MacCain existe toujours. Il l’a prouvé encore une fois dans le dernier débat qui le confrontait à Obama. Mais entre exister et gagner, il y a un fossé, qu’Obama semble encore
élargir.
La plupart des observateurs laisse entendre que Barack Obama a légèrement gagné le troisième et dernier débat électoral avec son concurrent républicain John MacCain qui s’est déroulé le 15
octobre 2008 à l’Université Hofstra à Hempstead, dans la banlieue de New York.
En fait, c’était plutôt le match nul, si on peut parler d’un match, or le match nul favorise toujours le favori, à savoir Obama car cela signifie que
le débat n’aura pas beaucoup d’influence sur le cours des événements.
J’ai trouvé cependant que ce débat fut le meilleur des trois pour John MacCain.
Une émission classique
Parlons d’abord du débat en lui-même.
Comme pour le premier débat, l’animateur est un homme assez âgé. Pas de mal à cela, au contraire, mais vu de France, cela étonne toujours. Les
présentateurs à la télévision française sont toujours des jeunes. Les journalistes plus âgés sont généralement "remisés" à la radio. A-t-on peur en France de montrer la
vieillesse ?
Comme pour le premier débat, pas de question de participants, juste des thèmes lancés par le modérateur. Et pour la première fois, les deux candidats
sont assis dans de confortables fauteuils, à la même table, plus proches l’un de l’autre.
Rien de nouveau malgré la crise financière
Sur le fond, rien de nouveau, à savoir, les mêmes répétitions que lors des deux précédents débats. Normal. Une campagne électorale, c’est un peu
comme un enseignement : la pédagogie se martèle par répétition. Le pourcentage de perte d’informations étant très élevé, il faut sans cesse répéter, rabâcher pour qu’il reste quelque chose
du message. On s’étonnera de la simplicité du message, mais un message trop sophistiqué passe mal. Les publicitaires le savent bien. Les personnalités politiques aussi. En France comme aux
États-Unis.
Mais ces répétitions sont un peu indécentes. Car même si Obama a bien replacé la période dans la gravité qu’il faut (nous sommes comme au temps de la
grande dépression, en 1929), ni Obama ni MacCain n’ont modifié d’un iota leur discours électoral. Obama continue à présenter le même programme que celui qu’il avait conçu en début 2007 et MacCain
ne fait pas mieux non plus. Sont-ils à la hauteur de la situation ? L’avenir le dira pour l’un d’eux.
En tous cas, aucun des deux candidats n’a réellement répondu à la question sur les économies budgétaires à faire, sur les modifications du projet
présidentiel à cause de la crise financière. Obama répète ses projets sur la santé, l’éducation, l’environnement et l’énergie et MacCain répète son combat contre le clientélisme et contre la
corruption pour faire des économies (il cite toujours le même exemple qui a épargné quelques millions de dollars, mais la dette américaine est de l’ordre, si j’ai bien écouté, de 5 000 milliards
de dollars !).
Gestuel
Sur le plan comportemental, je pense que MacCain a largement remporté cet échange.
Contrairement aux deux précédents débats, John MacCain regardait enfin son adversaire. Il le fixait presque, comme si, enfin, il le considérait
d’égal à égal, apte à dialoguer avec lui. Je n’ai ressenti plus aucune condescendance vis-à-vis d’Obama. MacCain souriait beaucoup (et son sourire est irrésistiblement charmeur, on y retrouve
l’ancien jeune romantique à faire tomber les belles fleurs). Il s’est même payé le luxe saluer trois fois Obama, comme pour faire oublier ses précédents refus qui avaient été très mal
perçus.
Et Barack Obama était presque tout le temps sur la défensive. On le voyait écoutant son adversaire républicain avec une colère froide, agacé par les
inexactitudes grossières de MacCain. Il a réussi évidemment à se contrôler, mais souriait bien moins sincèrement que les fois précédentes.
