La mort de Jörg Haider plonge l’Autriche dans l’inconnu (2)

Publié le 13 octobre 2008 par Sylvainrakotoarison

Haider vient de disparaître à 58 ans. Que vont faire ses élus et ses électeurs dans une Autriche en proie à la fièvre extrémiste ? Seconde partie : la progression de l'extrême droite en Autriche.
Jörg Haider s’est tué dans un accident de voiture. Dans un
premier article, j’avais commencé sa trajectoire politique. Nous poursuivons avec les grands succès électoraux de son activisme politique.
Une progression extraordinaire du FPÖ
Le 7 octobre 1990, Jörg Haider renouvela l’exploit de 1986 en poursuivant sa progression électorale avec presque 17% des voix, obligeant les deux partis gouvernementaux à poursuivre la grande coalition.
Le 9 octobre 1994 vit une nouvelle défaite de la grande coalition (minée à la fois par le FPÖ mais aussi par les Verts et un autre petit parti, le Forum libéral) et surtout une nouvelle progression de Jörg Haider avec 22,5% sur fond de campagne xénophobe et anti-corruption, affirmant que la montée de la criminalité et du chômage étaient les conséquences de l’immigration.

La grande coalition a éclaté le 12 octobre 1995 en raison du retrait du démocrate-chrétien Wolfgang Schüssel refusant l’augmentation des impôts proposée par le Chancelier Franz Vranitzky qui, durant une nouvelle campagne électorale, mit en garde contre une alliance ÖVP-FPÖ en affirmant : « Notre Autriche est trop précieuse pour servir de terrain d’expérimentation ».
Le 17 décembre 1995, le FPÖ parvint tout de même à maintenir son niveau à près de 22% et la remontée des sociaux-démocrates encouragea Schüssel à poursuivre finalement la grande coalition.
Le point culminant fut lors des élections du 3 octobre 1999 où Jörg Haider réussit à faire jeu égal avec l’ÖVP avec près de 27% et 52 députés (il devança même de quelques milliers de voix l’ÖVP). Le 4 février 2000, Wolfgang Schüssel devint Chancelier dans un gouvernement de coalition ÖVP-FPÖ très largement contesté par les autres pays européens, ce qui fut étrange car l’ÖVP a toujours pris des positions favorables à la construction européenne alors que le SPÖ a parfois été très réticent (comme lors des campagnes de 1999 et de 2008).
À la différence de la coalition SPÖ-FPÖ entre 1983 et 1986, le FPÖ s’était "haidérisé", c’est-à-dire, d’une part, avait électoralement grossi (d’un facteur 5), et d’autre part, avait évolué vers des thèmes ouvertement extrémistes (xénophobes et populistes).
Le parti de Haider au pouvoir
Cette coalition se poursuivit après les élections du 24 novembre 2002 malgré leur anticipation due à une rupture voulue par Schüssel. Pendant la campagne électorale de 2002, l’ÖVP a repris les principaux thèmes de campagne du FPÖ, ce qui lui permit une victoire historique avec plus de 42% et ce qui réduisit le FPÖ à 10%, divisant presque par trois son nombre de sièges (18 au lieu de 52).
Après la défaite du FPÖ aux élections municipales du 6 mars 2005, Jörg Haider proposa de reprendre la présidence qu’il avait laissée en 1999 pour donner une nouvelle impulsion. Mais sous l’influence de Heinz-Christian Strache (35 ans), les dirigeants du FPÖ refusèrent et exclurent Haider le 7 avril 2005.
Trois jours avant, le 4 avril 2005, Jörg Haider avait déjà quitté le FPÖ avec beaucoup de militants de ce parti pour fonder l’Alliance pour l’avenir de l’Autriche (BZÖ) dont il fut élu président. Son objectif était de devenir le parti des "petites gens" et de se faire reconnaître par la classe ouvrière et la classe moyenne.
Les six ministres fédéraux et une grande partie des députés FPÖ le rejoignirent si bien que Schüssel dirigea une coalition ÖVP-BZÖ à partir du 17 avril 2005. Une scission qui effectivement donna un coup de jeune au FPÖ avec Strache élu président du FPÖ le 23 avril 2008.

