Quand on évoque le nom d’Okkervil River, mes mains deviennent moites, mes yeux se mettent à briller et mes sens se brouillent. Comment ne pas s’incliner devant la magie émotionnelle de Down The River Of Golden Dreams, véritable joyau de la folk Indie que l’on ne sort de sa boîte que par temps de grande disette pour se rappeler pourquoi on écoute de la musique ?
Sachant que dans cette boîte à bijoux mélancoliques mais salvateurs, il y a des disques aussi mythiques qu’After the Goldrush de Neil Young, c’est dire la place qu’a réussi à se faire le quintet d’Austin dans mon paysage musical avec ce qui était seulement son deuxième album, sorti dans l’anonymat.
Mené par le talentueux compositeur Will Shef et le multi instrumentiste et ornithologue Jonhathan Meiburg, Okkervil River a réellement commencé à se faire un nom avec Black Sheep Boy et son Appendix en 2005. L’univers était noir mais habité par une force sous-jacente que la voix d’écorché de Shef portait tout au long de titres variés et parfaits aussi bien musicalement que textuellement. Beaucoup ont crié au génie, enfin !
Puis l’année dernière sortait The Stage Names, concentré de folk/rock vitaminé et euphorisant révélant la véritable personnalité de Shef qui, comme le montrait déjà ses interviews, est un personnage bien moins sombre et torturé que le laissent penser ses premières œuvres. Un peu plus commercial mais aussi plus digeste dans sa globalité, cet album marquait une rupture nécessaire après deux chefs d’œuvre de haute volée, toujours avec des paroles très recherchées dépeignant des personnages et leur relation avec la scène et le succès.
Tout juste un an après sort sa suite : The Stand Ins. Suite dans la pochette (on retrouve la main manquante du squelette sur celle de The Stage Names) mais aussi dans les thèmes des morceaux qui sont chacune un écho à l’un des titres de l’album précédent. Ainsi « Starry Stairs » est la suite de l’histoire de cette jeune fille qui a quitté le foyer familial à la grande tristesse de son père dans « Savannah Smiles ». « On Tour With Zykos » reprend la complainte de cette compagne triste mais qui continue de soutenir à distance le musicien absent car toujours en tournée de « You can’t hold the hand of a Rock and Roll man ». Bref, le concept est comme à l’accoutumée avec Shef très poussé et possède de multiples niveaux de lecture que l’auditeur passif qui laisserait juste traîner une oreille ne pourrait saisir.
Musicalement, je dois bien avouer qu’à la première écoute The Stand Ins m’a déçu. Extrêmement dépouillé à première vue, ce n’est pas un album facile et contrairement à son prédécesseur qui avait le défaut de s’essouffler assez rapidement, il se découvre sur la longueur, s’apprécie comme un bon Bordeaux dont on aurait lentement libéré les tanins. Le Piano d’ « On Tour with Zykos » est d’une douceur angevine, faisant flotter la voix de Shef sur une rivière musicale d’une pureté absolue. Ce dernier est entouré par deux bombes pops, le bien nommé « Pop Song », énergique à souhait et qui fait à lui seul bien mieux que la pop de supermarché actuelle tout en s’en moquant et « Calling or not calling my ex » (question qu’on s’est tous ou toutes posé un jour non ?) moins immédiate mais au rythme exquis.
Comme souvent avec Okkervil River et ce depuis « Seas too far to reach » (encore à l’heure actuelle l’une des meilleures chansons qu’il m’ait été donné d’entendre), on attend une clôture digne de ce nom et on n’est pas déçu. « Bruce Campbell etc… » (faut pas déconner quand même !) tout en montée jusqu’aux cœurs de Will et Johnathan, les derniers, est impressionnante de maîtrise mais encore une fois pour qui prendra le temps de rentrer dedans car difficile d’accès.
Alors voilà, une page se tourne pour Okkervil River. Jonathan Meiburg quitte le navire pour mieux répondre au succès grandissant de son autre excellent groupe Shearwater. « Lost Coastlines » où leurs deux voix se répondent et semblent raconter leur propre rupture l’illustre intelligemment. Une sorte de testament avant un changement radical ? Après leur dernière tournée, Will Shef a déjà annoncé qu’il se laisserait le temps nécessaire pour donner un nouveau cap à son groupe, qui, aujourd’hui plus que jamais avec ce The Stand Ins exigeant et précieux, prouve qu’il peut compter parmi les valeurs sûres du rock indépendant.
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