discours en se baladant sur scène sans pupitre (déjà, les débats participatifs tendaient vers ce type d’organisation, où elle est plus à l’aise). Alors que le look le plus décontracté s’explique assez aisément par le plateau culture-politique-concert de la manifestation versus l’époque de la campagne présidentielle forcément plus guindée. Alors que bon, une femme qui se frise les cheveux un soir, ce n’est pas exactement un événement, et qu’il ne viendrait à l’idée à personne de commenter un changement de coiffure d’homme (masculin) politique. Les cheveux de Ségolène ou de Dominique Voynet sont eux l’objet d’un étonnant fétichisme médiatique qui témoigne avant-tout de la perception résiduelle sous-jacente de l’illégitimité de la femme en politique.
Le discours de Ségolène au Zénith portait sur ce que je vais appeler le thème de la réconciliation nationale. Et non seulement c’est un sujet de fond, mais je pense que c’est le sujet principal
de notre temps, au cœur d’une époque d’individualisme encouragé par la politique du bouc-émissaire de la droite sarkozienne. C’est sûr, c’est un sujet qui n’a pas l’avantage de pouvoir donner
l’impression d’être résolu en ânonnant quelque pseudo-réponse technique ou mesurette convenue. Mais la politique doit retrouver cette force d’inspiration là. Et la gauche doit trouver les moyens
de ré-imposer ce type de vision alternative de la société. En tout cas, elle le doit si elle espère toujours remporter les élections nationales. A ce moment là, les réponses techniques devront
être prêtes, mais ce n'est pas elles qui feront gagner l'élection : c'est la vision du monde que les réponses techniques doivent traduire en réalité. Au PS, beaucoup sont en panne de vision. Les
leaders techniciens déconnectés de la société, à la Jospin, doivent être ramenés à ce qu'ils sont : de bon ministres, certainement pas de bons dirigeants. Leurs échecs électoraux en
attestent.
A l'heure actuelle, l'alliance Jospin - Hollande - Delanoë menace fort de remporter le Congrès. On prend exactement les mêmes, et on recommence. Je ne vois pas ce qui pourrait arriver de
pire, puisque dans cette configuration la meilleure chose qui puisse se passer, c'est qu'ils se plantent suffisemment rapidement pour être écartés d'ici 2010. Sinon, il faudra se faire à
l'idée que la gauche n'a aucune chance à la Présidentielle avant 2017. En l'ocurence, je commence à m'y faire. Mais c'est dur.