Dans Interior design, Michel Gondry décrit avec sobriété le quotidien d'un jeune couple qui débarque à Tokyo pour s'y installer. Le film se transformera progressivement en un portrait de cette jeune femme qui souffre de se sentir inutile aux yeux des autres. Le cinéaste délaisse en grande partie les bricolages de ses précédents films, se contentant à juste titre d'observer la mutation de son héroïne, qui finira par se trouver une utilité. On plonge subitement dans la bizarrerie la plus totale, et l'on comprend mieux ce qui a intéressé Gondry dans cette histoire. Cette étrangeté latente n'empêche pas Interior design d'être également l'intéressante radiographie d'une jeunesse qui peine à faire sa place, au propre comme au figuré (les deux amoureux peinent à trouver du travail et à dénicher un appartement correct). C'est frais, c'est fin et c'est beau.
Vient ensuite l'insolite Merde, dans lequel Leos Carax démontre une surprenante envie de comique. Incarné par un Denis Lavant franchement repoussant, le héros du film se nomme Merde et est un ermite des égouts qui n'aime rien tant que semer la zizanie dans les rues de Tokyo. Sa rencontre avec un avocat (Jean-François Balmer, admirable), le seul ou presque à parler son drôle de dialecte, va faire des étincelles. Bien qu'un peu excessif et répétitif dans son délire, Merde dépeint avec férocité la peur de l'étranger et le racisme ordinaire. Une fois encore, la fantasmagorie finira par l'emporter. Bien qu'étant le moins "joli" des trois films, Merde est un machin trtès recommandable, qui montre notamment que Carax n'est pas que ce metteur en scène rigide, torturé et un peu chiant.
On finit en douceur avec Shaking Tokyo, description par Bong Joon-ho (The host) du quotidien d'un hikikomori. C'est quoi un hikikomori ? Une sorte d'ermite moderne, qui se refuse à sortir de chez lui et à croiser le moindre regard, faisant de sa vie et se son logis une sorte d'oeuvre d'art où les bouteilles d'eau et les cartons de pizza prennent un tout autre sens. Évidemment, le regard du héros va croiser celui d'une belle inconnue, rompant son voeu de solitude. Le scénario de Shaking Tokyo est sans doute le moins imprévisible, mais BJH s'en acquitte avec une telle délicatesse que l'on ne peut que s'exalter au contact de ces deux personnages.
Bonne idée que d'avoir placé le furieux film de Carax au milieu des deux autres : cela empêche tout déséquilibre et provoque une longue montée vers la folie avec une redescente progressive et cotonneuse. Dopé par des scénars originaux, Tokyo ! nous fait découvrir et aimer la capitale japonaise, sans pour autant prendre des allures de carte postale. C'est ce qu'on appelle un petit exploit.
8/10