J'ai tent?? d'analyser un certain nombre de facteurs qui ont conduit ?? transformer une bulle immobili??re, dont des interventions publiques mal con??ues sont responsables, en d??sastre financier mena??ant de se propager ?? la plan??te enti??re.
The forgotten rule
Malgr?? la r??gularit?? de mes publications sur le sujet ces derniers jours, j'ai pour l'heure omis de vous parler d'une autre r??glementation ??tatique qui ?? l'usage se r??v??le inadapt??e, et dont les d??g??ts sont aujourd'hui consid??rables, bien qu'elle ait sans doute ??t?? vot??e avec d'excellentes intentions. Il s'agit de la pratique du "Fair Value Accounting", encore appel??e "Mark-to-market". De quoi s'agit-il ?
Au lendemain de la crise des caisses d'??pargnes am??ricaines de la fin des ann??es 80, il est apparu que certaines soci??t??s sur-??valuaient leurs actifs en jouant sur les dates et les p??riodes de valorisation. Le probl??me pos?? est loin d'??tre trivial : lorsque votre soci??t?? d??tient en portefeuille des parts d'une autre soci??t?? cot??e en bourse -- ou tout autre actif faisant l'objet de cotations au jour le jour --, ces parts fluctuent quotidiennement. Pour autant, vous n'allez pas, chaque jour, modifier votre bilan pour tenir compte des variations de ces parts: d'abord parce que cela rendrait illisible votre bilan, d'autre part parce que m??me si elles perdent temporairement de la valeur, vous n'avez rien perdu tant que vous n'avez pas vendu. Il existait donc, dans chaque pays, des r??gles permettant d'affecter ?? ces actifs volatils une valorisation moyenne raisonnable.
H??las, avec le temps, sous l'amicale pression de tel ou tel lobby, ces r??gles se sont complexifi??es et des personnes peu scrupuleuses ont utilis?? cette complexit?? pour faire preuve de "cr??ativit?? comptable", respectant la lettre de la r??gle mais en violant ouvertement leur esprit pour camoufler des pertes.
Par cons??quent, dans les ann??es 90, un certain nombre de textes ont ??t?? modifi??es, pour, esp??rait-on, que les bilans comptables des entreprises refl??tent ce qu'ils sont cens??s refl??ter, c'est ?? dire la situation comptable exacte de l'entreprise.
Qu'est-ce que le Mark to Market / "fair value" accounting ?
L'une de ces r??gles est donc le fameux mark-to-market, obligeant les entreprises ?? inscrire dans leur comptes la valeurs de leurs actifs en temps quasi r??el, d??s que leur valorisation s'??carte d'une variation consid??r??e comme normale. Cette r??gle a ??t?? renforc??e en novembre 2007 par l'adoption d'une norme po??tiquement d??nomm??e FASB 157.
A premi??re vue, cette obligation fait sens. Apr??s tout, lorsqu'un actif se d??pr??cie, il para??t logique que la comptabilit?? de l'entreprise, qui doit informer les march??s sur son ??tat financier r??el, prenne en compte cette d??pr??ciation.
Mais la r??gle devient v??n??neuse lorsque, en p??riode troubl??e, les volumes ??chang??s sur un type d'actif tombent ?? presque z??ro, les rares ventes effectu??es par des personnes poss??dant ces actifs ??tant des transactions de "sauve qui peut" rendues absolument n??cessaires par l'??tat de la tr??sorerie de l'entreprise, et qui placent le vendeur dans une position de faiblesse absolument dramatique.
Le type d'actif qui fait ici probl??me sont les obligations (CDO) ??mises par des fonds de placement de sur cr??dits hypoth??caires, les d??sormais c??l??bres "Mortgage Backed Securities", dont personne ne semble vouloir, faute d'??tre capable d'en estimer la valeur r??elle. Les rares transactions effectu??es, telles que celle conclue fin juillet entre Merrill Lynch (rachet??e depuis par Bank of America) et un fond sp??culatif Texan, ont valoris?? les portefeuilles de CDO revendus ?? seulement 22% de leur valeur nominale !
