Noir de jais

Publié le 17 octobre 2008 par Menear
Déambulations douteuses dans un bouquin franchement glauque, voilà comment on pourrait décrire ces quelques heures de lecture passées entre les pages de Tristesse et beauté. Les relations entre les personnages sont toujours malsaines, parfois cyniques (souvent les deux). Les analepses, intégrées directement au fil du récit, constituent de légers havres de paix ponctuels (parfois non) contre lesquels on peut souffler. Exemple ici (sauf qu'on ne souffle pas, ou bien alors de travers).
Aujourd'hui comme chaque matin à son réveil, Otoko, du bout des doigts, massa légèrement son front et effleura de la main sa nuque et ses aisselles. Sa peau était moite. Il lui sembla que l'humidité qui suintait de sa peau s'était transmise au kimono qu'elle mettait pour dormir et qu'elle changeait chaque jour.
Keiko aimait l'odeur de transpiration qui se dégageait d'Otoko et cette moiteur qui rendait sa peau plus soyeuse encore, et il lui prenait parfois l'envie d'arracher tous les vêtements que portait son amie. Otoko, pour sa part, ne supportait pas de sentir la transpiration.
La nuit dernière, cependant, Keiko était rentrée à minuit et demi passé et s'était assise gauchement, en évitant le regard d'Otoko.
Otoko était étendue sur le lit et, au moyen d'un éventail, abritait ses yeux de la lumière qui tombait du plafond. Elle regardait les quatre ou cinq esquisses accrochées au mur et représentant des visages d'enfants. Elle paraissait absorbée dans sa contemplation et ne jeta qu'un rapide regard à Keiko en lui disant « Te voilà ? Tu rentres bien tard. »
A la clinique, Otoko n'avait pas été autorisée à voir le bébé prématuré qu'elle avait mis au monde. On lui avait seulement dit que ses cheveux étaient d'un noir de jais. Lorsqu'elle avait voulu en savoir davantage et avait questionné sa mère, celle-ci lui avait répondu :
« C'était un joli bébé. Elle te ressemblait. »
Otoko avait compris que sa mère disait cela pour la consoler. Elle n'avait jamais vu de nouveau-nés. Ces dernières années, elle avait eu sous les yeux quelques photographies d'enfants venant juste de naître et qu'elle avait trouvé affreux. Il y avait également la photographie d'un bébé encore attaché à sa mère par le cordon ombilical et cela avait semblé à Otoko particulièrement répugnant.
Yasunari Kawabata, Tristesse et beauté, Livre de poche, trad : Amina Okada, P.150