Discours de François Fillon le 14 octobre 2008 à l'Assemblée Nationale

Publié le 14 octobre 2008 par Sylvainrakotoarison


Interventions du Premier ministre
14-10-2008 17:12

Discours de François Fillon devant l’Assemblée nationale préalable au Conseil Européen - le 14 octobre

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,

Depuis quelques semaines, l’Europe affronte une des crises financières les plus graves de son histoire. Une action déterminée était nécessaire. La Présidence française a entrepris de la conduire, et je crois qu’on peut, ensemble, reconnaître que, partout dans l’Union, le volontarisme du Président de la République est salué. C’est d’ailleurs ce même volontarisme qui a caractérisé son intervention lors de la crise géorgienne. En quelques mois, à deux reprises, l’Europe s‘est révélée comme une force politique avec laquelle il fallait compter.
Mesdames et Messieurs les députés, depuis le 18 septembre, c’est-à-dire depuis que la crise financière, qui sévissait aux Etats-Unis en particulier depuis le début de l’été 2007, est entrée dans une phase aiguë, la France n’a pas varié. Elle a cherché, depuis près de trois semaines, à atteindre le même objectif, c’est-à-dire une réponse globale et massive à une crise financière qui est globale et massive. Cette réponse n’a pas été facile à obtenir et il a fallu tout le pragmatisme de la présidence française pour, petit à petit, de la réunion du G4 qui a permis de mettre d’accord Britanniques et Allemands, à la réunion de l’Eurogroupe de dimanche dernier, et je l’espère demain, à la réunion du Conseil européen, aboutir finalement à construire une réponse coordonnée, massive et globale européenne à la crise financière. Le 12 octobre dernier, le Président de la République a réuni les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro. Je voudrais d’abord vous faire remarquer que c’était une première puisque, jamais, depuis la création de la monnaie unique, un tel sommet n’avait été réuni. Ce qui en dit sans doute long d’ailleurs sur la manière dont on considérait le fonctionnement de nos institutions, considérant qu’il n’était pas normal que les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro se réunissent. Jamais l’Europe ne s’était engagée de façon aussi massive. Il était clair que l’urgence de la situation appelait une réponse européenne commune. Il était clair que les 15 pays de la zone euro, parce qu’ils partageaient la même monnaie, parce qu’ils partageaient la même politique monétaire, parce qu’ils partageaient la même banque centrale, devaient agir les premiers.
C’est ce qu’ils ont fait en annonçant ensemble une action immédiate, une action puissante et une action concertée.
Trois décisions majeures ont été prises dimanche soir.
• D’abord, pour pallier le manque de liquidités des banques, les gouvernements pourront garantir, directement ou indirectement, leurs nouvelles émissions, pour une période définie allant jusqu’à cinq ans. Ces garanties se feront naturellement sous conditions. Et en France, cette réactivation du marché interbancaire se fera par la création d’une "caisse de refinancement". Cette "caisse de refinancement" empruntera sur les marchés, avec la garantie de l’État, pour fournir des ressources financières aux banques qui le souhaiteront. Pour des raisons de bonne gouvernance et de transparence, nous avons préféré ce système centralisé, passant par une société de refinancement, à des garanties d’emprunts bancaires accordées au cas par cas. La société de refinancement sera placée sous un contrôle étroit, conforme à la garantie exceptionnelle dont elle est porteuse.
• Ensuite, chaque État membre de la zone euro a décidé de mettre à disposition des banques européennes des fonds propres supplémentaires pour leur assurer un "matelas de sécurité" dont elles peuvent avoir besoin dans ces temps de turbulences. L’objectif de cette mesure, c’est évidemment de renforcer la confiance vis-à-vis des établissements financiers et de faire en sorte que ces établissements financiers puissent recommencer à faire leur métier, c’est-à-dire prêter de l’argent à l’économie réelle, aux entreprises, aux salariés, aux ménages, aux collectivités locales. En France, nous avons retenu la voie de l’apport aux organismes financiers qui en feront la demande sous forme de titres subordonnés, sans droit de vote, et bien entendu, contre une rémunération.
• Enfin, les pays de la zone euro ont pris l’engagement, comme d’ailleurs la France l’avait déjà fait depuis plusieurs semaines, d’empêcher toute faillite de banque présentant un risque pour le système financier, en y consacrant les moyens adaptés, y compris l’apport de capitaux nouveaux. Comme je vous l’ai indiqué la semaine dernière, ces prises de participation devront se faire dans le respect des intérêts des contribuables et en veillant à ce que les actionnaires et les dirigeants de la banque assument entièrement leur part de responsabilité. Dans l’hypothèse où il devrait y recourir, l’État français les assortirait d’une intervention claire dans la stratégie de redressement de l’établissement et du remplacement de ses dirigeants, comme ce fut le cas lorsque nous avons décidé d’apporter notre soutien à l’établissement financier Dexia.
En ce moment même, et comme nous en étions convenus lors du sommet du 12 octobre, une réaction concertée est mise en œuvre par tous les pays de la zone euro. Et vous allez examiner dans quelques instants, le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie, qui décline au niveau national les différents aspects du plan européen adopté dimanche dernier. Nous sommes conscients de la responsabilité qui nous incombe, au moment où nous nous apprêtons à solliciter de votre part l’autorisation d’engager la garantie de l’État à hauteur de 360 milliards d’euros. Et c’est la raison pour laquelle, devant les Français, je veux prendre, au nom du Gouvernement, trois engagements :

