Lors du dernier Conseil européen, le gouvernement britannique a obtenu de ses partenaires une dérogation majeure. Alors que le traité modificatif est censé prévoir que « l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes de la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000 », le Royaume-Uni en a été dispensé.
A première vue, cette dérogation peut passer pour une « victoire » des autorités britanniques qui, après avoir signé le traité constitutionnel et s’être abstenues de le soumettre à ratification, ont ainsi obtenu de leurs partenaires les concessions supplémentaires qu’elles estimaient être dans l’intérêt national. Les responsables britanniques ne semblent pas avoir réalisé à quel point cet opting out pourrait avoir des conséquences désastreuses à long terme.En refusant – au moins sur un plan symbolique - de partager les valeurs et principes reconnus par tous les autres Etats membres, la GB sape d’abord la politique d’élargissement.
Ce texte rassemble en effet le corpus de principes et de valeurs que les Européens ont entendu affirmer à la veille de la réunification du continent. Même s’ils figurent dans nombre de textes nationaux ou internationaux (la Convention européenne des droits de l’homme notamment), les avoir rassemblés pour les assumer conjointement, en marquant ainsi la fin de la guerre froide, n’était pas un geste sans portée.
Pour cette seule raison, et notamment vis-à-vis des pays qui viennent de nous rejoindre, la défection britannique est regrettable. Mais il y a pire : l’attitude du Royaume-Uni compromet les futurs élargissements si souvent justifiés par la volonté « d’exporter nos valeurs ». Des valeurs ? Quelles valeurs ?... seront fondés à demander les candidats. Avec ce type de dérogation, nous créons un précédent dangereux : celui de principes fondamentaux valables pour les uns et pas pour les autres. Des valeurs « à la carte » dont on peut se retirer sans respecter la parole donnée. Ce n’est pas le bon signal. Sylvie GoulardNaturellement, les experts britanniques invoqueront aussitôt des arguments techniques : la Charte est à leurs yeux superfétatoire. Le RU respecte déjà ce texte en substance. Mais l’argument n’est guère convaincant : soit la Charte se borne à une répétition et l’on voit mal en quoi la plus ancienne démocratie parlementaire du monde, le pays de l’habeas corpus, aurait à en souffrir. Elle devrait au contraire donner l’exemple. Soit la dérogation porte sur des règles de fond nouvelles et la dérogation est inacceptable.
Car quels seront, en définitive, les standards imposés aux candidats ? Les plus exigeants, c’est à dire ceux des 26 ? Ou les moins exigeants, ceux du RU ? Le gouvernement britannique ayant laissé entendre que le volet social de la Charte lui posait problème, la question mérite d’être soulevée ouvertement. Si le RU qui est aujourd’hui l’un des pays les plus performants de l’UE sur le plan économique, se dérobe aux règles, les candidats auront beau jeu de demander un alignement par le bas, en faisant valoir leur retard.
Quant aux adversaires de l’élargissement, ils pourront aisément agiter le spectre du « dumping social ». Les Britanniques ne pouvaient pas faire un plus beau cadeau aux adversaires de la poursuite de l’élargissement, notamment en France.En outre, cette dérobade sape toute action extérieure commune. Comment concevoir une action commune entre partenaires qui ne partagent pas des valeurs communes ? Les accords conclus dans le cadre de la politique commerciale comportent déjà des clauses de respect des droits de l’homme ; elles ne sortiront pas renforcées d’une telle dévalorisation de la Charte.
De même, l’impératif du développement durable appelle une attitude irréprochable de la part des Européens. Face aux pays émergents qui se développent dans des conditions environnementales et sociales inquiétantes, devant la négation, en tant d’endroits du globe de l’égalité hommes / femmes, l’Europe doit faire bloc autour de ses valeurs et promouvoir une conception exigeante du respect du droit. Le moindre interstice, le moindre doute et voilà la relativisation qui est permise.
Durant la CIG, le gouvernement britannique serait bien inspiré de prendre conscience du danger et de revenir en arrière sur cet opting out. Une solution technique satisfaisante avait été trouvée pendant la Convention pour tenir compte de la spécificité du système juridictionnel britannique.
Le risque éventuel d’un dérapage juridictionnel dans l’application de la Charte est objectivement dérisoire au regard des dangers que fait courir un tel opting out à ce qui nous est présenté comme l’intérêt national britannique. Cette fois ci, le Royaume Uni semble s’être pris les pieds dans ses lignes rouges.
Sylvie Goulard
Présidente du Mouvement européen France
(Article publié dans le Financial Times daté du vendredi 20 juillet 2007.)