Au risque de donner raison à ceux qui l’accusent de surfer sur le succès facile, Al-Sâqi, grosse maison d’édition au très intéressant catalogue anglais et arabe, a récemment publié une autre de ces jeunes romancières saoudiennes qui, à l’image de Rajaa Alsanea avec ses Filles de Riyad (voir ce billet) suscitent l’intérêt passionné des lecteurs arabes et occidentaux (le roman, traduit à ma connaissance en anglais, français, espagnol et italien, fait partie des 100 meilleures ventes mondiales en 2005).
Lancé en avant-première à la dernière foire du livre de Beyrouth, la nouvelle romancière, Samar al-Muqrin, y a battu tous les records de vente (article en arabe). Son très mince ouvrage (77 pages) se nomme Nisâ’ al-munkar (نساء المنكر), quelque chose comme “Les Femmes de l’opprobre”, titre qui fait clairement allusion en arabe à la dénomination de la célèbre police des mœurs locales (هيئة الأمر بالمعروف والنهي عن المنكر). C’est le récit, par la voix de l’héroïne elle-même, d’une femme qui, après un mariage imposé et malheureux pour lequel elle a vainement cherché huit ans durant à obtenir le divorce, finit par vivre une passion illégitime que la justice punira sévèrement.
Même si la critique est réservée sur les qualités littéraires (article en arabe) d’un ouvrage tiré sans trop d’efforts stylistiques d’une série d’enquêtes menées par la romancière, qui est aussi journaliste, dans les prisons pour femmes d’Arabie saoudite, le succès du livre auprès du public arabe est le signe que la question féminine agite, comme jamais, les sociétés du Golfe.
Le phénomène n’a pas échappé à la presse arabe et une publication électronique comme Islam-online (article en arabe), pourtant très proche des Frères musulmans égyptiens, a pu parler de 2008 comme de “l’année de la femme” en Arabie saoudite, en évoquant différentes mesures confirmant une certaine émancipation des citoyennes du Royaume : désormais, les femmes chef d’entreprise peuvent voyager pour affaire sans un “garant” masculin puisqu’il existe depuis mars dernier à Riyad un hôtel réservé à la clientèle féminine (de 70 à 200 euros la chambre paraît-il) ! Et les lectrices des bibliothèques universitaires peuvent maintenant retirer leurs livres toute seules…
Certes, pour les lecteurs - et sans doute plus encore les lectrices ! - qui n’appartiennent pas à la région, ces conquêtes du féminisme saoudien peuvent paraître très modestes ! Faute d’être replacées dans leur contexte, certains progrès pourraient même être interprétés à contresens.
Ainsi, la toute récente proposition parlementaire (article en arabe) visant à permettre aux Saoudiennes de faire figurer sur leurs documents d’identité non pas leur photo mais leurs empreintes digitales peut très bien passer pour une marque supplémentaire du poids des traditions locales. Sauf que, dans l’esprit des législateurs, il s’agit très clairement de rendre plus difficiles les cas de fraude, notamment dans les affaires d’héritage, et donc en fait de protéger plus efficacement les droits des citoyennes du Royaume.
Il en va de même pour la décision d’imposer des vendeuses féminines dans les boutiques de lingerie du Royaume. On peut le voir au premier regard comme une preuve supplémentaire d’un bigotisme, véritable marque de fabrique du wahhabisme saoudien. Mais cette décision, reportée à plusieurs reprises depuis sa promulgation en 2004, entre en fait dans le cadre d’une campagne nationale visant à étendre les domaines dans lesquels la femme saoudienne peut trouver l’occasion de travailler. D’ailleurs, une association féministe locale - comme quoi cela existe ! - a menacé de boycotter systématiquement les magasins qui n’appliqueraient pas la nouvelle mesure !
De fait, c’est sur le plan professionnel que l’affirmation des femmes saoudiennes trouve son expression la plus frappante. Durant ces derniers mois, celles-ci ont obtenu le droit d’intervenir dans des secteurs qui leur étaient jusqu’alors inabordables, voire interdits : certaines professions juridiques (précisément, la fonction de ta‘qîb, chargée devant les tribunaux de défendre les intérêts publics lors de litiges à propos de contrats avec des sociétés ou des personnes privées), les professions du tourisme avec une première promotion d’étudiantes spécialisées dans ce domaine en mai 2008, ou encore les entreprises de travaux public désormais ouvertes au femmes (مقاولات) … Récemment, le toujours très intéressant site Menassat (article en arabe) signalait la prise de fonction de la première saoudienne (une mère de famille de quatre enfants) reporter-photographe.
