L'été touchant à sa fin, la région se trouve être particulièrement riche en multiples fruits et légumes. Pour s'habituer à son futur mode de vie, Pitou apprend à les déguster, tous. Il découvre leurs goûts et, satisfait, envisage sa retraite. Il ne lui reste plus qu'à se dépêcher de construire un abri, avant que le cortège ne reparte. Et s'il change d'avis, il pourra toujours rattraper celui-ci, ou le rejoindre à la faveur d'une prochaine escale dans les environs. Pitou se dirige donc vers la caravane de matériaux pour subtiliser quelques planches. Il ne sait pas trop lesquelles choisir, ni même de quelle taille les prendre. Alors, il se débrouille à l'instinct. Malheureusement, l'instinct d'un troll pour le bricolage n'est pas toujours des plus développés... Mais avant même que Pitou n'ait l'opportunité de s'en rendre compte, le voilà déjà qui s'énerve pour une écharde plantée dans son doigt. Il n'a jamais rien construit auparavant, les trolls n'organisant que très peu de chantiers, de par leur nature nomade. Pitou découvre donc à l'instant le caractère vindicatif du bois coupé. Une planche, ça n'est pas qu'un morceau de bois bien droit, c'est aussi diablement vicieux.
Sa première surprise guérie, Pitou, retourne à son labeur. Il a ses planches, il a choisi son terrain, mais il lui reste encore à monter son abri. Il a déjà vu des murs. Et de très beaux même, avec leur architecture verticale et leurs portes décorées. Mais il ne s'était jamais interrogé, auparavant, sur la méthode nécessaire à l'obtention d'un tel résultat. Comment ces planches tiennent-elles debout ? Comment un mur entier, très lourd, tient-il debout ? Après de nombreuses tentatives infructueuses de faire tenir une planche debout par sa simple volonté, Pitou décide de considérer une autre méthode. Pourquoi un arbre tient-il debout, lui ? Parce qu'il est planté dans le sol. Qu'à cela ne tienne, Pitou plantera ses planches dans le sol. Prenant soin d'éviter une nouvelle écharde, Pitou aggripe donc une planche et la cogne violemment par terre. Et elle se serait certainement plantée dans le sol, avec un tel coup, s'il ne s'était trouvé le pied de Pitou entre les deux.
Décidément, ériger le plus simple des abris n'est déjà pas une mince affaire. Et dire que Pitou rêvait d'un étage, comme il en avait vu dans des villages, quand il était petit. Certaines créatures ont un sens inné de l'ingénierie. Les trolls, non. Mais peu importe, Pitou est persévérant, et il veut sa maison. Enfin... au moins deux murs et un toit, de toutes façons il ne craint pas grand monde et ne possède rien à voler. Si seulement il s'était trouvée une grotte dans le coin... Tant pis, ce n'est pas grave, ça ne coûte rien d'essayer, et Pitou retourne à son chantier. Il parvient à planter quelques planches, mais malheureusement, elles ne sont pas très droites, et offrent un jour conséquent entre elles. Un toit se fixe sur les murs, Pitou veut un toit, et un toit ne doit pas avoir de jour. Les murs de Pitou ne doivent donc pas avoir de jour. Lui-même se promet de se féliciter de cette réflexion dès qu'il aura le loisir d'y réfléchir, chez lui. Pour combler le jour, une autre planche devrait suffir. Mais impossible de la planter correctement contre les deux autres. Il va falloir les accrocher ensemble. Ces choses qu'on appelle des clous devraient faire l'affaire. Equipé d'un marteau et de clous, Pitou engage les hostilités. Car c'est bien là de quoi il s'agit. Pour commencer, les planches sont trop souples, et se tordent à chaque coup. Ensuite, Pitou n'a jamais tenu un marteau. Enfin, ses doigts ne sont pas loin. Ce qui devait arriver arriva.
