Un petit passage de La Cousine Bette de Balzac, ou comment être artiste ne va pas de soi !!
" Celui qui peut dessiner son plan par la parole, passe déjà pour un homme extraordinaire. Cette faculté, tous les artistes et les écrivains la possèdent. Mais produire! mais accoucher! mais élever laborieusement l'enfant, le coucher gorgé de lait tous les soirs, l'embrasser tous les matins avec le coeur inépuisé de la mère, le lécher sale, le vêtir cent fois des plus belles jaquettes qu'il déchire incessamment; mais ne pas se rebuter des convulsions de cette folle vie et en faire le chef-d'oeuvre animé qui parle à tous les regards en sculpture, à toutes les intelligences en littérature, à tous les souvenirs en peinture, à tous les coeurs en musique, c'est l'Exécution et ses travaux. La main doit s'avancer à tout moment, prête à tout moment à obéir à la tête. Or, la tête n'a pas plus les dispositions créatrices à commandement, que l'amour n'est contenu.
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Aussi le travail est-il une lutte lassante que redoutent et que chérissent les belles et puissantes organisations qui souvent s'y brisent. Un grand poète de ce temps-ci disait en parlant de ce labeur effrayant: - Je m'y mets avec désespoir et je le quitte avec chagrin.
Que les ignorants le sachent! Si l'artiste ne se précipite pas dans son oeuvre, comme Curtius dans le gouffre, comme le soldat dans la redoute, sans réfléchir; et si, dans ce cratère, il ne travaille pas comme le mineur enfoui sous un éboulement; s'il contemple enfin les difficultés au lieu de les vaincre une à une, à l'exemple de ces amoureux des féeries, qui, pour obtenir leurs princesses, combattaient des enchantements renaissants, l'oeuvre reste inachevé, elle périt au fond de l'atelier, où la production devient impossible, et l'artiste assiste au suicide de son talent."
La Cousine Bette, H. de Balzac, pp.231/232, éd. Folio !