Et il devient urgent d’intervenir, sans doute parce que la société saoudienne supporte de moins en moins bien les agissements de sa redoutable police des mœurs, mais surtout parce que le système social local n’est manifestement plus adapté à la situation présente. En effet, dans un pays à la natalité très forte, les jeunes femmes représentent désormais près des trois quarts des diplômées de l’enseignement supérieur (article en anglais).
Aujourd’hui, cette jeunesse féminine hautement qualifiée ne trouve pas d’emploi en rapport avec ses aspirations professionnelles et elle n’a d’autre solution que de s’expatrier dans les pays voisins (Bahreïn, Koweït) qui offrent encore, notamment pour les diplômées des filières littéraires, des débouchés dans les métiers de l’enseignement. Même si l’on a organisé sur place des logements pour ces jeunes célibataires, qui bénéficient également de transports organisés pour retrouver leur famille durant le week-end, on imagine l’embarras des “chefs de famille” (أولياء الأمور) partagés, comme partout ailleurs, entre le désir de voir leurs filles réussir dans la vie et la nécessité de les laisser partir pour cela, seules, à l’étranger…
Pour reprendre une expression assez frappante utilisée par Imtithâl Abu al-Su‘ûd, directrice d’un centre pour le développement de la femme (article en arabe), l’autre moitié de la société saoudienne est bien résolue désormais à “sortir de la ‘abayya des hommes” (الخروج من عباءة الرجل - ‘abayya est le nom de l’ample manteau masculin traditionnel) en réclamant qu’on distingue davantage entre “l’héritage religieux et l’héritage social représenté par des traditions et des coutumes qui n’ont pas de traces attestées religieusement” (بالتفريق بين المأثور الديني والموروث الاجتماعي المتمثل العادات والتقاليد غير الواردة في الآثار الدينية).
Une partie des autorités, au moins, semblent ouvertes à une telle évolution. Récemment, le gouverneur de La Mecque a ainsi modifié les termes de la loi qui n’interdit plus la mixité (عدم جواز الاختلاط) mais se contente de rappeler le “respect des obligations de la charia” (الالتزام بمقتضيات الشريعة).
Une évolution qui ne peut que plaire aux pionnières qui, dans les pays du Golfe, occupent désormais de hautes fonctions publiques dans les gouvernements du Koweït, du Qatar, des Emirats arabes unis où une femme vient d’être nommée juge, tandis qu’une autre a été désignée ministre du commerce extérieur. (On notera également, le fait a rarement été évoqué par les médias occidentaux, que l’ambassadeur du Bahreïn aux Etats-Unis est une femme, de confession juive qui plus est !)
Cheikha Mozah et son mari, émir du Qatar
Incontestablement, l’Arabie saoudite reste à la traîne dans ce domaine mais le fait que l’interdiction de conduire - pas toujours strictement respectée - soit désormais largement dénoncée, y compris par certaines princesses de la famille royale, montre bien que les temps sont mûrs pour le changement. Copiant une Asma El-Akras en Syrie ou une Rania en Jordanie, on peut compter, pour hâter les changements, sur certaines des “grandes dames” de la région telles que la princesse Haya à Dubaï, ou Sheikha Mozah au Qatar - citée parmi les 100 femmes les plus influentes du monde selon le magazine américain Forbes.
Illustration : en haut, www.elmaqah.net, un très bon site yéménite (en arabe) sur la littérature et ci-dessus, www.middle-east.com.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 25 décembre à 02:49
salam alaikom warahmato allah wa barakatoh . ikhwani el achikaa oride anne akoul lakom anne nahtarim nisaa el moslemine aktar wa aktar fi hade el bilade ladi kaana yaiicho fiha habbibonna rassoul allah salla allaho alyhi wa salama fi maka wa el madina wa attamana yakoune fiha ihteram kabbbbbir jidanne wa salam allaykom wa rahmato allah???