D’abord, celui de gérer au mieux les intérêts du contribuable.
Les montants indiqués correspondent à des plafonds. Ils sont d’une importance considérable, parce que nous devons apporter, face à l’ampleur de la crise, une réponse qui soit crédible.
Ils sont d’ailleurs du même ordre que les annonces qui ont été faites par nos partenaires, compte tenu de leur produit intérieur brut et de leur situation propre - 480 milliards d’euros pour l’Allemagne, 382 milliards d’euros pour le Royaume-Uni. La simple existence de ces outils devrait suffire à ramener la confiance dans le système interbancaire. En tout état de cause, les interventions seront temporaires. Elles seront aussi sécurisées que possible : ainsi, les prêts bénéficieront de sûretés apportées par les banques ; en cas de défaillance, naturellement, les créances de l’État seront prioritaires. Ces interventions seront payantes, afin que les acteurs assument entièrement le coût de marché des financements et des investissements qu’ils obtiendront. J’ajoute que le système de rémunération sera mis en place de telle manière qu’il incitera les bénéficiaires à les rembourser au plus vite, dès que les conditions de marché seront rétablies.

Le deuxième engagement que je prends devant vous, c’est celui d’exiger des bénéficiaires de ces dispositifs des contreparties qui soient proportionnées à l’effort financier que l’Etat consent.

Ces contreparties seront prévues par la loi. Pour le volet "refinancement", elles seront détaillées dans une convention. Et pour le volet "renforcement des fonds propres", elles feront partie intégrante de la politique d’investissement. Elles comportent au premier chef l’engagement d’orienter les fonds obtenus vers les prêts à l’économie française. Mais nous avons, mesdames et messieurs les députés, également tenu à ce que les établissements bancaires et leurs dirigeants s’engagent sur des règles de comportements, c’est-à-dire sur toute une série de principes éthiques qui soient conformes à l’intérêt général. Tous les établissements concernés devront ratifier la charte de déontologie sur les rémunérations des dirigeants. Ils devront adapter les rémunérations de leurs opérateurs financiers, afin d’éviter les comportements imprudents et irresponsables qui nous ont menés là où nous en sommes. Mais nous irons plus loin : ainsi, je considère qu’il n’est pas concevable qu’une banque concernée par ces dispositifs emploie les fonds obtenus, par exemple, pour procéder à des rachats d’actions ou pour se lancer dans une stratégie d’expansion prédatrice. On ne peut pas accepter non plus que ses dirigeants puissent la quitter en empochant d’importantes indemnités de départ, ou se fassent voter de généreux plans de stock-options.

Enfin, la même résolution marque notre troisième engagement, celui de transformer en profondeur le système au niveau mondial, pour éviter que de telles dérives ne se reproduisent.

Le Président de la République l’a rappelé : nous devrons tirer au plus vite les leçons de cette crise pour refonder le système financier international. Il est hors de question de recommencer comme avant, c’est-à-dire comme si rien ne s’était passé. Il faut reconstruire l’architecture de la régulation mondiale en matière financière sur une véritable légitimité politique. Des marchés financiers mondialisés ne peuvent pas fonctionner en laissant persister dans leur système de supervision des trous béants, des failles, des pans entiers d’obscurité !

Tous les pays, sans exception, doivent adopter des règles de supervision et de régulation rénovées, propres à rétablir les principes de confiance, de responsabilité et de transparence.

