Gloria Friedmann occupe le Musée Bourdelle, toujours aussi ouvert à la création contemporaine (et qui inaugura ce blog il y a trois ans et demi), jusqu’au 1er Février, sous les auspices de la lune rousse.
Ses grandes statues, démantibulées, décomposées sont tragiques et drôles à la fois. Dans la salle héroïque, tout au fond, l’installation Cabaret regroupe des squelettes roses en train pléonasmatiquement de se suicider, alors que dans la salle des plâtres un gigantesque pantin-monde se désarticule. Ailleurs, des séries d’animaux empaillés dialoguent avec des petits bronzes de Bourdelle. Comme on pouvait s’y attendre de Miss Friedmann, du grand, du fort, du rentre-dedans, sur l’homme et sur le monde.
Mais ce qui m’a intéressé le plus, c’est ce qui détonne un peu, non pas explosivement, mais hors du ton habituel, ce à quoi on ne s’attendait pas nécessairement, ce qui n’est pas mis au premier plan. Dans la chambre de Bourdelle, sombre et brune, encombrée de meubles, sur une méridienne (à moins que ce ne soit une récamier ?) drapée de rose, un oeuf géant repose. Il est découpé, et la forme même de l’ouverture est évocatrice, on peut y voir un vagin denté, en tout cas une bouche dévoreuse. A l’intérieur, un crâne et, dans ses orbites, des miroirs qui vous reflètent. C’est une mise en abyme, un memento mori bien sûr, une interrogation de la figure, mais, au final, une oeuvre plutôt réjouissante. J’ai regardé la mort en face et je me suis vu dans ses yeux (Hello !).
Tout au fond, après les squelettes roses, trois reproductions de tableaux, en fait des photos sur aluminium : paysages banals. Il faut lire le cartel : Churchill, Eisenhower et Hitler : ‘Painting as a Pastime’. Le catalogue, quand il sortira, comprend un entretien très intéressant entre Gloria Friedmann et Elisabeth Lebovici sur ce sujet. Le passe-temps, le temps qui passe est ici transposé dans une autre dimension, celle du pouvoir, de la guerre, de l’horreur. Pastime, c’est aussi ‘past time’, le temps passé, l’histoire qui suinte par tous les pores de ces tableaux.
Et puis cette série de tableaux, Ecstasy, dans l’enfilade de petites salles, entre les spectaculaires ‘Le parfait amour’ et ‘La Matrix’ (ci-dessus). C’est ce qui m’a le plus touché dans cette exposition. Les fonds sont quasi monochromes mais ils se moirent et le plexiglas crée des vibrations et des reflets étranges (et inphotographiables). Les silhouettes à taille humaine sont estompées, fondues, elles sautent, courent, font le poirier, grimpent, luttent contre un obstacle, sont suspendues dans un équilibre périlleux. Leurs traits sont effilés, pleins de vitesse et d’élan. On pense aux futuristes, à Penck ou à Alberola aussi. Toute une série de tableaux dynamiques, enchanteurs qui poursuivent la même interrogation sur la figure humaine et son rapport au monde, mais de manière novatrice. Finalement, cette sculptrice est une grande peintre méconnue.
Du coup, je vous mets toute la série, mal photographiée par moi, de biais pour éviter les reflets, mais il n’y a pas d’autres photos disponibles, hélas (peut-être dans le futur catalogue).
Photos de l’auteur. Gloria Friedmann étant représentée par l’ADAGP, les photos seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.