Il y a quelques semaines j’assurai une permanence pénale mais qui comme son nom ne l’indique pas inclut aussi d’assurer des audiences devant le Tribunal administratif en droit des étrangers.
Comme d’habitude le greffe du Tribunal me contacte la veille pour m’annoncer le programme et voila qu’on m’indique que je dois assister 21 personnes de nationalité roumaines (des roms). La journée s’annonce donc chargée.
Le greffe me faxe les requêtes déposées pour le compte de ces 21 personnes et qui ont été rédigées par une association de défense des étrangers.
Il s’agit d’un groupe de roms composé de plusieurs familles qui s’est installé depuis quelques jours dans un immeuble abandonné et qui faisait auparavant office de foyer Sonacotra. Ces gens se sont vus notifier des arrêtés de reconduite à la frontière par le Préfet après que le Parquet ait décidé de faire procéder à des contrôles d’identité pour “suspicion de commission d’infractions”.
Il est vrai que le rom est par nature délinquant … Il fallait donc agir.
Mais voila qu’un problème se pose au Préfet car nos “délinquants” ne sont pas des étrangers comme les autres. Ils sont en effet de nationalité roumaine donc citoyens d’un pays membre de l’Union Européenne.
A ce titre, ils peuvent librement circuler à l’intérieur des frontières de l’Union et n’ont besoin d’aucun visa ou titre de séjour pour se trouver sur le territoire français pendant les 3 premiers mois de leur séjour.
Or des éléments figurant au dossier, ils ne sont en France que depuis quelques jours (le Rom est voyageur ce qui n’est pas un délit rappelons le). Ils sont donc en théorie inexpulsables.
Mais la loi étant toujours bien faite contient une exception. Il est en effet possible d’éloigner du territoire national des ressortissants d’un pays membre de l’Union Européenne lorsqu’il représente un danger pour l’ordre public.
Article L.121-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile:
Tout citoyen de l’Union européenne, tout ressortissant d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse ou les membres de sa famille qui ne peuvent justifier d’un droit au séjour en application de l’article L. 121-1 ou de l’article L. 121-3 ou dont la présence constitue une menace à l’ordre public peut faire l’objet, selon le cas, d’une décision de refus de séjour, d’un refus de délivrance ou de renouvellement d’une carte de séjour ou d’un retrait de celle-ci ainsi que d’une mesure d’éloignement prévue au livre V.
Le Préfet étant un juriste émérite va donc prendre une série d’arrêtés de reconduite à la frontière sur la base de cette exception en indiquant que l’occupation illégale d’un bâtiment à l’état d’abandon représente créée un trouble à l’ordre public.
Même un non juriste ne serait pas convaincu par cette motivation, l’avocat l’est encore moins.
Il l’est d’autant moins qu’il a déjà été informé qu’au mois d’aout le même Tribunal avait annulé une cinquantaine d’arrêtés identiques à ceci près qu’en l’espèce les personnes concernées occupaient un terrain en friche.
Et nous voila à l’audience. Enfin, je dis nous j’aurais du dire me voila à l’audience. Aucun représentant de la Préfecture à l’horizon (remarquez qu’au final, ils ont bien fait de ne pas venir vu la suite). Aucun des requérants n’est présent ce qui ne manque pas de m’étonner. Le greffier m’indique alors que la Préfecture chargée d’adresser les convocations par voie administrative n’a visiblement pas fait le nécessaire …
Ça commence mal pour Monsieur le Préfet … et ça n’est pas fini.
J’expose donc au magistrat chargé de l’audience les arguments pertinents développés dans les requêtes en insistant sur le fait que la simple occupation illégale d’un bâtiment ne saurait constituer une menace pour l’ordre public. Je rappelle également au Tribunal sa jurisprudence du mois d’août.
Je m’attends alors à ce que le Président m’annonce que les décisions seront rendues dans la journée comme d’habitude. Il n’en fait rien et prononce sur le siège l’annulation des 21 arrêtés ce qui est une première pour moi.
L’un des jugements est consultable ici
Alors que je quitte la salle d’audience, l’interprète roumain qui avait été convoqué pour l’audience (qui est venu pour rien évidement) m’indique qu’il a participé à une nouvelle opération de police dans un camp de roms la veille et que la Préfecture a notifié 80 nouveaux arrêtés dans les mêmes conditions que ceux qui viennent d’être annulés …
J’ai alors décidé de contacter l’association de défense des étrangers qui avait rédigé les requêtes pour le compte de mes clients afin de l’informer de la situation.
Ils ont réussi à contacter une partie des personnes concernées et des recours ont été déposés. Devinez quoi ? Le Tribunal a annulé les arrêtés, surprenant non ?
Pour résumer, les services de Police sous prétexte d’infractions soupçonnées (aucune procédure pénale n’a été engagée) font des contrôles d’identité, la Préfecture en profite pour notifier des arrêtés illégaux qui sont annulés ensuite par le Tribunal administratif.
Un mois après, rebelote et ainsi de suite.
Alors moi je veux bien qu’on m’explique que les caisses de l’Etat sont vides mais si on fait le bilan de ces opérations que peut-on en retenir ?
Qu’il faut mobiliser:
- des services de police conséquents (qui n’ont rien d’autre à faire de plus important)
- des agents de la Préfecture (qui exécutent les directives)
- des traducteurs (payés par l’Etat à l’heure)
- des avocats de permanence (payés avec des clopinettes par l’Etat sur le budget de l’aide juridictionnelle mais qui font leur travail avec conscience !)
- les greffiers du Tribunal administratif
- les magistrats dudit Tribunal (qui sont passablement irrités des méthodes de la Préfecture)
Tout ça à vos frais, Messieurs Dames, et pour un résultat proche de 0. Je dis proche car la Préfecture joue probablement sur le fait que certaines personnes ignorant leurs droits ne déposeront pas de recours et pourront effectivement être expulsées (encore que les roms quittent souvent le territoire national de leur propre initiative puisque personne ne veut d’eux en Europe, pas même la Roumanie, et qu’ils errent donc ainsi à travers toute l’Europe).
Mais que voulez-vous, tant qu’on demandera au Préfet de faire du chiffre, nous risquons de faire face à de telle situation. La Préfecture pourra toujours justifier de son action et se réfugier derrière les décisions des magistrats qu’on taxera de laxisme et qui encore une fois en prendront pour leur grade …