"L'empire Gréco-Romain" Paul Veyne. Essai. Editions du Seuil, 2005.
Paul Veyne, archéologue, historien, professeur honoraire au Collège de France est l'un des plus éminents spécialistes contemporains de la Rome antique.
Dans cet ouvrage, il nous invite – par le biais de différentes thématiques – à découvrir ce qui fut peut-être la première tentative de « mondialisation » politique, économique et culturelle de l'Histoire.
Cette mondialisation, qui ne fut tout de même restreinte qu'à l'Europe et à l'Asie mineure – ce qui n'est pas négligeable pour l'époque – est la conséquence de l'expansion militaire romaine. Elle naît et se répand sur tout le bassin méditerranéen, englobant progressivement tous les pays bordant les rivages, s'enfonçant dans les terres, repoussant peu à peu les frontières jusqu'à devenir cette immense entité qui s'étendra bientôt du sud de l'Angleterre jusqu'aux avant-postes de l'empire Perse.
Cette domination de Rome sur ces immenses territoires va être l'occasion d'apporter une certaine unité politique à des pays aussi différents que peuvent l'être par exemple la gaule et l'Égypte. Unité politique et économique, mais aussi culturelle par un apport qui va être déterminant dans toute l'histoire de l'empire romain : celui de la Grèce.
La Grèce, vaincue, devenue province romaine, ne cesse et ne cessera pourtant d'exercer son influence sur Rome. La langue de l'empire – le Latin – qui est utilisée dans toute la partie occidentale de la méditerranée, ne pourra jamais s'installer de manière prégnante dans la partie orientale. Ici, la langue grecque prédomine, preuve d'une pénétration et d'une influence culturelle beaucoup plus forte que celle des nouveaux conquérants. Les romains eux-mêmes ne peuvent qu'être fascinés par cette culture hellénique. Ils en copient l'art et l'architecture, leur panthéon est peuplé des mêmes dieux et la Grèce, forte de son prestigieux héritage, de pays conquis devient le modèle à suivre en toutes choses.
Mais si la Grèce fascine, elle inquiète aussi. Sa conquête n'a pas éradiqué le sentiment de supériorité des Grecs sur les Romains. Vaincus par les armes, les Grecs considèrent leurs nouveaux maîtres comme des lourdauds qui tentent maladroitement de les imiter. Les érudits, par exemple, ne citeront jamais un seul auteur romain dans leurs écrits. Il ne faut bien sûr pas interpréter ces faits comme une manière de résistance à un occupant, résistance qui tendrait dans l'absolu à reconquérir par les armes une indépendance territoriale et politique. Les Grecs se sentent citoyens romains et cette citoyenneté, ils le reconnaissent, leur apporte la paix, paix qu'ils étaient loin de connaître à l'époque des cités-états rivales et des incursions perses. Les Grecs, pragmatiques, acceptent l'occupant car il leur apporte une certaine sécurité, mais n'ont finalement que mépris pour ces étrangers mal dégrossis qui tentent de copier leurs usages.
Cet étrange couple – que Paul Veyne a baptisé du nom d'empire Gréco-Romain – va pourtant perdurer au fil des siècles jusqu'à la scission entre les empires d'Orient et d'Occident en 396. Cet empire romain d'Orient verra l'extinction de Rome en 476 et perdurera jusqu'en 1453, date à laquelle les ottomans mettront fin à la partie grecque de l'empire.
C'est au travers de différents sujets que Paul Veyne nous permet d'appréhender cette entité bicéphale que fut cet empire gréco-romain : comment se représentait-on la société dans la Grèce de Socrate ? Existait-il une classe moyenne dans l'Antiquité ? Quel était le statut de l'empereur ? L'art était-il destiné à la propagande ou seulement à exalter le faste de ses commanditaires ? Comment rendait-on hommage aux dieux et pourquoi ? Quelles étaient les réactions, dans l'antiquité païenne, puis chrétienne, face à la gladiature et aux jeux du cirque ? Pourquoi l'art gréco-romain a-t-il disparu ?
Au fil de ces différents thèmes, Paul Veyne dessine les contours d'une civilisation qui a profondément marqué notre Histoire et qui, aujourd'hui encore, influence nos manières de vivre, de penser et d'appréhender le monde qui nous entoure. Constitué de treize chapitres, cet ouvrage permet au lecteur contemporain de mieux cerner, par les divers thèmes abordés, quel regard posaient les hommes de l'antiquité sur le monde, la politique, la société, le sentiment religieux, la mort, l'art, le pouvoir... questions qui, malgré les siècles qui nous séparent de ces hommes et de ces femmes du passé, restent toujours au coeur de nos préoccupations les plus profondes.
Mosaïque romaine de Baalbek (Liban)