Quand je franchis le seuil de la boulangerie les médias m’ont déjà dit que Guillaume Depardieu nous a quittés, et ils se plantent le nez au ciel, ils se mouchent dans les étoiles, et ils pissent comme je pleure sur les femmes infidèles… Qui se chagrin artificiel va-t-il pétrifier le temps de faire passer la couleuvre, que dis-je, l’anaconda des centaines de milliards d’euros d’aide aux banques ? « No lo sé » comme dirait Salvatore le difforme hérétique dans Le nom de la rose. A mon échelle j’ai une envie primitive de beignet aux pommes qui coûte 1.30€ autant dire la peau de mes paupières et je veux l’assouvir rapidement. Un client demande sa baguette et tend la monnaie au boulanger – Pomponnette a mis les voiles – et je lis machinalement les annonces scotchées sur la caisse. Maisons à vendre, offres de ménage, repassage et aide aux personnes âgées. Jeune fille – 19 ans – étudiante en lettres – donne cours de soutient à vos enfants scolarisés de la primaire à la troisième. Suit son numéro de téléphone en plusieurs exemplaires faciles à détacher. Il n’en manque aucun.
C’est
probablement une faute de frappe et mon stylo est dans mon sac, je le dégaine
et rature le t ? Un geste
machinal et elle aura peut-être du boulot. Cette fille a besoin d’argent et je pense aux parents qui payent pour des cours particuliers de
français. Probablement peu fortunés mais prêts à cet effort pour la réussite du
petit. Et qui tomberaient sur une jeune fille incapable de faire bouloter le
Bled pour quinze-vingt euros de l’heure. Un futur moutard nul en français
peut-être, voire dyslexique, inutile de mettre les pédagogues en cause.
Trop tard je suis sortie. Le capuchon est resté en place. Le beignet était trop gras et sans le moindre morceau de pomme. Bien fait pour moi. De toute façon, je suis moche en Raymonde Dugland.