1967, The Times They Are A-Changin'. Les cheveux longs ont supplanté les coupes au bol, les hippies promènent tranquillement leur morgue débonnaire dans le siècle, quelques petites années d’insouciance qui ont tout changé, rapport à la musique, créativité, show scéniques, festivals, rien n’existerait aujourd’hui sans eux. Deux formations vont incarner cette rupture. À L.A., Morrison a réuni ses potes de l’UCLA pour bêtement former le groupe qui entend bouleverser les canons du rock classique et qui tout aussi bêtement le fera. The Doors, titre simple, énigmatique, sens de l’épure, quatre visages shootés par le génial Joel Brodsky s’enchevêtrent comme les pièces d’un puzzle psychanalytique. Break On Through To The Other Side démarre l’album méchamment, dans l'urgence d'une vie brève, puis on passe à Soul Kitchen puis à Crystal Ship, tubes, ballades, pour plonger dans le Chicago blues avec Back Door Man dont la suavité rêche émerveille encore aujourd’hui pour finir sur l’hymne psyché rock, The End : tout un monde que fit naître Jimbo à grand renfort de Yeah, Baby, enrobages parfaits pour une littérature rock devenue fondamentale. Tout commença ainsi pour les mythiques portes. Quittons Venice Beach, les poules californiennes pas encore botoxées et les palmiers caressés par la brise marine pour rejoindre la grosse pomme. Là-bas souffle un vent de révolte urbaine, pensais-je alors que l’album à la banane dévoilait après plus 41 ans d’existence ces derniers secrets sur les tortures médiévales sous des murs de larsen, de violon vicié et de chants aussi brûlants que les fers du masque de la mort rouge. Ou s’agissait-il d’une variation sur l’art antique des sévices infligés dans « Comment Wang-Fô fut sauvé », premier récit des nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar ? Car cette main de fer aussi tranchante qu’un katana est habillée d’un gant de velours délicat, dispensant ses faveurs à qui accepte de succomber à ses divines caresses. Disons le, Lou Reed est une sorte de Lautréamont américain, ses chants de Maldoror à lui dépeignent la faune douteuse effondrée dans les caniveaux new-yorkais ; je fis semblait d’inspirer une bouffée de cigarette, comme dans les films noirs des années 40, lorsque la phrase résonna dans mon esprit. Guitare seringue et batterie dans les tempes, cet opus est un véritable dictionnaire du rock déviant, une pharmacie dévoyée, entièrement consacrée aux grandes ivresses froides, héroïques. Mais entre ces épopées livides, il y avait également des sucreries magnifiquement chantées par Nico, de vraies chansons, écrites, ciselées, des diamants dans la nuit. Le tout produit, ô classe ultime, par Andy Warhol himself. Ce qui vaut à ce Velvet Underground and Nico de figurer au panthéon du rock US. Choix ultime, évident, car en plus d’avoir inventé une nouvelle syntaxe rock et influencé au passage une lignée incroyable sur plusieurs décennies, dois-je citer Bowie, Bolan, Can, Joy Division, Sonic Youth, Jesus and The Mary Chain, My Bloody Valentine, The Velvet Underground & Nico incarna à la perfection le lien définitif entre l’insouciance fifties et la les sixties droguées et glamées. Un mythe qui perdure.
La semaine prochaine : l'envol du Jefferson Airplane