Claudine Cohen : "Un Néandertalien dans le métro", Science ouverte, Seuil, 2007.

Par Ananda
L'homme de Néandertal fait décidément  ces temps-ci couler pas mal d'encre.
Outre qu'il est la figure d'hominidé fossile la mieux connue des paléontologues (par le nombre et par le caractère relativement complet des fossiles qu'il a livrés), il a fait récemment l'objet de découvertes en cascade, qui ont sans conteste contribué à mordre sur son aura de mystère.
Ainsi, l'on présume maintenant (grâce à la génétique) qu'il possédait la capacité langagière, qu'il était le résultat d'une sorte d'impasse évolutive qui en avait fait un rameau détaché du nôtre depuis 500 000 ans (encore grâce à la génétique) , qu'il pouvait être roux et que la croissance de ses rejetons était nettement plus rapide que celle des nôtres (grâce à l'analyse des dents).
Il fallait vulgariser ces connaissances, et répondre au regain d'intérêt qu'elle ne manquèrent pas de susciter.
A côté de la somme de recherches, du monument de sérieux scientifique que représente l'imposant livre-dossier "Les Néndertaliens - Biologie et cultures", ouvrage collectif sous la direction de Bernard Vandermeersch et Bruno Maureille préfacé par Yves Coppens et faisant le point (un point très pointu) sur l'ensemble de nos connaissances à ce jour en la matière, on a vu sortir - pour la plus grande joie des amateurs de préhistoire et des "fans" de cette "humanité autre" qui n'arrête pas de fasciner - d'autres ouvrages, moins techniques, plus abordables par le grand public.
"Un Néandertalien dans le métro" est, bien qu'écrit par une spécialiste, tout sauf un ouvrage aride. Il a l'avantage d'être aussi enrichissant que distrayant.
Ses illustrations nombreuses et souvent frappante, troublantes, en font un de ces livres vivants dont on a un réel plaisir à tourner les pages sans trop se prendre la tête.
En fait, il offre un florilège de "représentations imagées" de cet être qui convoque, en nous, tous les fantasmes liés à la parenté et, en même temps, à l'altérité absolue.
Qui était Néandertal ? La brute  quasi simiesque, grossière que l'on s'est longtemps volontiers représentée, ou bien un être plus subtil, pas si éloigné de nous que ça à tout prendre (il enterrait certains de ses morts et se badigeonnait de teinture; il sut donner naissance à la culture aux allures "sapiennes" de Châtelperron) ?
Sommes-nous, oui ou non, responsables (on ne prête qu'aux riches) , de sa disparition il y a 37 000 ans environ , du continent européen qui avait été très longtemps (pas moins de 200 000 ans et pendant des époques extrêmement rudes) son "fief" ?
Et, surtout, Néandertal perdra-t il jamais  son ineffable , dérangeant mystère ?
Il est probable que non, à moins qu'on se trouve, un jour, capables de le cloner.
Pour l'instant l'on se borne à s'évertuer à lui donner un vrai visage et, bien entendu, dans ce domaine-là, on ne peut qu' hésiter. C'est de ça que rend compte ce livre.
Un livre qui, s'il parle de Néandertal, parle aussi de nous, de nos hantises.
"C'est en définitive que l'Homme de Néandertal pose à l'humanité la question de son évolution, de sa place dans le monde vivant - et de son unicité même" - pas moins !
Néandertal a réactivé en nous un vieux mythe : celui d'Abel. Il aurait été en compétition avec notre espèce pour les niches écologiques et il est le "perdant". D'où, avec lui, une forme de relation sentimentale , dans laquelle viennent jouer culpabilité et compassion.
Et si Néandertal était la première grande victime de notre propension au génocide ?
En pensant à Néandertal, on ne pense pas qu'à Abel. On pense aussi, mine de rien et en toile de fond, au racisme, à la violence inter-humaine et au désastreux mal que notre espèce a fait à notre environnement.
On pense à la solitude extrême de notre espèce pensante.
Alors, on se laisse aller à fantasmer : "ah, si ce bon vieux Néandertal était encore là, avec nous !". Certains (les cryptozoologues) vont même jusqu'à soutenir qu'il subsisterait en secret, dans quelques coins reculés de notre planète.
Certains, sans doute, prennent leurs désirs pour des réalités et ce d'autant plus qu'il n'est pas du tout certain (nous connaissant comme nous nous connaissons) que nous ayons la hauteur d'âme suffisante pour accepter parmi nous la présence d'un être tel que Néandertal. Le rejet de la différence (quelque soit sa forme) est toujours d'actualité, que je sache, dans le monde des "homo sapiens"... Et les chimpanzés, les représentants de l'espèce la plus proche de nous, s'ils pouvaient parler, seraient  certainement en mesure de nous dire toute la détresse que connaîssent leurs groupes au bord de la disparition du fait de notre côté envahissant et de notre sauvagerie.
Comment réagirions-nous si nous croisions un "Néandertalien dans le métro" ?
Accepterions-nous cette version totalement différente de l'Humain ? N'aurions-nous pas à son contact direct, un de ces mouvemants de crainte et de répulsion qui ne peuvent se contrôler, et qui génèrent si souvent l'hostilité ou la fuite ?
A feuilleter et à lire ce livre, on voit qu'à propos de l'homme de Néandertal, nous sommes, une fois de plus, envers l'autre humain, partagés entre rejet  dans l'animalité (la plus brute, la plus épaisse, celle qui nous hante et nous épouvante tous, mais que nous continuons aussi de porter  en nous, au plus intime de notre être) et "main tendue", volonté farouche d'assimilation, volonté marquée de gauchir les différences (laquelle en dit tout aussi long).
Un livre, en somme, à la jonction entre science, sociologie et philosophie.
Un livre qui, s'il s'efface un peu devant la puissance des images (mais c'est là son but principal) nous propose un texte qui brille par son style clair où rien ne pèse, par son don parfait de vulgarisation scientifique. Un livre qui accrochera, intéressera un assez large éventail de lecteurs, y compris ceux qui goûtent la détente et l'humour.
Un livre à lire. Pour l'intellect. Pour le plaisir. On ne le regrettera pas...


Patricia Laranco.