Storytelling
Dans les campagnes américaines, les gens aiment bien qu’on leur raconte des histoires concrètes, parlantes. Les deux candidats leur ont donc concocté
quelques histoires.
La plus élaborée provenait de MacCain et son Joe, plombier de l’Ohio (un État critique pour les deux candidats) qui veut racheter son entreprise et
qui ne veut pas partager la richesse qu’il s’est créée.
Rappelons l’histoire du plombier polonais qui faisait éruption dans la campagne française du référendum européen du 29 mai 2005.
À deux reprises donc, Joe a fait partie du débat et inutile de dire qu’il me paraissait bien ridicule que MacCain puisse ainsi parler à ce fantôme de
Joe devant tant de millions de téléspectateurs.
Cependant, la méthode fonctionne certainement bien et Obama, à la seconde reprise, n’a pas non plus laissé passer sa chance en s’adressant, lui
aussi, à Joe.
MacCain n’a cessé de faire croire qu’Obama veut augmenter les impôts de tout le monde. Obama n’a cessé de lui répondre que c’est faux, il ne veut
augmenter que les impôts des plus riches (cela signifie, pour les deux candidats, des ménages qui gagnent plus de 250 000 dollars annuels). Et de citer, une fois encore, les grandes entreprises
comme Exxon dont MacCain veut réduire l’imposition mais les douze milliards de dollars de bénéfices.
Obama a lui aussi su utiliser des cas concrets. Pour accompagner son explication sur le système de santé (rien de nouveau, même paroles que dans le
premier débat), il a évoqué le cas de deux femmes qu’il aurait rencontrées à Toledo la veille et qui n’ont pas de couverture de santé. Elles vivent dans l’angoisse d’être malades et de ne pas
pouvoir se faire soigner. D’où l’intérêt du système qu’il propose.
Je suis évidemment favorable à ce projet, mais la manière de l’argumenter basée sur les émotions est très contestable, mais pas réservée aux
candidats américains : Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal n’ont fait que cela pendant leur campagne présidentielle de 2007.
Bistouri versus machette
Mais revenons sur la manière floue de réduire les dépenses budgétaires. MacCain et Obama ont parlé de coupes au scalpel ou au bistouri, MacCain
évoquait même la machette.
La différence, c’est sans doute que MacCain veut tout geler alors que Obama veut hiérarchiser les gels. Ce qui a permis à MacCain de dire qu’Obama,
c’est plus de dépenses que lui. C’est sans doute vrai dans l’absolu, mais il faut bien que l’État s’occupe de quelque chose aussi. MacCain refuse par exemple que l’État s’occupe des assurances de
santé. Obama pense que c’est le seul moyen de couvrir tous les employés (une bonne idée, à l’origine, de Hillary Clinton… et des Français !).
Je ne suis pas Bush !
MacCain a excellemment répondu à Obama qui, depuis trois débats, ne cessait de répéter que MacCain, c’est le troisième mandat de George W. Bush. Il a dû préparer la réponse car il lui a signifié
cette fois qu’il n’était pas Bush Jr et que si Obama voulait affronter Bush Jr, il aurait fallu qu’il se présentât alors en 2004.
Mais Obama lui a rétorqué que si MacCain s’était effectivement opposé à Bush Jr contre les tortures lors de la guerre en Irak, il avait toujours été
d’accord avec ce dernier sur le plan économique.
Dire du bien de son Vice-Président
MacCain a su aussi très bien valoriser sa colistière Sarah
Palin malgré les gaffes et casseroles qu’elle a accumulées depuis un mois et demi.
Il s’agissait pour chaque candidat de parler de leur Vice-Président et de celui de l’autre. Un exercice sans réel utilité mais qui
permettait de voir le jeu d’acteur des candidats.
Obama n’a eu aucun mal à se montrer convaincant sur la stature de Joe Biden, même si MacCain a reproché à Obama que Biden n’avait pas voté
l’intervention des troupes américaines dans la première guerre du Golfe, en 1991 (au Koweït).