Or, il est extr??mement peu probable que la valeur finale de ces CDOs soit aussi faible que 22% de leur valeur faciale. C'est d'ailleurs le pari fait par le fond qui les a rachet??es: il esp??re, quand la crise se calmera, r??cup??rer non pas 22%, mais sans doute bien plus, des dettes cach??es derri??res ces CDOs. Ceci dit, s'il a mal estim?? la valeur r??elle de ces bons, il laissera sa chemise.
Incidemment, c'est aussi le pari que fait Hank Paulson lorsqu'il cr??e un vaste fond sp??culatif de rachat des cr??ances pourries des banques am??ricaines, transformant le contribuable am??ricain en sp??culateur malgr?? lui. Paulson parie que le prix de rachat des cr??ances sera inf??rieur ?? ce que l'??conomie am??ricaine pourra ?? moyen terme en r??cup??rer, et qu'il fera donc faire un b??n??fice au tr??sor public ?? terme ! Risqu??, tout de m??me. Mais foin de cette digression, revenons au Fair Value Accounting.
Un probl??me d'information
Le seul probl??me, mais de taille, qui se pose aux entreprises contraintes par le fair value accounting, est lorsque, sur une classe d'actifs, le "march??" en tant que tel dispara??t. Lorsqu'un march?? conserve des volumes d'??change significatifs, il fournit aux op??rateurs une information transposable dans ses comptes. Mais lorsque le march?? est quasi gel?? et que les seules transactions sont des ventes de toute urgence, l'information devient d??sinformation et cesse de donner une repr??sentation fiable de la valeur pr??cise du portefeuille d'actifs de la soci??t??.
La r??gle du Fair Value Accounting oblige les entreprises ?? prendre en compte de fa??on imm??diate cette mauvaise information. Comme un malheur ne vient jamais seul, une autre loi c??l??bre, la loi Sarbanes Oxley, vot??e suite aux scandales Enron ou Worldcom au d??but de ce mill??naire ont tr??s fortement aggrav?? les peines envers les PDG et les directeurs financiers qui n'appliqueraient pas ces r??gles le doigt sur la couture du pantalon, quand bien m??me il n'y aurait pas d'intention frauduleuse.
De fait, de nombreuses banques ont du se d??clarer comptablement insolvables alors que la d??prime du march?? des CDOs ne signifiait peut ??tre pas pour autant qu'elles l'aient effectivement ??t??. Une telle d??claration influe ??videmment sur leur rating, qui plonge, et donc sur leur capacit?? ?? se refinancer.
Dans le cas de banques, cela signifie une soudaine incapacit?? ?? emprunter au jour le jour sur les march??s interbancaires: du coup, des banques qui auraient ??t?? peut ??tre solvables sans Fair Value Accounting ne l'ont plus ??t?? car cette norme comptable, appliqu??e ?? la lettre, leur a coup?? les robinets capables d'alimenter leur tr??sorerie dans les moments difficiles.
L'ancien Chairman du FDIC accuse...
William Isaac, ancien Chairman du FDIC de 1981 ?? 1985, estime que l'adoption de ces normes, contre lesquelles il s'??tait battues ?? l'??poque, a gravement exacerb?? la crise actuelle:
At the outset of the current crisis in the credit markets, we had no serious economic problems. Inflation was under control, GDP growth was good, unemployment was low, and there were no major credit problems in the banking system.
The dark cloud on the horizon was about $1.2 trillion of subprime mortgage-backed securities, about $200 billion to $300 billion of which was estimated to be held by FDIC-insured banks and thrifts. The rest were spread among investors throughout the world.
The likely losses on these assets were estimated by regulators to be roughly 20%. Losses of this magnitude would have caused pain for institutions that held these assets, but would have been quite manageable.
How did we let this serious but manageable situation get so far out of hand -- to the point where several of our most respected American financial companies are being put out of business, sometimes involving massive government bailouts?
(...)
The biggest culprit is a change in our accounting rules that the Financial Accounting Standards Board and the SEC put into place over the past 15 years: Fair Value Accounting. Fair Value Accounting dictates that financial institutions holding financial instruments available for sale (such as mortgage-backed securities) must mark those assets to market. That sounds reasonable. But what do we do when the already thin market for those assets freezes up and only a handful of transactions occur at extremely depressed prices?
