Tokyo !

Par Luc24

Présenté cette année à Cannes dans la section Un certain Regard, Tokyo ! est un projet réunissant trois réalisateurs aux univers bien marqués : Michel Gondry, Leos Carax et Bong Joon Ho. Trois segments pour partir à la découverte de Tokyo, ville inspirant des univers colorés mais également un isolement peu reluisant…

Les critiques  

 Coloré mais dépressif, un projet de toute beauté

INTERIOR DESIGN de Michel Gondry

Ce premier segment est de loin celui que j’ai préféré. Car j’y ai retrouvé tout ce que j’aime dans le cinéma de Gondry : univers en carton pâte et coloré, des personnages d’enfants perdus à tendance légèrement dépressive, un mélange habile de légèreté et de gravité. Interior design raconte l’histoire d’un jeune couple qui vient d’arriver à Tokyo. Ils passent la nuit chez une amie connue à l'époque du lycée et promettent qu’ils vont rapidement trouver un appartement. Mais les recherches s’annoncent rapidement comme peu fructueuses et les soucis d’argent s’accumulent. Résultat : ils squattent chez leur copine et essaient, tant bien que mal, de trouver des solutions.

Le garçon a pour ambition de devenir réalisateur. Il fait des petits films un peu conceptuels mais surtout assez foireux, qu’il projette dans un cinéma porno faute de mieux. Pour gagner un minimum d’argent, il travaille également dans une boutique où il fait des emballages cadeaux.

La fille se cherche complètement. Contrairement à son petit ami, elle ne sait pas bien où elle va. Elle aime créer, découper des images dans les magazines et faire des petits montages... mais c’est loin d’être assez pour se découvrir une vocation. Plus le temps passe et plus l’angoisse la gagne. Qui est-elle vraiment ? Quel est son rôle dans cette société où tout le monde semble voué au plus profond anonymat ? A-t-elle vraiment sa place auprès de son amoureux ? Ne risque-t-il pas de définitivement la délaisser pour se consacrer pleinement à son art ?

Alors que, comme à son habitude, Gondry déploie son univers fantaisiste et ne lésine pas sur l’humour, la dépression gagne de plus en plus du terrain. Et alors, comme dans La science des rêves, le personnage gagné par le doute va se replier dans son imaginaire enfantin.

Définitivement larguée, la jeune fille se transforme alors en…chaise. Rien de mieux pour représenter l’immobilité dans laquelle elle se trouve. Au bout d’un moment, quand on ne trouve plus de sens dans rien, quand on ne sait plus vers quoi se diriger, auprès de qui trouver du réconfort, on n’est plus qu’une chose, une chaise. C’est triste et poétique à la fois, c’est plein de jolies idées visuelles et de passages tragi-comiques, c’est du Gondry comme on l’aime.

MERDE

Si dans Interior design il était question d’isolement social et de repli sur soi, Merde enfonce le clou. Denis Lavant prête ses traits à un personnage qu’on croirait tout droit sorti d’un comic book, une bête crade et méchante qui prend son pied à faire le malheur des autres pour la simple raison qu’il « aime la vie mais pas les gens ». Ca commence par un traveling de folie sur une avenue où le grossier personnage ,sortant des égouts, terrorise les passants. Une scène totalement jouissive, une énergie folle, un maximum de liberté. Outrancier et hilarant, Merde ne réussit toutefois pas à séduire sur toute sa durée, misant sur des gags assez répétitifs bien qu’efficaces.

Ce qui force le respect c’est l’audace de Carax qui n’hésite pas à faire durer 5 minutes une scène où des personnages parlent une langue qui n’existe pas ! C’est culotté et c’est le bon moyen pour souligner le fait qu’au bout d’un moment les marginaux n’ont quasiment plus aucun moyen pour se faire comprendre. Se moquant des médias, des effets de mode et d’une société où plus rien ne semble avoir de sens, Merde est une sorte de conte apocalyptique très soigné dans sa réalisation et porté par la prestation fulgurante de Denis Lavant. Un segment monstrueux auquel on pardonnera donc volontiers quelques petites baisses de régime. Le court métrage le plus barré du projet en tout cas.

SHAKING TOKYO de Bong Joon Ho

Le réalisateur de The Host nous propose le film le plus soigné esthétiquement de ce projet atypique. On y suit le quotidien hyper réglé d’un « hikikomori », un homme qui s’est enfermé chez lui depuis pas moins de dix ans. Recevant de l’argent de son père, il vit cloitré dans son appartement et est un adepte des livraisons en tous genres. Mais voilà que sa vie bascule lorsqu’une livreuse de pizza désespérée s’évanouit dans son entrée. Il ressent de l’amour, il l’aide à se réveiller et par la suite ne pense plus qu’à la retrouver. Mais pour cela, il va devoir sortir de chez lui. Ce qui n’est pas une mince affaire. Lui qui s’était complètement replié sur lui-même, ne supportant plus la ville et les gens, va avoir du mal à affronter la lumière du soleil.

Quand il quittera sa demeure, il sera surpris de réaliser qu’avec le temps la majorité de la population a opté pour le même choix de vie que lui. Les rues sont désertes, on dirait l’apocalypse. Chacun chez soi, plus de contact humain et au final un immense désespoir tristement revendiqué. Lent et contemplatif, Shaking Tokyo est d’une beauté formelle saisissante. La réalisation très soignée comble un scénario un peu light mais qui ne manque pas de poésie.

Au final Tokyo ! est un très beau projet qui illustre le travail de trois réalisateurs bien différents. De ce fait, chaque spectateur aura ses préférences et sera plus ou moins séduit par chacun des courts proposés. On est en tout cas loindu film de commande mis en place pour vanter les charmes de la ville de Tokyo. Chaque auteur propose en effet une vision assez sombre de la vie urbaine et de sa modernité qui pousse à l’isolement, l’exclusion. Entre beauté visuelle et histoires tristes et touchantes, Tokyo ! fait globalement mouche.


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