L’exercice était évidemment plus délicat pour Sarah Palin. MacCain a été, à mon sens, excellent et convaincant lorsqu’il expliquait qu’il a choisi
Sarah Palin pour chasser le clientélisme de Washington. Ainsi, Palin et MacCain, qui sont deux électrons libres du Parti républicain et qui se sont déjà opposés plusieurs fois aux instances
dirigeantes de leur parti, seraient les plus capables d’en finir avec la bureaucratie et la corruption qui règneraient dans l’etablishment. Un discours éminemment populiste mais qui fonctionne
toujours bien.
En face, Obama n’a pas osé critiquer Sarah Palin. Il s’en est d’ailleurs toujours gardé, par galanterie ou pour montrer son calme ? L’élection
dira s’il a eu raison ou tort. Il a juste déclaré que si MacCain l’avait désignée, c’est que ce dernier pensait qu’elle serait apte à la fonction, mais en montrant de la grande
circonspection.
Jeu de vilains
Autre thème totalement inutile, mais croustillant pour le téléspectateur, les coups bas des deux camps dans la campagne électorale. Les horreurs
professées contre Obama (terroriste qu’il faut tuer) par des supporters de Sarah Palin dans des rallyes. Ou les tee-shirts peu respectueux du candidat républicain portés par des supporters
d’Obama.
Dans cet épisode, Barack Obama a montré une réelle hauteur de vue, refusant d’aller dans les détails même s’il a voulu rétablir quelques faits sur
ses fréquentations en terminant d’ailleurs de façon éclatante sur celles qui seraient à la Maison Blanche s’il était élu : Paul Volcker, Warren Buffett etc. Il a avant tout demandé à mieux
encadrer leurs supporters respectifs.
Alors que MacCain s’était montré plutôt misérable en essayant d’exploiter le moindre des petits faits.
Le mystère des rétroprojecteurs enfin élucidé
À propos de petits faits, un amusement : MacCain avait reproché à Obama dans un précédent débat d’avoir voté un budget très dépensier (je ne me
souviens plus du montant, en millions de dollars je crois) en rétroprojecteurs (on en trouve maintenant des portables à 2 000 euros !).
Dans ce troisième débat, MacCain lui a relancé à la figure ces rétroprojecteurs… en précisant que c’était pour un planétarium ! On peut imaginer
que les rétroprojecteurs pour un planétarium coûtent cher puisque c’est l’essentiel de l’équipement. Donc, la critique ne s’avère pas vraiment pertinente.
Autres éléments du débat que j’ai retenus
Parmi les éléments plus précis du débat, il y a MacCain qui a évoqué la construction de 45 centrales nucléaires pour éviter de dépendre du pétrole
des pays arabes et du Vénézuela. Pour lui, les Américains savent stocker et traiter les déchets irradiés. Ce qui est à ma connaissance faux. Mais Areva est là pour cela !
L’indépendance énergétique ne faisait aucune différence entre les deux candidats qui ont répété quasiment le même couplet l’un et l’autre.
MacCain a été efficace quand il a parlé de la Colombie et du libre-échange en constatant qu’Obama ne voudrait pas conclure d’accord avec la Colombie
mais accepterait de rencontrer sans condition Hugo Chavez le Président vénézuelien. Ce qui n’est pas vraiment
exact.
Sur la nomination des juges à la Cour suprême des États-Unis, MacCain a accusé le candidat démocrate de vouloir les nommer selon des considérations
partisanes et pas de compétence (la crainte se porte sur MacCain qui pourrait nommer des juges "pro-vie").
Sur l’avortement, pas de différence très sensible et Obama a plutôt laissé entendre un avis consensuel.
Sur les chèques scolaires, c’était amusant d’écouter la traduction française, Barack Obama assénant à l’envi que « les chèques scolaires ne sont pas une bonne solution », une véritable lapalissade si on
entendait "l’échec scolaire" à la place des "chèques scolaires".
