Avec sa couverture dorée, son format allongé et son poids respectable, le volume peut faire penser à un lingot. Pourtant, rien de ce qui est recensé dans ce Dictionnaire de la censure n’est vraiment brillant brillant. Et pour cause : Alain Puzzuoli et Jean-Pierre Krémer se sont attachés à mettre en lumière tous les grands cas et les personnalités frappés par la censure depuis le XIXème siècle. Un ouvrage passionnant, qui se révèle même citoyen à de nombreux égards.
Dans une longue introduction, les deux auteurs exposent les motifs de leur entreprise. Longtemps associées à des âges “lointains”, l’acte de censure est revenu de plein fouet au cœur de l’actualité depuis le début des années 90. Livres, films, publicités, chansons et médias se voient donc, de plus en plus souvent, frappés d’interdiction. Puzzuoli et Krémer n’ont pourtant de cesser de ne pas amalgamer les différentes affaires derrière un intitulé commun, et dénombrent pas moins de neufs motifs de censure. Le sexe ou l’outrage aux bonnes mœurs, la religion, la violence, la drogue ou l’incitation à la consommation de stupéfiants, la diffamation, les censures politiques, l’autocensure, les discriminations et le « politiquement correct » (apparue il y a peu) sont, selon eux, autant de moyens de brider les propos des artistes, journalistes et autres institutions. Chacun de ces motifs est représenté dans le livre par un symbole accolé au cas de censure traité.
Plusieurs dizaines de censures, organismes et personnalités occasionnant ou ciblées par diverses interdictions sont répertoriées dans l’ouvrage. Les auteurs, qui ne sont pas journalistes mais écrivains, réussissent le tour de force de livrer une information très fiable, fort bien documentée, et relativement impartiale. Seuls quelques termes choisis laissent transparaître la compréhensible désapprobation des deux protagonistes pour les faits relatés. Mais peut-on les blâmer pour autant ?
A l’origine titré Grandes et petites censures, l’ouvrage traite autant des grands dossiers que de censures quotidiennes, qui se perdent parfois dans une actualité plus importante. Ce n’est pas une des moindres qualités de ce livre qui fait, de fait, œuvre de mémoire. De nombreux cas de censures et de censeurs français et étrangers dont traités dans des dossiers spécifiques : Les versets sataniques de Salman Rushdie, le Maquis de Sade, La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese, le “fameux” code Hayes américain ou, plus récemment, les caricatures de Mahomet pour n’en citer que quelques uns. On ne regrettera qu’une chose : l’iconographie, qui reprend de nombreux visuels censurés, n’est ici présentée qu’en format vignette, et nombreux des documents y sont reproduits flous…
Peu médiatisé pourtant, ce Dictionnaire de la censure restera pourtant comme l’un des documents les plus importants de l’année. On ne peut que souhaiter que les auteurs envisagent, dans les prochaines années, une version actualisée de leur ouvrage. Car l’on imagine hélas que la censure ne devrait pas disparaître de sitôt, ce qui nous oblige à ne pas oublier sur les artistes, journalistes et autres personnalités qui en sont les victimes…
« Le dictionnaire de la censure » de Alain Puzzuoli et Jean-Pierre Krémer, Ed. Scali, 560 pages, 28 €