Nous avons déjà, en Europe, pris des décisions ou des orientations dans ce sens. Je veux évoquer la régulation des agences de notation, dont, à l’évidence, il est clair qu’elles ont totalement failli dans ce dispositif. Je veux évoquer la responsabilisation des dirigeants ; le principe de transparence et de performance dans la rémunération des dirigeants ; le renforcement des exigences en fonds propres imposées aux banques ; les règles prudentielles sur les produits titrisés ; le renforcement des règles de coopération entre les pays, notamment en cas de crise. Mais ces efforts, si l’on veut qu’ils soient efficaces, ne doivent pas rester l’apanage de l’Europe ! Il faut bâtir un nouveau consensus international pour accorder entre elles les recommandations multiples issues de la crise financière. Des trous noirs, que j’évoquais la semaine dernière, comme les centres off shore, ne doivent plus exister ! Et leur disparition doit préluder à une refondation du système financier international. Et nous souhaitons que dans ce système financier international que nous appelons de nos vœux, le FMI ait un rôle de pivot dans un système financier rénové. Il doit avoir un rôle d’alerte précoce pour prévenir les crises. Il doit pouvoir porter un diagnostic objectif et partagé sur les changes. Il doit collaborer plus efficacement avec le Forum de Stabilité Financière, qui rassemble les banquiers centraux et régulateurs nationaux. Il doit profiter d’une légitimité politique renforcée. La Banque mondiale, elle aussi, doit faire évoluer sa gouvernance.