Fin du débat
Enfin dans leur conclusion, la dernière, MacCain et Obama ont dit tous les deux que les temps étaient durs. Mais MacCain a mieux réussi ses dernières
phrases en insistant sur le fait que ce qui compte, c’est la confiance au futur Président et que, en ce qui le concernait, son passé, son expérience plaidait pour lui car il a toujours servi
correctement son pays (on aurait pourtant cru qu’il cherchait une ultime médaille).
Comme d’habitude dans ces débats, les conjointes ont rejoint les candidats à l’issue de la confrontation. Cravate rouge et robe de l’épouse bleue
pour Obama et cravate bleue et robe de l’épouse rouge pour MacCain.
Un débat pour rien ?
Posé, calme et pédagogue, Barack Obama a peaufiné son image de présidentiable, a habitué les Américains qu’il pourrait présider.
MacCain, à l’aise, s’est montré comme un Américain de la base, un peu de mauvaise foi mais sympathique et souriant.
Donc, pas grand de bouleversement de campagne avec ce troisième débat présidentiel.
Mais que disent les sondages à J–
18 ?
D’une part, qu’Obama jouit d’une avance globale moyenne d’environ 7% sur MacCain (avance qui s’est cependant légèrement réduite ces derniers
jours).
Et d’autre part, qu’Obama pourrait compter aujourd’hui sur 249 grands électeurs qui seraient "sûrs" et de 37 qui seraient "probables" (il en faut 270
pour être élu). Le retard de MacCain (140 "sûrs" et 18 "probables") est immense.
Et dans les grands État "tangents", Obama a près de 5% d’avance en Floride (27 grands électeurs), 8% en Virginie (13), 3% dans l’Ohio (20) et 1% en
Caroline du Nord (15). Alors que MacCain est en tête seulement dans l’Indiana (11) avec 4% d’avance et en Géorgie (15) avec 7% (les sondages sont généralement à 3 ou 4% près, ce qui illustre la
fragilité des écarts).
Que d’eau !
Mais terminons sur deux anecdotes aqueuses sur les
candidats.
Quand il avait 2 ans, John MacCain avait parfois des crises de colères terribles à tel point qu’il en perdait la respiration et s’évanouissait. Ses
parents avaient alors trouvé la solution en le plongeant dans un bain d’eau froide pour arrêter la colère.
Quand il avait 6 ans, Barack Obama était arrivé en Indonésie sans connaître personne ni la langue, et était plus grand que les autres enfants de son
quartier, dans la banlieue de Jakarta. Pendant quelques temps, il n’eut donc aucun contact avec eux. Jusqu’au jour où des enfants audacieux le prirent et le jetèrent dans l’eau sans savoir s’il
savait nager ou pas. Obama est ressorti à la surface et a éclaté de rire, ce qui a forgé une forte amitié avec cette bande d’enfants.
Deux anecdotes savoureuses qui en disent long sur le caractère de deux candidats à la Maison Blanche.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 octobre 2008)
Pour aller plus loin :
Vidéo de l’intégralité du 3e débat présidentiel (15 octobre 2008).
Dépêches sur le 3e débat (16 octobre 2008).
Sondages à suivre au jour le jour.
Quel caractère pour devenir Président des
États-Unis ?
La force d’OBama ? Établir un pont entre le vote blanc et le
vote noir (interview du Monde du 15 octobre 2008).
Le 2e débat présidentiel (7 octobre 2008).
Le 1er débat présidentiel (26 septembre 2008).
NB : si, le plombier Joe existe effectivement, voir ici :
http://rakotoarison.over-blog.com/article-23994527.html
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=45926
http://fr.news.yahoo.com/13/20081017/tot-usa-2008-john-maccain-toujours-en-li-89f340e.html
http://www.lepost.fr/article/2008/10/17/1290877_usa-2008-john-maccain-toujours-en-lice.html