MARE È MONTI
Escapade du matin ciel voilé les maisons closes de la marine attente de l’hiver odeurs premières de l’automne premiers feux quelques vieux s’attardent encore qui ne se résignent pas à partir les fumées montent au-dessus des toits c’est le temps du raisin des grappes généreuses sur la treille odeur d’algue roussie à mes narines je me laisse bercer par la vague régulière houle légère qui ourle la plage au large à peine visible une barque de pêcheur la chape lourde des nuages noirs au-dessus des montagnes un soleil chaud caresse douce s’insinue jusque sur la peau halo de brume sur le soleil d’hier soleil d’Asie noyé dans des brumes insolites lumière grise rondeur parfaite à portée de main roue d’or sur l’horizon une embarcation minuscule traverse les ondes lumineuses s’immobilise dans l’axe horizontal tracé par le soleil le clocher hisse son fuselage à l’aplomb du soleil souvenir improbable d’un minaret ancien Sainte-Catherine veille modestie parfaite sur la paix des hommes et des lieux et ces « regards » percés dans les lauzes dressées à quoi pouvaient-ils bien servir c’est cela qu’il lui demande mais elle ne sait que lui répondre elle a oublié aussi la mémoire des hommes pans de murs en ruine mangés par le lierre grimpant fenêtres ouvertes sur le ciel un petit voilier cabote toiles repliées dans leur tissage longues brasses coulées depuis le quai jusqu’au rocher là-bas de Canarese bonheur de ses bains solitaires de ses coulées longues dans le silence le clocher de Conchiglio égrène ses heures patiemment assise sur le rocher je goûte la fraîcheur de l’eau sur ma peau me glisse dans la frange d’écume bouillonnante les Blancs-Manteaux là-bas plongée dans l’univers éditorial si loin de moi loin du monde où baignent les autres loin des Blancs-Manteaux réveillent en moi des souvenirs lointains à peine sensibles en voie d’effacement les moines absents de leur passage n’ont laissé que leur nom souvenir vague d’une énigme crime et sang les visages se croisent les paroles s’échangent qui emplissent l’espace d’un bourdonnement inaudible qu’ont-elles dit de moi de moi qui plonge dans l’eau verte d’un vert d’émeraude sombre fraîcheur de l’eau qui saisit le corps coulée profonde pour hâter le retour vers le port là-bas à l’autre bout de la conque le petit voilier file ailes repliées il fait chaud et le sentier sent bon la menthe poivrée et la plage sent bon l’algue roussie et les galets crissent sous mes pas galets ronds et gris que nul ne vient plus déranger de leur ordre somnolence douce de l’arrière-saison une guêpe bourdonne qui se pose sur ma main le voilier cabote dans la chaleur du jour je plonge et plonge délice des coulées longues dans les reflets argents de la Punta Bianca.
Ghjottani, le 12 octobre 2008
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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