The answer to date from the SEC, FASB, bank regulators and the Treasury has been (more or less) "mark the assets to market even though there is no meaningful market." The accounting profession, scarred by decades of costly litigation, just keeps marking down the assets as fast as it can.
This is contrary to everything we know about bank regulation. When there are temporary impairments of asset values due to economic and marketplace events, regulators must give institutions an opportunity to survive the temporary impairment. Assets should not be marked to unrealistic fire-sale prices. Regulators must evaluate the assets on the basis of their true economic value (a discounted cash-flow analysis).
If we had followed today's approach during the 1980s, we would have nationalized all of the major banks in the country and thousands of additional banks and thrifts would have failed. I have little doubt that the country would have gone from a serious recession into a depression.
If we do not halt the insanity of forcing financial firms to mark assets to a nonexistent market rather than their realistic economic value, the cancer will keep spreading and will plunge the world into very difficult economic times for years to come.
I argued against adopting Fair Value Accounting as it was being considered two decades ago. I believed we would come to regret its implementation when we hit the next big financial crisis, as it would deny regulators the ability to exercise judgment when circumstances called for restraint. That day has clearly arrived.
La crise qui n'aurait pas d?? avoir lieu...
1200 milliards de cr??dit subprimes sur plus de 50 000 milliards d'actifs boursiers (actions, obligations, et assimil??s), jamais un risque de d??faut de l'ordre de 20% sur ces actifs n'aurait du provoquer une telle d??gringolade. Mais les techniques de titrisation invent??es pour refinancer les pr??ts subprimes ont propag?? le mal sur l'ensemble des obligations gag??es sur des cr??dits hypoth??caires, qu'ils soient prime, subprimes, ou autres.
En effet, pour trouver des investisseurs acceptant de refinancer des pr??ts plus que d??licats (et que les banques avaient du mal ?? refuser ?? cause d'un autre texte v??n??neux, le CRA, d??j?? discut?? ici), Fannie Mae, Freddie Mac et les banques d'affaires ??mettant leurs titres ont eu l'id??e de les mettre en pool avec des pr??ts moins risqu??s, et de d??couper ces obligations (les fameuses CDOs) en tranches comportant un pourcentage croissant d'obligations pourries, les tranches les moins risqu??es ??tant moins r??mun??r??es et prioritaires sur les tranches les plus risqu??es.
Mais parce qu'environ 25% des cr??dits subprimes sont aujourd'hui en d??faut, ou au moins en retard de paiement annon??ant un possible d??faut, tout produit comportant au moins une "tranche" de cr??dits subprimes devient suspect d'abriter des pertes potentielles. De m??me, certains investisseurs commencent ?? s'inqui??ter sur la valeur r??elle de certains pr??ts "prime": apr??s tout, la classification des pr??ts "prime" ou "subprime" d??coulait de crit??res d??finis par... Fannie Mae et Freddie Mac, ce qui ne rassure certainement pas les march??s.
Un incendie auto-entretenu
Par cons??quent, un march?? d'obligations de plusieurs milliers de milliards de dollars (??videmment, impossible d'annoncer un chiffre exact...) est gel?? parce qu'une part tr??s minoritaire des cr??ances qui les composent sont tout ?? coup fortement d??pr??ci??es ! Pour reprendre une image souvent utilis??e par les financiers eux m??mes, ils ont cru qu'en m??langeant de la bonne viande avec un peu de viande pourrie, le steack hach?? ne changerait pas de go??t. Mais devant la r??v??lation de cette pr??sence de viande avari??e, plus personne ne veut acheter le steack: la mauvaise viande a pourri la bonne.
Les seules transactions de CDOs concernent aujourd'hui des vendeurs aux abois, comme pouvait l'??tre Merrill avant son rachat par B.A., et des acheteurs tr??s joueurs, qui estiment, comme Hank Paulson, qu'ils finiront par arriver ?? s??parer la viande saine des morceaux contamin??s, et en tirer finalement un bon prix. Car un acheteur "normal" ne peut ??videmment pas acheter ces actifs m??me avec une tr??s forte d??cote: que ces obligations fassent encore l'objet de transactions encore plus d??cot??es, et l'acheteur devra instantan??ment r??percuter cette d??pr??ciation dans son portefeuille, alors m??me qu'il sait pouvoir en tirer une plus value latente avec un peu de temps ! Ce cercle vicieux conduit ?? d??pr??cier plus encore les CDOs, ?? inscrire encore plus de writedowns dans les comptes, ?? d??grader la note attribu??e par les agences de rating, et ainsi de suite.
