Qui a dit que la littérature n'était plus à la mode, dépassée par l'avènement de la société de communication et l'omnipotence du web ? Erreur, le marché du livre ne s'est jamais aussi bien porté. Enfin quantitativement parlant, parce que pour la qualité on repassera. Le livre est même devenu le moyen principal de communication pour toutes les têtes connues de notre monde. Pas une catégorie qui ne passe au travers : journalistes, chanteurs, sportifs, hommes politiques, comédiens, jusqu'aux hommes de main des plus puissants qui ont forcément moultes anecdotes croustillantes à raconter, tous y vont de leur petit couplet, dans le seul et unique but d'exposer leur vie et leur façon de penser au regard acéré et peu indulgent de la page blanche. Evolution de moeurs logique qui nous fait entrer de plein pied dans l'ère du roman-réalité. Se prendre pour un écrivain est aujourd'hui le meilleur moyen de revenir sur le devant de la scène, d'enchaîner par la suite interviews et émissions en tous genres, et rester ainsi en haut de l'affiche. Mais que cette affiche est terne la plupart du temps.
Prenez le temps de vous promener dans les rayons de librairie des grandes surfaces, vous ne verrez que ça : des piles d'ouvrages fades et sans contenu, maladroitement écrits par des personnages aussi insipides dans leur vie qu'ils peuvent être doués dans leur domaine, et dont chaque titre pourrait être résumé par " ma vie, mon œuvre, ma philosophie ". Quel ego surdimensionné peut ainsi pousser des gens nullement doués pour l'écriture vers l'exercice hautement périlleux de l'autobiographie ? Comment peut-on avoir la prétention délibérée de se dévoiler en public en pensant intéresser le lecteur lambda ? Au diable ces considérations terre-à-terre, l'heure est à la pluralité et plus personne ne peut se contenter de rester cantonné dans sa spécialité. La conséquence ? Les sportifs chantent, les chanteurs écrivent, les écrivains jouent la comédie, les acteurs se politisent - où est-ce l'inverse ? - et à de rares exceptions près la même impression générale que chacun ferait aussi bien de se contenter de faire ce qu'il sait faire le mieux. Les ventes sont là pour prouver le contraire évidemment, mais j'ai depuis longtemps abandonné le baromètre populaire pour me faire une idée de la qualité d'une œuvre.
Difficile de s'y retrouver dans cet amas informe de couvertures racoleuses cachant des pages rédigées à la va-vite. Les vrais talents se retrouvent noyés, sans aucune portée médiatique, devenant les victimes collatérales d'une auto-régulation qui n'est finalement pas si éloignée d'une certaine forme de censure institutionnelle par indigestion chronique. On ne remarque un livre que si il choque, si il agresse, si il provoque, et si possible gratuitement. Le choc des mots, le poids de l'ego, ou comment faire de sa vie privée un fond de commerce. Le hiatus est manifeste avec la vocation première du livre qui est justement de profiter d'un temps d'attention plus élevé que les autres sources de communication pour pouvoir soulever des vraies questions, raconter des vraies histoires, sans crainte de se faire zapper au bout de deux minutes par une page de publicité - peut-être que le temps de la publicité dans les romans n'est pas si éloigné que ça après tout.
Je suis fatigué de voir ces messieurs venir s'expliquer sur les plateaux, et prétendre qu'ils n'ont pas voulu dire ce qui est écrit de leur main. Choquer ouvertement pour créer la polémique, puis profiter du micro tendu pour adoucir les angles et expliquer sa vraie position, la méthode ne date pas d'hier mais tend à se généraliser en toute impunité. Tout le monde se plie désormais à cette façon de faire, sans quoi le message n'atteindra jamais sa cible. Je suis toujours sidéré de voir un ex-otage des Farc sortir un livre trois mois après sa libération. Trois mois... Comment peut-on espérer rédiger quelque chose en si peu de temps ? Et au-delà de ça, est-ce un délai suffisant pour tirer pleinement le bilan d'une expérience aussi traumatisante ? Assurément non. Mais voilà, il faut profiter de la vague tout de suite, quitte à sacrifier la qualité, sous peine de voir ses écrits sombrer dans l'oubli. S'adapter ou se taire, voilà le choix proposé aux écrivains d'aujourd'hui. Si chaque époque de l'histoire a eu son école littéraire, il ne reste plus qu'à trouver un néologisme pour décrire celle que nous vivons. L'insipisme, oui, ça pourrait coller.
(C'est donc ça nos vies... 20.10.2008)