“La parole prononcée fait foi”
Contrairement à la proposition du Conseil fédéral, l’augmentation de deux ans de l’âge de la retraite des femmes a été introduite dans la 10e révision, sans que l’anticipation soit modulée en fonction des revenus.
La 11e révision allait, c’était promis, s’occuper de l’âge de la retraite et des conditions de son anticipation; il était évident, à l’époque, que ces conditions devraient tenir compte du niveau de revenu des rentiers, afin d’accorder ce droit également aux personnes à bas salaire, notamment aux femmes.
Lors de la campagne précédant la votation de juin 1995 concernant cette 10e révision de l’AVS ainsi que l’initiative pour l’extension de l’AVS et de l’AI, le Conseil fédéral s’appuyait, dans son argumentation, sur la promesse d’une retraite flexible prenant en considération la situation économique des retraité(e)s. Il chiffrait même le montant qu’il proposerait de consacrer à cette fin. L’adoption de la 10e révision et le rejet de l’initiative ont été dus, très largement, à cette perspective dessinée pour un proche avenir. Et lors des votations qui ont suivi en 1998 et en 2000, le même refrain a été entonné par les adversaires des initiatives : nous sommes, Conseil fédéral et Parlement, en train de concocter une 11e révision de l’AVS qui apportera de bien meilleures solutions. Et il est vrai que le projet initial contenait une solution de retraite anticipée selon laquelle la réduction de la rente serait modulée en fonction du revenu déterminant, reflet des salaires reçus tout au long de la vie active. Cette solution avait l’avantage, par rapport à toutes celles qui avaient été examinées, de ne pas prétériter les femmes. Le Parlement ayant supprimé ces dispositions, la 11e révision fit l’objet d’un référendum. Le peuple la rejeta de cinglante façon : 67,9 des votants et 75 % des femmes ; si l’on considère la carte de la Suisse, il vaut la peine de rappeler que, dans aucun canton, le projet de loi ne trouva de majorité. Rarement projet soutenu par tous les partis du centre et de la droite, les autorités et les milieux économiques ne connut pareille déroute.
Nous étions alors en mai 2004. La crainte du souverain étant le début de la sagesse, on pouvait s’attendre à ce que le Conseil fédéral et le Parlement comprennent la leçon. Il n’en fut malheureusement rien. Le Conseil fédéral réussit à faire l’unanimité contre sa nouvelle proposition (une rente-pont pour les chômeurs et les invalides, déchargeant ces deux assurances sociales). Le Parlement examina plusieurs idées, sans en retenir aucune. Et, en mars de cette année, le Conseil national se contenta de voter une augmentation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Le jeu de l’oie continue donc : nous serions renvoyés à la « case départ », s’il n’y avait l’initiative soumise au vote fin novembre. C’est la seule solution concrète à portée de main : il faut la saisir. Elle instaure enfin une retraite anticipée flexible et accessible à toutes et à tous !
Passer dignement de la vie active à la retraite
La plupart des hommes et des femmes travaillent volontiers jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite, voire même au-delà. L’AVS n’a rien d’une guillotine, qui couperait une personne, à une date fixée par la loi, du monde du travail. Par ailleurs, pour ceux qui ont accumulés une fortune et celles et ceux dont l’avoir de vieillesse des 2e et 3e piliers est important, rien ne les empêche, s’ils le souhaitent, d’anticiper leur retraite.
Leur rente serait alors réduite de 6,8 % par année d’anticipation, soit une diminution de 13,6 % pour une
retraite anticipée de deux ans. Dans la mesure où l’AVS ne représente qu’une faible portion de leurs revenus,
leur liberté de choix ne s’en trouve pas limitée. C’est la raison pour laquelle ce ne sont pas celles et
ceux qui auraient le plus besoin d’anticiper la retraite qui le font, mais celles et ceux qui peuvent se l’offrir.
Privilège de l’argent ! Négation de la réalité des besoins et de l’inégalité des chances !