Mais il y a plus: les actionnaires des soci??t??s concern??es, effray??s par ces d??pr??ciations en s??rie, se mettent ?? vendre leurs actions... Dont la valeur baisse, provoquant de nouvelles d??pr??ciations d'actifs au sein des soci??t??s qui en d??tiennent le capital ! La pratique du Fair Value Accounting permet ?? l'incendie allum?? par les premiers signaux d'alerte de s'auto-entretenir.
Les anglophones trouveront une explication plus d??taill??e dans cet article de Newt Gingrich, ancien speaker r??publicain de la chambre des repr??sentants.
La r??gle du Mark-to-Market aboutit donc ?? ce que des obligations dont la part douteuse repr??sente peut ??tre moins de 20% du principal, soient inscrites jusqu'?? une fraction ridicule de leur valeur dans les comptes de leurs d??tenteurs : Non seulement cette ??valuation est trop faible, mais elle rend ??videmment tr??s difficile une saine discussion entre actionnaires et cr??anciers, dans le cadre d'accords de titrisation que j'??voquais comme solution envisageable il y a quelques jours. Bref, la norme comptable impos??e par le l??gislateur a non seulement propag?? la crise dans des zones de march?? o?? elle n'aurait jamais d?? s'??tendre, mais constitue un obstacle ?? sa bonne r??solution.
Encore une r??gle d'??tat qui exacerbe la crise... Ah ??a oui, elle a bon dos, la d??r??gulation ultra-n??o-lib??rale !
La r??glementation normative est elle condamn??e ?? l'??chec ?
Pour Newt Gingrich, il est ??vident que l'obligation de respecter le Fair Value Accounting doit ??tre lev??e imm??diatement. A la lumi??re des probl??mes engendr??s par cette r??gle qui se r??v??le absurde, il a ??videmment raison. Mais ?? moyen terme, le probl??me de la "juste valorisation " des actifs volatils dans les comptes des entreprises reste pos??.
Reste donc ?? en trouver la solution, qui ne sera pas simple: les lois que je d??nonce ici ont ??t?? vot??es en r??action ?? des pratiques ??galement malsaines, revenir au statu quo ante ne para??t ni possible, ni souhaitable. Mais la le??on de la crise actuelle semble claire: les l??gislateurs sont incapables d'appr??cier ?? leur juste niveau les risques induits par les lois nouvelles, certes cens??es corriger les causes des anciennes crises, mais incapables de s'adapter ?? la suivante, et dont les effets pervers ?? moyen et long terme peuvent se r??v??ler pires que les maux qu'elles devaient soigner.
Voil?? qui conforte dans la conviction que j'exprimais il y a quelques jours, selon laquelle le paradigme r??glementaire de type "normatif" -- l'??tat d??finit la norme unique et oblige toute entreprise d'une certaine taille ?? s'y soumettre -- doit c??der la place ?? un nouveau concept, celui du respect contractuel de normes priv??es et transparentes, en concurrence les unes contre les autres, les march??s financiers tels que le Nyse-Euronext ou d'autres ??tant libres d'agr??er certaines normes et pas d'autres en fonction de leur s??rieux. Contrairement aux normes d'??tat, ?? la fois co??teuses -- Sarbanes Oxley impose au minimum 3 millions de dollars de charges annuelles aux entreprises cot??es ?? Wall Street, excluant de fait les petites entreprises en croissance du march?? des capitaux --, rigides, et impossibles ?? modifier hors d'un processus lourd et politiquement risqu?? du fait de lobbies int??ress??s ?? se cr??er une loi sur mesure, les normes contractuelles, sous le feu incessant de la critique et de la concurrence d'autres ??metteurs de normes, proposeront des outils d'??valuation des entreprises mieux adapt??s aux r??alit??s de la vie des affaires.
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