Square dépression
Installation de Bruce Nauman
On croit d’abord voir un grand carré blanc, éblouissant sous le rare
soleil de Münster. On est sur une des pelouses de l’université, devant
l’Institut de Physique Nucléaire, et ce grand carré blanc, bordé
d’herbes et de pavés, étonne. Les étudiants le contournent.
En regardant mieux, on discerne une profondeur, une inflexion. Ce n’est
pas un carré plan, mais une pyramide inversée, une dépression, un
creux. Les diagonales plus sombres sont en fait des rigoles. Un homme
debout au centre, au fond, a la tête au niveau du sol. C’est une
sculpture négative, un vide, une absence; il s’agit de montrer ce qui
n’est pas visible. Ce même artiste sculptait une chaise en rendant visible l’espace sous la chaise plutôt que la chaise elle-même. La
plupart des visiteurs descendent droit au fond, soit par une face, soit
par une arête, y restent deux minutes et remontent de la même manière,
photos faites. Pour moi, c’est une sculpture à habiter, à vivre, à
laquelle il faut affronter son corps, avec laquelle il faut se mesurer.
Il faut la parcourir à flanc de coteau, dahu-like, il faut descendre
lentement en spirale vers le fond, il faut expérimenter les différents
niveaux, selon que notre regard émerge au dessus du sol ou non.
Peut-être quelqu’un osera-t-il se coucher et se laisser rouler
doucement jusqu’au fond, comme dans nos jeux d’enfants. Déambulant
ainsi, on remarque que les faces triangulaires sont marquées d’un
coffrage irrégulier, des rectangles plus ou moins droits s’y
juxtaposent; au sud-est, il y a eu une coulure, un épanchement de béton
qui rompt la régularité. L’essentiel est de vivre cette sculpture, de
se l’approprier, de devenir acteur de ce théâtre négatif, virtuel. Bruce Nauman avait proposé cette installation, Square Depression, en 1977; refusée alors pour des raisons de sécurité, elle vient enfin d’être réalisée, 30 ans plus tard. Par Lunettes rouges 07/09/07