Nombreuses sont les personnes qui souhaiteraient continuer à travailler jusqu’à 64 ou 65 ans mais ne le
peuvent pas. Soit leur état de santé ne le permet plus, soit elles perdent leur emploi et n’en retrouvent pas
de nouveau. Quels horizons s’ouvrent alors devant ces personnes : soit un parcours humiliant, douloureux,
entre la vie professionnelle et l’âge terme de la retraite :
Le chômage : les chômeuses et chômeurs âgés sont particulièrement touchés par le chômage de longue
durée. À la fin 2007, près de 50 % des chômeurs et chômeuses entre 60 et 65 ans étaient au chômage
depuis une longue durée, c’est-à-dire depuis plus d’un an. Quiconque perd son emploi après 60 ans
court le risque de ne jamais en retrouver un.
L’invalidité : Les dernières statistiques de l’assurance-invalidité témoignent d’un risque massif d’invalidité
dans les années précédant la retraite. En considérant l’ensemble de la population, la probabilité de recevoir
sous une forme ou une autre une prestation de l’AI est de 7 % (1 personne sur 14). Parmi les hommes
de plus de 60 ans, un sur cinq touche une rente invalidité.
L’aide sociale : Lorsque le droit aux indemnités journalières de l’assurance-chômage est épuisé, et si
l’invalidité n’est pas constatée, c’est l’aide sociale et le soutien des proches qui permettent de survivre.
Pour celles et ceux qui, en anticipant l’AVS d’un ou deux ans, évitent ce parcours si difficile, la réduction
de la rente de dizaines, voire d’une ou deux centaines de francs par mois signifie de réelles privations. Je
ne connais que trop bien la réticence de rentiers pauvres à faire valoir leur droit aux prestations complémentaireset qui s’imposent une vie matériellement étriquée. Ne l’imposons pas à celles et ceux qui sont à bout de souffle.
L’initiative pour un âge de l’AVS flexible permet de faire face à de telles situations ou de les éviter. Elle
correspond à un besoin avéré. Elle poursuit aussi l’oeuvre des pionniers qui ont créé cette pierre angulaire
de la politique sociale suisse. Une institution qui a largement permis de combattre la pauvreté des personnes âgées. Une institution que les Suisses ont voulu particulièrement solidaire : en effet, il y a une acceptation générale du caractère redistributeur de l’AVS. Or, dans la réalité, l’inégalité devant la mort (et la
maladie) pèse sur la réalisation de cet objectif. L’espérance de vie à 65 ans est bien différente, selon le
statut socio-professionnel et le revenu. Plus ils sont bas, moins nombreuses sont les années qui, statistiquement, restent à vivre, moins nombreuses sont donc les rentes mensuelles qui seront versées. Ce sont donc bien les personnes dont le statut socio-professionnel et le revenu sont faibles qui doivent pouvoir partir plus rapidement à la retraite. Ce sont celles qui ne peuvent pas, ou que difficilement, renoncer à une partie de leur rente.
Un enjeu particulier pour les femmes
De nombreuses femmes disposent d’un petit revenu du travail et, par conséquent, leur deuxième pilier est
insuffisant, voire inexistant. Aujourd’hui, lorsqu’elles doivent ou veulent mettre un terme à leur activité lucrative avant l’âge ordinaire de la retraite, elles n’ont pratiquement pas la possibilité de se faire financer
une retraite anticipée par leur caisse de pension. Comme elles n’ont pas de rente ou seulement une rente
très faible du deuxième pilier, rente qui est du reste généralement réduite de surcroît en cas d’anticipation,
la plupart ne peuvent se permettre d’anticiper une rente AVS qui sera amputée. Voilà pourquoi les femmes
ne peuvent guère aujourd’hui partir à la retraite avant l’âge ordinaire. La flexibilisation sociale de
l’âge de la retraite de l’AVS revêt donc une importance toute particulière pour elles. Ce sont les femmes
qui ont le plus besoin d’une rente sans réduction en cas de retraite anticipée.
Ruth Dreifuss, ancienne conseillère fédérale
CONFÉRENCE DE PRESSE DU 20.10.2008