Pitou se demande si la construction de son abri lui épargnera un membre, ou si toutes les parties de sont corps devront être meurtries pour achever le travail. De toutes façons, chaque hématome est un élément de plus à verser sur le compte de sa ténacité. Il ne jettera pas l'éponge, pas après s'être donné tout ce mal. Et il faut lui reconnaître qu'à la fin de la journée les deux premiers murs seront montés, et presque correctement. Le matin suivant, après le départ de ses congénères, il s'attèle à la pose du toit, qu'il espère prêt avant le soir. Ayant compris qu'il lui serait plus simple de le monter à part et de le déposer ensuite sur son frêle édifice, Pitou débute la construction au sol. Il parvient à terminer sa tâche avant le zénith, chose qu'il a lui même le plus grand mal à croire, quoi qu'il en tire une certaine fierté. Dommage que personne n'ait été là pour le voir. La dernière étape s'amorce. Pitou charge le toit sur son dos et tente de le hisser sur son abri. Mais celui-ci est bien trop lourd, et à chaque essai, les murs montrent des signes de faiblesses, le forçant à renoncer. Quand enfin il estime que ça devrait tenir, Pitou lâche. Son toit étant assez mal conçu, et d'une taille peu adaptée, il s'empresse de sauter sur le dos de Pitou, le plaquant au sol et le réduisant à une pâle imitation d'escargot.
Mais Pitou a de la ressource, et la journée n'est pas terminée. Puisqu'il est impossible de refaire un toit pointu avant la nuit, et que celui-ci ne tiendra peut-être pas plus que le premier, Pitou se prépare à fixer directement des planches, à plat, sur celles des murs. N'ayant pas la possibilité d'escalader les murs pour clouer le toit dessus, Pitou trouve rapidement une parade efficace. De la rivière voisine, il rapporte un peu d'eau, dans laquelle il met un peu de terre, jusqu'à produire une épaisse boue argileuse. Puis, il applique celle-ci dans tous les coins, entre les planches, espérant que celle-ci ferait un bon ciment. Le soir venu, il est satisfait du résultat auquel il est parvenu, et tout seul ! C'est donc avec une fierté et un plaisir certain qu'il s'installe, chez lui, pour passer une nuit des plus sereine.
Malheureusement, la nature ne l'entend pas de cette oreille. C'est par ailleurs d'un mauvais oeil qu'elle regarde certaines de ses créatures contrarier leur destin. Il ne faut dès lors pas avoir un nez formidable pour comprendre ce qu'elle provoqua. Pour se mettre en bouche, elle lève un petit vent bien frais. Puis, d'un revers de la main, elle balance quelques nuages bien noirs au dessus de la masure de Pitou. Chaque goutte y va bientôt de son petit coup de pied dans les jointures de la maison de Pitou. Pour terminer leur course, enfin, sur le ventre du jeune troll. Celui-ci se réveille rapidement, et, assis sur son derrière, fait le tour de la situation. Le toit n'est plus hermétique, le vent commence à faire bouger ses planches, et de l'eau lui dégouline dans le cou. Cette fois-ci, c'est dans son amour propre que Pitou est blessé. Il a compris que la vie sédentaire n'était pas faite pour lui, et ses proches lui manquent déjà. Il voudrait s'énerver, et tout casser, mais son chagrin lui rappelle qu'il ne peut s'en prendre qu'à lui même. Alors, Pitou s'en va rejoindre son clan.
Quelques pas à peine après son départ, Pitou s'arrête. S'il termine l'épisode par une touche mélancolique et sans avoir tout cassé, il sait qu'on va le prendre pour une fillette. Alors, il fait demi-tour. Quelques instants après, les ruines de sa cabane ne sont plus qu'un tas de copeaux. Et encore, le terme de sciure étant sans doute plus approprié. Et il en aurait volé partout, de la sciure, si la pluie n'avait rabattu les particules au sol, formant une boue étrange, à la surface de laquelle flottent de nombreux morceaux de fibres de bois. La violence n'était pas au rendez-vous, Pitou n'ayant pas vraiment le coeur à ça. D'ailleurs, le voilà qui repart rejoindre les siens. Il est grand maintenant, et il ne sait toujours pas chasser. Il doit se dépêcher, s'il veut devenir un jour un vrai troll.