Ces chantiers, vous le savez, vont de pair avec un meilleur partage des rôles au plan mondial. Nous voulons demain que les pays émergents soient partie prenante au système que nous voulons rebâtir.
Depuis plus d’un an, la France défend la proposition d’évoluer d’une organisation, au fond de la direction des pays développés, qui est concentrée entre les mains des seuls huit Etats les plus importants ou qui étaient les plus importants sur le plan économique, au moins aux quatorze Etats qui représentent les puissances économiques qui sont émergentes sur les différents continents. Cette proposition prend aujourd’hui tout son sens, quand il s’agit de porter de tels projets financiers à l’échelle mondiale.
Mesdames et messieurs les députés, Il était indispensable, avant le Conseil européen des 15 et 16 octobre, que les pays de la zone euro montrent l’exemple et soient à la hauteur de leurs responsabilités. Je crois qu’on peut dire que c’est désormais chose faite.
Le 15 et le 16 octobre, il faudra encore que l’action décisive de l’Eurogroupe soit accompagnée par un plan cohérent des 27 États membres et de la Commission. Une étroite coordination avec le Royaume-Uni lors du sommet du 12 octobre a permis d’en tracer les prémices. Le Conseil européen sera l’occasion d’en étendre les principes à l’ensemble de l’Union européenne.
A ce Conseil d’envisager une série de décisions importantes :
- D’abord, l’élargissement à l’Union européenne de l’engagement pour assurer la protection des dépôts dans l’ensemble de l’Union ;
- Il s’agira de reconnaître aux règles européennes la flexibilité nécessaire pour répondre aux circonstances exceptionnelles que nous traversons. Cela concerne, naturellement, aussi bien les règles de concurrence que celles du pacte de stabilité et de croissance ;
- Il s’agira d’ajouter un mécanisme européen améliorant la gestion de crise, comme l’Eurogroupe l’a demandé. Ce que nous voulons, c’est que le Président du Conseil, le président de la Commission, le président de la BCE et le président de l’Eurogroupe puissent constituer une sorte d’état-major de crise capable de prendre dans un délai extrêmement court les réactions qui s’imposent pour permettre au système de s’adapter.
- Il s’agira d’adopter immédiatement les décisions nécessaires pour que les normes comptables reflètent davantage la valeur réelle des actifs bancaires.
- Nous proposerons que soit arrêtée une série de principes concernant les "parachutes dorés", sur les stock-options, le système de bonus des opérateurs financiers, pour éviter que le système ne favorise une prise de risques excessive, ou une extrême focalisation sur les objectifs de court terme, dont on a trop vu le danger ;
- Il s’agira de poursuivre les réformes structurelles de l’économie européenne en lui assurant un niveau de financement suffisant, y compris en utilisant les instruments disponibles, comme la Banque européenne d’investissement ;
- Il s’agira enfin de préparer, avec nos partenaires, une position européenne commune en vue de la prochaine initiative pour refonder le système financier international.
Mesdames et messieurs les députés,
Le 1er septembre, la Présidence française a répondu au conflit du Caucase par un plan crédible, émanant d’une Europe unie. Aujourd’hui, l’Europe est en train de répondre à une crise financière en s’unissant autour de mesures concrètes et immédiates.
Le sommet du 12 octobre et le Conseil européen du 15 sont les deux volets nécessaires de cette réponse commune.
Mais je veux vous dire que si le Conseil européen sera naturellement focalisé sur les solutions à apporter à la crise financière, il ne devra pas laisser de côté les autres sujets qui sont à l’ordre du jour de la présidence française et que nous voulons voir avancer.
D’abord, sur la base des propositions de la présidence, le Conseil européen prendra des décisions pour sécuriser l’approvisionnement énergétique des Européens. Un meilleur fonctionnement du marché intérieur de l’énergie est désormais assuré, grâce au compromis global qui a été obtenu vendredi dernier au Conseil. Il reste maintenant à progresser sur les économies d’énergie, sur l’efficacité énergétique ; il reste à poursuivre la diversification de nos sources, à inventer un mécanisme européen de gestion de crise, en cas de difficultés temporaires d’approvisionnement, à renforce et à compléter les infrastructures européennes, notamment les interconnexions électriques et gazières, à développer les relations de l’Union européenne avec les pays fournisseurs, en premier lieu la Russie, mais aussi les pays de la Mer Caspienne.
Le Conseil européen devra également réaffirmer les objectifs très volontaires que l’Union s’est fixée pour la lutte contre le changement climatique. Nous restons convaincus, quelles que soient les difficultés conjoncturelles que nous traversons, qu’il est indispensable que l’Europe, avant la réunion de Copenhague en 2009, montre l’exemple, s’agissant de son engagement à réduire les émissions de gaz à effets de serre. C’est la raison pour laquelle la proposition française a défini des orientations précises, qui doivent nous permettre de parvenir à un compromis global sur les propositions de la Commission, tout en tenant compte des demandes légitimes de l’industrie et de la conjoncture actuelle.
Naturellement, la Traité de Lisbonne sera au cœur des discussions du Conseil européen. Le Premier ministre irlandais livrera au Conseil son analyse de la situation et les solutions qu’il propose à l’impasse dans laquelle, pour le moment, l’Union européenne est engagée. La présidence rappellera qu’une solution doit être rapidement trouvée. Je pense que l’expérience de la crise que nous venons de vivre montre à quel point nous avons besoin d’une présidence de l’Union européenne stable et forte. S’il en fallait une justification, cette crise, après celle de la Géorgie, en est la preuve éclatante.
Le Conseil européen devrait adopter par ailleurs le pacte européen sur l’immigration et sur l’asile, qui constituera le socle d’une politique commune. Et là encore, je voudrais faire remarquer que l’ensemble des pays de l’Union européenne ont accepté de parvenir à un compromis qui correspond très largement aux demandes qui étaient celles de notre pays, pour faire en sorte que la politique d’immigration et d’asile ne soit plus gérée seulement sur des bases nationales, mais dans le cadre coordonné de l’espace européen.
Enfin, la Présidence a transmis à tous les Etats membres les propositions du Président du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Union, M. Felipe Gonzalez, concernant la composition de ce groupe qui doit entamer ses travaux à partir de janvier 2009. Si on a un accord unanime, puisqu’il est nécessaire, des Etats membres sur la composition de ce groupe, alors pourra commencer une réflexion de fond sur le sens, le contenu et l’identité du projet européen pour le XXIème siècle.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Une présidence de l’Union européenne se juge sur sa capacité à affronter les crises. Depuis le mois d’août, les circonstances n’ont pas ménagé la présidence française ; elles lui ont donné l’occasion de prouver sa volonté. Je veux redire devant vous que, grâce à la détermination du Président de la République, grâce à la confiance que nous accordent nos partenaires, grâce au soutien du Parlement français, nous continuerons à démontrer que l’Europe est le bon niveau pour répondre aux défis mondiaux.
L’Europe est plus puissante qu’elle ne le croit. Elle peut répondre aux crises. Mais pour cela, il faut que ses membres aient la volonté politique d’agir ensemble et d’adopter des solutions neuves et des solutions audacieuses. J’ai la conviction que cette énergie européenne dépend beaucoup de l’énergie française. L’Europe a besoin d’une France unie et volontaire, et la France a besoin d’une Europe décidée à saisir son destin.
Dans la foulée de ce débat, Christine Lagarde et Eric Woerth vous présenteront le projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie. Au-delà des différences politiques, j’invite le Parlement à se rassembler autour de ce projet.
Ce rassemblement serait un signe fort de notre volonté commune de sortir de la crise et de protéger les Français. Ce serait un signe fort de notre capacité à agir ensemble et dans l’urgence, et cela aux yeux de tous nos partenaires européens qui ont confiance dans la présidence française de l’Union. Ce rassemblement, enfin, serait l’illustration d’une ambition que nous partageons tous, et d’une ambition qui d’ailleurs est singulièrement française : faire de l’Europe une puissance politique et économique, une puissance solidaire, qui, dans l’union de ses forces nationales, est bien décidée à peser sur l’avenir. C’est le sens du débat qui s’engage et ce sera, je l’espère, le sens du vote de l’Assemblée nationale.
François Fillon, le 14 octobre 2008.