Yann Queffélec : La dégustation.
Déguster a deux sens. Apprécier, goutter, en particulier un vin, pour en juger les caractéristiques. Mais aussi encaisser, prendre des coups. Avec ce roman, Yann Queffélec nous bouscule sans cesse de l’une à l’autre de ces deux acceptions, deux pôles opposés d’un même mot. Qui sait déguster ne boit pas, disait Dali, mais découvre des secrets. Ils ne sont pourtant pas tous aimables, et les coffres dormant au fond des caves renferment parfois des monstres qu’il vaut mieux ne pas provoquer. Quand l’histoire repasse les plats, ceux-ci sont souvent faisandés, et du vin ne reste que la lie.
Nice, début des années 70. Michel, viticulteur et playboy quinquagénaire, épouse Ioura, 20 ans, belle, vierge, juive. L’idylle sera très rapidement rongée de l’intérieur par le lourd passé de Michel. Collaborateur aux plus sombres moments de l’occupation, il fut alors responsable de la déportation de la mère de Ioura. Leur passion amoureuse sera de courte durée et se reportera sur le vin. Ioura a un palais d’une subtilité sans égale. Insuffisamment cependant pour reconnaître le vin du bonheur. Mais le bonheur fut-il vraiment invité au banquet ? Ou l’a-t-il fuit en voyant les anciens amis de Michel apporter des bouteilles aux secrets bien peu glorieux ?
Le piège se refermera sur les amants, le Bellet prendra le goût du sang et les fines dégustations finiront en alcoolisme lourd. Non, il n’y aura pas de rédemption, nul ne peut refaire son passé, pas plus qu’il ne peut échapper à son destin. Queffélec a enfermé ses personnages dans un labyrinthe sans issue, sombre comme un Château-Canon 1933 bu dans un cachot de la Gestapo.
La dégustation. Yann Queffélec. 154 pages. Editions Fayard. 2005. 14 €.
Réédité au Livre de Poche en juin 2008. 5 €.