"Lapérouse : L'expédition s'achève et le mystère perdure
crédits : YVES BOURGEOIS
C'est demain que le bâtiment de transport léger Dumont D'Urville doit arriver à Nouméa, après trois semaines de recherches sur Vanikoro, dans le Pacifique sud. Dimanche, le Batral a quitté l'île, après avoir servi de base à l'expédition, qui tentait de percer le mystère de la disparition des deux frégates de Lapérouse (ou La Pérouse suivant les orthographes), en 1788. Malheureusement, la grande trouvaille tant attendue, par exemple le livre de bord de l'explorateur, n'est pas, cette fois, intervenue. Les Français ne repartent cependant pas les mains vides. Qu'il s'agisse du site de la faille, où la Boussole a fait naufrage, ou des fouilles terrestres, plusieurs objets ont été découverts. Pièces de monnaies, médailles, porcelaine, verroterie, fourchette, chimère... ont été extraits du lagon. A terre, les recherches se sont terminées sur la piste du village de Paucouri, où des fragments de porcelaine ont été retrouvés chez des locaux. La piste est jugée prometteuse pour une éventuelle future expédition.
Initié par l'association néocalédonienne Salomon, les recherches menées à Vanikoro visent à comprendre ce que sont devenus les survivants de la Boussole et de l'Astrolabe. En tout, plus de 200 marins et scientifiques français avaient quitté Brest en 1785, sous les ordres de Lapérouse, pour l'une des plus importantes missions d'exploration de l'époque. Mais, trois ans après leur départ, alors que les deux frégates regorgeaient d'une vaste collection constituée au fil des escales, les deux navires disparaissaient en pleine tempête.
Outre la poursuite de l'enquête historique, on notera qu'à l'image des opérations précédentes, l'association Salomon et la Marine nationale ont profité de leur passage pour venir en aide aux 1200 habitants de Vanikoro, une île très isolée et au climat difficile. Un petit dispensaire a notamment été monté sur place, alors qu'une quantité importante de médicaments a été débarquée, afin de permettre de soigner une maladie de peau touchant la population.
Jean-Pierre Thomas, médecin et membre de l'association Salomon, reçoit les plus jeunes patients de Vanikoro (© : YVES BOURGEOIS)
Pour en savoir plus sur les fouilles, nous vous proposons, comme chaque semaine depuis le début de l'expédition, des extraits du journal de bord de l'amiral François Bellec, écrivain et peintre de marine.
Une statuette identifiée comme amérindienne (© : YVES BOURGEOIS)
Vanikoro, mardi 7 octobre
Un superbe petit objet est remonté à la lumière. Une parure en os finement ciselée. Elle appartient à la culture des indiens Tlingit, comme le percuteur en marbre remonté hier et d'autres objets remontés naguère. Les ethnologues identifieront cet animal dont la tête évoque un cheval, un aigle au bec démesuré ou une chimère, hérissé de poils ou de pattes selon l'avis de chacun. C'est l'un des plus émouvants matériels relevés de la Boussole car, échappant au quotidien des disparus, il témoigne de leur travail pour la connaisance des peuples, l'une de leurs missions du siècle des lumières. Qui avait collecté soigneusement ces preuves de la culture et de l'art Tlingit lors de l'escale funeste au Port-des-Français en Alaska en juillet 1786 ? Lamanon peut-être, qui avait relevé des éléments de vocabulaire, mais je pense aussitôt à Claude-Nicolas Rollin, chirurgien-major de la Boussole, un peu un oublié de l'état-major scientifique, entre savant et officier. C'était un ancien des campagnes de la guerre d'Amérique. Sa passion pour l'anthropologie lui avait fait rédiger en cours de voyage plusieurs mémoires, joints aux cartes et aux journaux parvenus en France. Parmi ses remarques sur les habitants de la Tartarie, de Sakhaline, de l'île de Pâques ou de Mowée aux Hawaï, il avait rassemblé un "Mémoire physiologique et pathologique sur les Indiens", aujourd'hui fondateur de l'anthropologie des Amérindiens de la côte occidentale. On l'aimait bien à bord. Collignon, le jardinier, lui devait son bras après l'éclatement d'une poire à poudre en Tartarie, et son confrère Lavaux, le chirurgien de l'Astrolabe, lui était redevable de sa trépanation après le massacre des Samoa.
Les chirurgiens de la Marine ont été partout d'excellents observateurs scientifiques, au point que les grands voyages d'exploration qui se sont succédés après la chute de l'Empire n'ont plus embarqué de naturalistes et leur ont fait totalement confiance. A cause du désastre de l'expédition, Claude-Nicolas Rollin qui livrait son travail au fur et à mesure des escales avec son humilité de marin, a rendu plus de services à la science que les naturalistes embarqués dont les notes jalousement gardées ont été perdues avec eux. Le hasard reconnaissant continue à placer ses travaux sous les mains des plongeurs.
