Miller

Publié le 19 octobre 2008 par Hoplite

Relu Tropic of Cancer d’Henry Miller.
" ...
J'habite Villa Borghèse. Il n'y a pas une miette de saleté nulle part, ni une chaise déplacée. Nous y sommes tout seuls, et nous sommes morts. ..."
C'est par ce paragraphe foudroyant que débute "Tropique du Cancer", l'un des livres qui, en son temps, choqua sans doute le plus les puritains de tout poil, notamment aux Etats-Unis où la censure l'interdit carrément pour ne lever son veto que bien tardivement après guerre - dans les années soixante, il me semble.
L'auteur était pourtant américain. Mais il est vrai que, dans ce "Tropique" qui fut, je crois, son premier ouvrage "achevé", Henry Miller n'hésite pas à traiter les New-yorkais se promenant sur la 42ème rue d' oies aveugles avant d'assener, à la fin du chapitre X :
" ... Il vaut mieux garder l'Amérique ainsi, toujours à l'arrière-plan, une sorte de gravure carte postale, que l'on regarde dans ses moments de faiblesse. Comme ça, on imagine qu'elle est toujours là, à vous attendre, inchangée, intacte, vaste espace patriotique avec des vaches, des moutons et des hommes au coeur tendre, prêts à enculer tout ce qui se présente, homme, femme ou bête ! Ca n'existe pas, l'Amérique ! C'est un nom qu'on donne à une idée abstraite ..."

Au-delà de certaines lignes d'une rare amertume, Tropique du Cancer, c'est avant tout un livre généreux (décidément je n’aime pas ce qualificatif, mais il s’accorde particulièrement bien à la nature de Miller), enthousiaste, féroce et impitoyable certes mais que parcourt sans cesse le rire immense et chaleureux de son auteur.

L'humour de Miller est noir - plus que noir souvent - mais il tient bon et s'entête à faire des pieds de nez à la vie et à ses absurdités, qu'il s'agisse de la faim, de la misère, de l'angoisse du lendemain, de celle d'écrire, des humiliations, de la vie de pique-assiette que l'auteur mènera longtemps –en Amérique et en Europe- en pleine connaissance de cause pour rester libre, de la maladie, de la Mort elle-même.

Le style est superbe, un mélange de sauvagerie et de rigueur, de tendresse et de truculence, le tout saupoudré d'une incroyable poésie qui passe fort bien l'épreuve de la traduction. Miller est de ces écrivains qui, comme le Céline du Voyage au bout de la nuit, écrivent en apparence au coup de poing mais pour qui l'écriture est à la fois un démon, une perfection et une longue mais voluptueuse souffrance. Sans doute l'un des plus européens parmi les Américains - avec James mais sur un autre registre, évidemment.