Mais bien vite, nous basculons sur ce qui fait notre actualité: la diffusion des technologies de l'information et de la communication et leurs effets sur les liens sociaux.
J'avais déjà pas mal écrit sur le sujet, je remets donc au goût du jour quelques articles.
On y retrouve des données factuelles et un certain nombre de mécanismes pour "planter le décor" comme on dit:
- le premier billet: sommes-nous prêts à acceuillir la N génération ?
- J'vous l'avais pas dit ?
- Eux / nous et les nouvelles technologies
- Question d'acculturation : très utile pour les premières et pour tous aussi ^^
Je voudrais apporter d'autres éléments d'analyse qui proviennent à la fois de lectures (notamment François de Singly : "le statut de l'enfant dans la famille contemporaine" in Universalis 2004 et Dominique Pasquier " Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Paris, Ed. Autrement (Coll. « Mutations »" ) et de ma pratique professionnelle.
- les transformations actuelles viennent parachever un long processus d'autonomisation des jeunes.
Les parents ont d'abord encouragé leurs enfants à développer leur autonomie culturelle pour qu'ils puissent construire "un monde à eux" (ce que certains appellent la "culture de la chambre à coucher", qui est devenu un lieu privatif - pour les parents).
Puis, avec l'avènement des TIC, des changements qualitatifs se produisent: elles permettent d'entretenir leur vie relationnelle avec leurs groupes de pairs de façon continue (quelque soit le moment et le lieu). Par exemple, au lycée, dès que le cours est terminé, ils consultent leur portable, dans leur chambre, à travers le "msn t'chat", ils continuent.
Ce réseau de liens en direct et en continu pose évidemment la question des liens sociaux avec "les autres", c'est-à-dire ceux qui n'appartiennent pas au groupe des pairs: les parents, les enseignants, les autres élèves.
Doit-on craindre une coupure entre les générations ?
Dominique Pasquier est plutôt pessimiste, et lorsque je discute avec les
collègues, tout porte à croire qu'il y a un vrai problème de "communication" lié aux générations.
Pour autant, je serais un peu plus nuancé (oui je sais).
François de Singly montre qu'il ne faut pas confondre autonomie et indépendance. Si les jeunes ont effectivement gagné en autonomie culturelle, ils restent de plus en plus dépendants de leurs parents (du fait de l'allongement de la scolarité, des difficultés à trouver un emploi stable etc...).
Autrement dit, les liens sociaux existent, mais ils sont remis en cause en partie par ces changements contradictoires: plus d'autonomie d'un côté et moins d'indépendance de l'autre. Ce qui génère des tensions inévitables: les jeunes se croient indépendants parce qu'ils ont plus d'autonomie; les parents essayent une reprise en main ...en vain parce qu'ils se heurtent à cette volonté d'autonomie.
Ce sont des tensions entre des pratiques individuelles (de construction de soi) et des normes collectives (cohésion du groupe).
En classe, le problème est le même (Mais m'sieur, pourquoi dois-je enlever mes écouteurs, mon portable, mes MP3, ma clé USB ? ^^)
Source: François Guité
- les TIC, comme je l'ai déjà montré, ne sont pas que des innovations "technologiques", elles touchent aussi aux questions de pouvoir et de rapports sociaux.
Dominique Pasquier montre qu'elles participent à la diffusion de certaines normes / valeurs de la culture globale.
Ainsi, par exemple, ce qui est nouveau, c'est que les jeunes affichent ostensiblement leur réseau de relation de façon quantitative: les TIC leur permettent de comptabiliser le nombre de personnes. Sur les réseaux sociaux, on indique aux visiteurs combien vous avez d'amis. Et quand je me compare à des anciens élèves, je suis vraiment "petit joueur" avec mes 37 amis sur FaceBook (contre plus de 300 pour eux) et ma douzaine de contacts téléphoniques (contre une centaine pour eux - j'en vois qui sourient derrière leur moniteur^^).
Ce qui compte, c'est la quantité, et pas la qualité: les jeunes savent bien que tous leurs contacts ne sont pas mobilisables, mais ils comptabilisent et comparent les chiffres (et moi j'ai un mal fou à leur demander d'utiliser des données chiffrées dans leurs analyses ^^)
Cette affichage public me rappelle un peu ce que font certaines entreprises lorsqu'elles affichent le classement des "meilleurs managers ou vendeurs" de la semaine. Autrement dit, on "fait du chiffre".
- les TIC développent également une "pensée magique" selon laquelle la technologie résoudrait une grande partie de nos problèmes.
Je voudrais juste raconter une scène qui s'est produite lorsqu'en début de TPE, je menais une activité en salle multimédia qui avait pour but de leur faire comprendre le fonctionnement de Google.
Dans un premier temps, je leur ai donné des exemples de requêtes absurdes que font certains internautes sur Google (ex: "bonjour, je cherche un site sur tel chanteur car j'aimerais connaître les paroles de ses chansons. Merci").
Il s'agissait de montrer que ces internautes croyaient qu'une personne derrrière l'écran allait leur donner une réponse.
Evidemment, Google ne traite (pour le moment) que des mots-clés, mais le procédé est tellement efficace qu'il peut laisser croire à cela (vous n'avez jamais entendu un enfant parler de cette "carte magique" qui donne de l'argent, oui , c'est votre carte bleue ^^).
Les élèves ont compris la naiveté du procédé (et font les "malins", me prenant de haut ^^).
Mais après, on a essayé d'expliquer pourquoi certains résultats de la recherche arrivaient toujours en tête.
Un élève "parce que ce sont les meilleurs sites".
Je lui ai demandé ce qu'il entendait par "meilleur", et il m'a répondu:
"ce sont les plus fiables !".
D'où une discussion sur la possibilité pour une technologie (celle de Google) de mesurer de façon quantifiable le degré de fiabilité des sites. Ensuite, un élève a proposé:
"parce que ce sont les sites les plus visités".
D'où ma question
"Oui, mais alors, est que les sites les plus visités sont les sites les plus pertinents pour vos recherches ?"
Souvent, je retrouve cette posture chez eux: ils ont l'impression d'en savoir beaucoup, d'être des "grands" donc autonomes (d'où leur attitude un peu méprisante vis-àvis de ceux qui "commettent un impair").
En réalité, ils ont terriblement besoin de nous pour les aider à être indépendant (mais nous ne devons pas les "traiter" comme des petits)
De plus en plus je perçois que les enjeux liés à la gestion de l'information et à la gestion du temps me paraissent fondamentaux.
On le voit, la tâche est immense mais plus que jamais nécessaire.
Pour aller plus loin:
ce billet de Mario: "les jeunes font quoi avec toutes ces nouvelles technologies ?"
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