Pour commencer, Beigbeder revient sur la stratégie éditoriale qui consiste à publier un roman de la rentrée littéraire dès le mois de juin. Les avantages sont certains : donner le temps au public et à la critique de le lire durant l'été, occuper le devant de la scène littéraire bien avant l'arrivée de la concurrence. Mais le risque encouru par une campagne marketing lancée trop tôt est de lasser le client (pour reprendre un vocable appartenant au passé de l'auteur) et qu'arrivé septembre, le roman soit déjà oublié. Beigbeder est lucide : si son livre paraît en juin, c'est qu'il peut se le permettre. Il n'est pas un parfait inconnu, son nom fait vendre et il le sait bien.
Puis il évoque son mal-être existentiel qu'il traîne de roman en roman, son désir d'être aimé provenant du fait qu'il ne s'aime pas, sa volonté de se mettre en danger, de prendre des risques, d'être vulnérable, etc. Et surtout, la sensation que "Beigbeder-le personnage public" nuit à la réception de l'œuvre de "Beigbeder-le romancier" ("A un moment donné, j'ai eu le sentiment de devenir un obstacle, de brouiller la lecture, d'être un élément perturbateur de mon propre travail"). D'où la volonté de se retirer de l'espace médiatique pour se consacrer entièrement à l'écriture. Avec la question pertinemment posée par Brigit Bontour dans son article sur l'auteur : "tiendra-t-il longtemps loin du feu des projecteurs, des boîtes de nuit, des rencontres de hasard dont il tire d'ailleurs matière pour écrire ?"
Beigbeder est un auteur symptomatique, révélateur du mal-être de la civilisation occidentale, qui fuit le désespoir dans le cynisme le plus éhonté. En quelque sorte, se perdre pour se retrouver.
Mais laissons pour le moment Beigbeder et ses démons personnels pour nous intéresser à l'enquête menée avec talent par Anne-Sophie Demonchy sur "les nègres, acteurs fantômes de la République des lettres". Toujours très bien documentée et renseignée, la journaliste lève le voile sur les coulisses de l'édition : environ 20% de la production littéraire actuelle serait écrite par des nègres, véritables artisans de l'écriture au service des people, des hommes politiques et même d'écrivains reconnus. Ainsi Alain Dugrand de déclarer : "Le nègre lui fait son boulot contre un chèque, ce qui lui permet d'écrire pour lui-même les livres de ses rêves. Modeste artisan des vanités, il bosse et il la boucle."
On en apprend beaucoup sur l'histoire de cette profession de l'ombre, qui remonte au XIXème siècle et aux feuilletons romanesques. Mais également sur les rapports qu'entretiennent l'auteur et son (ou ses) nègre(s), sur le peu de considération qu'il est fait du travail du nègre littéraire (même si ce n'est pas toujours vrai) et surtout sur l'absence de reconnaissance de cette pratique pourtant répandue dans l'édition. La règle d'or est une parfaite discrétion et le respect de la loi du silence.
Voici donc un travail de fond comme on les aime et qui démarque le Magazine des Livres des autres magazines littéraires : ici, les coulisses font partie de la visite, et c'est tant mieux !
A signaler également un article de Virginie François sur l'Académie française et son renouvellement (cinq sièges restent en effet à pourvoir suite aux décès de Jean-François Revel, René Rémond, Jean Bernard, Pierre Moniot, Henri Troyat et Jean-François Deniau). On y découvre les traditions de cette institution, le cérémonial et le décorum qui font tout le charme poussiéreux de la coupole. Et au passage, sont cités quelques noms que des Immortels désireraient voir entrer à l'Académie : JMG Le Clezio, Patrick Modiano, Philippe Sollers ou Pascal Quignard.