Les clowns au pouvoir

Publié le 14 octobre 2008 par H16

C'est la panique ! le Grand Cirque Maxime Pipeau est au regret de vous annoncer l'annulation des séances à venir. Les clowns se sont enfuis. Une enquête est en cours pour déterminer où ils se sont cachés, mais un certain nombre d'éléments pointent tous dans la même direction : il semble qu'on puisse facilement les retrouver parmi les membres des gouvernements des pays les plus riches de la planète...

Attention, cependant : ne vous y trompez pas. Jadis, le clown était coloré, habillé de riches costumes bigarrés, et parcourait la scène avec force moulinets et moult jappements joyeux que sa condition de comique lui imposait. Faisant rire les petits et les grands, le clown apportait la fantaisie et, bien souvent, un peu de poésie dans les spectacles cadencés et lumineux de cirques prestigieux.

De nos jours, le clown est beaucoup plus passe-partout, s'habille avec des costumes sombres (parfois un peu mal taillés, certes, mais sans plus), et arbore un air grave, préoccupé pour ne pas dire sombre ou triste. C'est une des raisons pour laquelle on le prend pour quelqu'un d'important. D'ailleurs, certains clowns entrent en politique et se font élire grâce à leur beau costume sobre.

Heureusement, derrière ce costume, le clown est toujours vivace. Parce que lorsqu'on voit ce qui se passe actuellement, il faut bien parler de clowneries, et à un niveau jamais vu !

Avant de poursuivre, rappelons que le clown est drôle par son constant décalage entre ce qu'il tente de faire et ce qu'il obtient : Gaston Lagaffe chatoyant et bigarré, drapé dans l'absurde et les résultats foireux, il agit généralement avec emphase, empressement ou précipitation, et semble soit faire fi des lois les plus élémentaires de la physique, soit manque d'un bon sens qu'on sait pourtant partagé par beaucoup dans le monde réel.

Et pour en revenir à ce qu'on observe actuellement, conformément à la définition ci-dessus, le consternant se dispute bien à l'absurde : alors que la dette de l'Etat Français, qui jusqu'à présent voyageait dans les confins du système solaire, vient de rentrer dans l'espace insondable et intersidéral des dettes cosmiques, en pleine accélération, nos dirigeants, parmi lesquels se sont donc manifestement glissés des clowns de Maxime Pipeau en goguette, décident d'ajouter quelques centaines de milliards d'euros à l'imposant vaisseau amiral de la Catastrophe Française.

Mieux : dans un touchant concours de quéquettes gouvernementales, tous les dirigeants clowns de l'Eurogroupe ont décidé de répondre un gros "Chiche" au plan Paulson américain. Eh oui : si Bush et sa clique sont capables de conneries abyssales, on peut toujours compter sur le président en exercice du Conseil Européen pour relever le défi ; à ce petit jeu, le Bureau International des Poids et Mesure devrait d'ailleurs envisager sérieusement de mettre Kerviel sous plastique pour conserver un étalon pratique de jauge des prochains plans. Plaçant le Kerviel (symbole Kv) à 5 000 000 000 d'euros, on pourrait enfin appréhender les sommes que les états sont en train de nous balancer à la figure haineusement, au travers de journaux télévisés de plus en plus déconnectés de tout sérieux journalistique. Ainsi, 1 500 000 000 000 € pourrait s'écrire 300 Kv, et un Paulson (symbole Ps) serait équivalent à 140 Kv. Ce serait plus pratique.


Mon plan européen, c'est le plus gros, nananère.

Evidemment, et comme pour toute opération de clowns dignes de ce nom, le résultat ne se fait pas attendre et ... ça foire ! Super plan, mais les Bourses s'en fichent. Le CAC a, ce jour (14/10/08), clôt sur un +2.75%, mais déjà se profile la suite de la dégringolade enclenchée la semaine dernière : le Nasdaq et le DowJones continuent à tester l'existence de lumière dans la cave, les parkings et les sous-sols techniques. Pour le moment, la lumière n'est pas encore trouvée, mais on est certains qu'avec 12 ou 13 Ps d'investissements, on devrait la découvrir.

Et comme un bon numéro de clown est toujours basé sur le rebondissement, notre Présiclown a utilisé son super-pouvoir "J'Analyse La Crise". C'est l'inverse du sens extralucide de Spiderman qui lui permet de sentir le danger approcher : le super-pouvoir de notre Présiclown lui permet d'occulter complètement tout danger et de le lui faire prendre pour d'inoffensives billevesées. Prenons le Crédit : c'est l'origine de la crise, en premier lieu. Par l'accroissement historique de la facilité de crédit, on a transformé une bulle au départ technologique (2001) en monstre planétaire visqueux à côté duquel le Réchauffement Changement Refroidissement Climatique ou le Chat Spatial Géant Rose font figure d'amuse-gueule pour têtard sous-développé. Eh bien grâce à son super-pouvoir, notre héros en plastique a réussi le tour de force de demander aux banques de ... relancer le crédit, bien sûr.

En somme, le Présiclown joue avec le féroce animal, dont la cage vient de s'ouvrir, et préconise ... de lui tirer la queue un bon coup, histoire de le dompter. La méthode est originale. Dans le monde réel des gens qui bossent, elle est déconseillée : à la fin, on perd sa crédibilité, et on se retrouve en slip dans les boudoirs à la moquette épaisse et aux ors rutilants de la République.

...

Non, franchement, il n'y aura rien à attendre de ces gens-là. Manifestement complètement dépassés par le phénomène qu'ils ont eux-même créés (il suffit pour s'en convaincre de voir les structures de Fannie Mae, Freddie Mac, du Community Reinvestment Act, entre autres). Ils s'agitent pour essayer, avec leurs petits bras de clowns, de "redonner de la confiance" au système. Car dans leur monde merveilleux où on s'amuse, on rit, il y a des méchants et des gentils, la confiance est un produit standard, qui est patiemment stocké par des marmottes dans du papier d'alu, dans d'immenses caisses en bois précieux qu'il suffit d'ouvrir pour en distribuer dès lors qu'on en a besoin. Dans ce délire, la marmotte est finalement ce qu'il y a de plus tangible...

Et pour restaurer cette confiance, au-delà des moulinets verbaux et des triples saltos carpés financiers, il existe aussi le paradigme du changement de règles en cours de jeu. A la suite, notamment, des scandales d'Enron ou de Worldcom, la finance s'était bien décidée, promis juré craché, d'utiliser des règles qui rendraient transparent les comptes des entreprises côtés. Étaient nées les normes IFRS et IAS. Manque de pot, ces normes, en cours d'applications, risquent de faire apparaître la vérité - tout part en sucette - lorsque les entreprises publieront leurs chiffres trimestriels.

La soluce est donc toute trouvée : on change les règles.

Evidemment, après ce genre de tours de passe passe, ces clowneries pitoyables entre étatistes, faux-monnayeurs et bandits de grand chemins, il se trouvera toujours plusieurs rigolos pour dénoncer l'ultra-néo-libéralisme croqueur d'ouvriers. Bah oui : plus l'état intervient, plus c'est libéral. Pour créer la bulle, et pour la dégonfler. C'est bien connu...

Ce pays, franchement, je vous le dis, il est foutu.