Lors des élections du 1er octobre 2006, avancées de quatre semaines par rapport à la date normale, le pari de Haider ne fut pas concluant car il n’obtenait que 4,2%, le FPÖ de son rival Strache faisant nettement mieux avec 11,2%.
Ces deux partis jumeaux firent cependant un
meilleur score qu’en 1999 le 28 septembre 2008 avec 29,0% (18,0% pour le FPÖ et 11,0% pour la BZÖ).
Après la mort de Jörg Haider, la BZÖ a désigné le 12 octobre 2008 son nouveau président : le porte-parole de Haider, Stefan Petzner… qui, lui, n’a que 27 ans.
Haider oscillant entre polémiques et respectabilité
Ce qui est assez impressionnant dans la carrière de Jörg Haider, c’est qu’il a su magistralement utiliser deux leviers pourtant antagonistes. Une stratégie qu’avait eu bien du mal à suivre Jean-Marie Le Pen et pour laquelle sa fille Marine Le Pen semble se battre à l’intérieur du Front national.
Pour récupérer l’électorat anti-système, Jörg Haider avait besoin d’un comportement anticonformiste. En évoquant les heures noires de l’Histoire européenne, Haider a su créer des polémiques qui, loin de le nuire, lui ont fait beaucoup de publicité et de mousse médiatique.
Il a sorti des phrases nettement plus scandaleuses que les mauvais détails ou mauvais jeux de mots de Jean-Marie Le Pen.
Mais pour être capable de montrer sa capacité à gouverner, il a également recherché la respectabilité.
Pour se faire respecter, il s’est appuyé sur la gestion de sa province, la Carinthie, dont il a été le gouverneur pendant onze années. Jusqu’en 2006, Jörg Haider a géré sa province dans une alliance avec… les sociaux-démocrates alors qu’au niveau fédéral, il avait fait une alliance avec les démocrates-chrétiens.
Les alliances régionales ou fédérales avec le FPÖ ou la BZÖ ont profondément enraciné ces partis dans le paysage politique autrichien. Certes, l’échec du FPÖ de 2002 a montré qu’il était plus facile électoralement d’être un parti d’opposition.
Et en France, pourquoi l’extrême droite est-elle moins "respectable" ?
La capacité à gouverner est un élément totalement absent du Front national, à tel point que lorsqu’un militant du Front national s’emparait d’une mairie, il quittait son parti, trop intéressé à se consacrer à la gestion de sa ville : ce fut le cas notamment de Jean-Marie Le Chevallier à Toulon, de Jacques Peyrat à Nice, de Jacques Bompard à Orange ou encore de Daniel Simonpieri à Marignane.
En 1983, la France a eu aussi à réfléchir sur le sujet. Il s’agissait de savoir si le Front national pouvait être un allié "respectable" de l’alliance UDF-RPR. Pour le responsable local du RPR à Dreux, cela ne faisait aucun doute : Jean-Pierre Stirbois (avec 17% à Dreux) se retrouva sur la liste municipale de ce dernier au second tour.
Heureusement (selon moi), Jacques Chirac, président du RPR, décida de refuser toute alliance sous peine d’exclusion, malgré quelques mauvaises volontés de ses grognards. Il suivait en cela les principes moraux des centristes 
Bernard Stasi et de Simone Veil, très intransigeants sur le sujet.
Cela n’avait pas empêché quelques alliances régionales avec FN, comme en 1986 en Provence Alpes Côte d’Azur avec Jean-Claude Gaudin, ou en 1992 en Lorraine avec Jean-Marie Rausch et en Bourgogne avec Jean-Pierre Soisson, ou encore en 1998 avec beaucoup de régions sans majorité.
Cela n’avait pas non empêché par exemple Alain Carignon, maire de Grenoble, pourtant considéré parmi les "moraux" (qui, en 1991, préféraient soutenir un candidat socialiste à un candidat du FN dans une élection cantonale en Rhône-Alpes) de comptabiliser, avec les sièges gagnés par le RPR et l’UDF, le siège de Bruno Mégret, élu député FN de Grenoble le 16 mars 1986 grâce à la proportionnelle, parmi les députés de "droite" contre le gouvernement socialiste sortant.
Mais cet ostracisme national qu’a pu subir Jean-Marie Le Pen et son parti a été finalement efficace puisqu’il a toujours cantonné le FN dans un rôle contestataire et de défouloir sans jamais lui donner une onction de bonne gouvernance, au contraire des populistes de Haider.
Des risques pour demain en Autriche ?
De ces deux décennies électorales du populisme autrichien, une chose est très claire : s'il a été largement aidé pour se développer par le charisme et le dynamisme anticonformiste de Jörg Haider, ce dernier n’était pas indispensable pour continuer à se maintenir à un niveau préoccupant.
En effet, malgré la présence de Haider au sein de la BZÖ, les électeurs lui ont préféré le FPÖ d’autant plus facilement que ce parti s’est doté d’un leader aussi charismatique et aussi bouillonnant que Haider en la personne de Strache.
La profonde rivalité entre Haider et Strache permettait d’annihiler les efforts de ces deux partis pour s’emparer du pouvoir fédéral en Autriche.
Or, la disparition de Haider pourrait renforcer la capacité des deux partis à se réunifier et à devenir, très rapidement, le premier parti d’Autriche (pour l’instant, le SPÖ, l’ÖVP et l’ensemble de l’extrême droite font presque jeu égal avec respectivement 29,7%, 25,6% et 29,0%).
Un danger qui ne peut qu’alarmer les démocrates en Autriche et dans les pays de l’Union Européenne d’autant plus que la personnalité de Heinz-Christian Strache est forte et attractive.
À moins que le jeune nouveau président de la BZÖ, Stefan Petzner, ne soit, lui aussi, un autre Haider (ou Strache) en puissance…

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 octobre 2008)
Pour aller plus loin :

Séisme politique : 30% pour l’extrême droite (8 octobre 2008).
Sur Kurt Waldheim.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=45800
http://www.lepost.fr/article/2008/10/16/1289758_la-mort-de-jorg-haider-plonge-l-autriche-dans-l-inconnu-2.html