Les recherches à terre se poursuivent à Paiou et à Paucouri où Jean-Christophe Galipaud a fait des découvertes intéressantes qu'il va investiguer jeudi. Tout cela a besoin de mûrir avant que d'en parler.
Alain Conan a délivré hier un stock de médicaments à Emoa dans le sud- est de l'île. C'est un joli village étalé le long d'une plage exposée aux vents de mer. Sous un grain crépitant puis à travers des rouleaux battant un large platier, nous avons vécu une opération typiquement vanikorienne.
Emoa a l'aimable particularité de présenter les signes de mélanges harmonieux entre mélanésiens et polynésiens.
Poursuivant leurs travaux d'Hercule, les hommes (et femmes) du RIMAP ont déplacé d'une trentaine de mètres en bloc et en un clin d'oeil le petit monument commémoratif de Paiou, menacé par le recul du rivage. Par quel étonnant moyen ? "Comme dans l'Egypte des pharaons" a répondu sobrement l'adjudant-chef Buridan.
Les fouilles sur le site de la Faille (© : C. GRONDIN - ASSOCIATION SALOMON)
Mercredi 8 octobre
« Aujoud'hui, rien » - a écrit Louis XVI sur un tout autre sujet, le jour où explosait la Révolution. Au cours du point Presse du mercredi avec le Musée National de la Marine, l'amiral Battet et Yves Bourgeois ont rappelé l'ampleur du travail quotidien de la mission Lapérouse 2008.
Aujourd'hui, rien d'important en effet n'est remonté de la faille, sinon une fourchette en cours d'inspection, et la terre n'a pas encore livré de secret. L'inventaire de cette journée ordinaire est pourtant assez riche pour faire de la mission du Dumont d'Urville au Santa Cruz une aventure humaine dans l'esprit que Louis XVI entendait donner au voyage de Lapérouse. Des plongeurs chevronnés dirigés par Gilbert Castet ont enfin réussi tôt ce matin à soulever et à déplacer à l'aide de parachutes et de citernes vides le bloc de quatre tonnes vautré sur la couche archéologique. Ils ont sécurisé un second bloc de calcaire corallien dangereux. Dans un autre genre de travail de force, le détachement du RIMAP a achevé d'implanter à son nouvel emplacement le monument qui était menacé à court terme par le recul accéléré du rivage. Dans la faille et devant le Musée-dispensaire de Paiou, l'ingéniosité a dopé les modestes moyens de manutention. Une citerne à eau offerte par la Marine Nationale a été remise au village tikopien, livrée par une embarcation dont le capitaine de corvette Gilles tenait la barre en personne. Le docteur Charles Merger et Edith Mopin, une infirmière qui n'est pas ici par hasard puisqu'elle descend du commandant Fleuriot de Langle sont allés à Emoa traiter le Bakua et ouvrir le dispensaire. Jean-Christophe Galipaud a recherché le long de la rivière Kobé les vestiges du cimetière indigène de la Kaori Timber C°, dans le but de valider une information ancienne.
Les palanquées ont manié les suceuses toute la journée au fond de la faille, et on a rechargé les blocs de plongée sans discontinuer. A Paiou, le tapis vert tendre et mauve des champs de kumara, la patate douce, s'est boursouflé de monticules d'alluvions volcaniques d'un violent brun-rouge, comme si des taupes géantes avaient envahi les cultures. De l'aube au coucher d'un soleil de plomb, Antoine de Biran a arpenté à grandes enjambées le champ de fouilles, creusé partout où des anomalies ont été détectées par les géophysiciens. Michel Bellion a peint deux ou trois gouaches nouvelles. Un crocodile d'eau douce grand comme un homme s'est débattu sur le ponton de Paiou, muselé et pattes entravées derrière le dos. Les mélanésiens ont l'art de maîtriser habilement les crocodiles dont ils se délectent, mais ils sont semble-t-il plus faciles à cuire qu'à capturer.
Ce n'était qu'une journée ordinaire à Vanikoro.
la partie inférieure d'une bonbonnière retrouvée dans la Faille. (© : YVES BOURGEOIS)
Jeudi 9 octobre
Nous montons derrière Rufino Pineda, venu à notre rencontre sur la plage de Paucouri, en nous déhalant sur des végétaux secourables. La piste glissante et très pentue sinue dans les fougères à travers les bananiers. Elle monte vers la ligne de crête d'une presqu'île boisée à laquelle est adossé le village, à l'abri des cyclones. Elle conduit à un ancien lieu tabou. Jean-Christophe Galipaud nous attend en haut, entouré de mélanésiens le sabre à la main, sous un énorme burao dont les racines, les troncs et les branches enserrent un chaos de basalte. Malgré le désordre de la nature, aidée selon les habitants par les missionnaires qui ont fait jadis détruire le site, un appareillage cyclopéen de blocs assez exactement jointifs constituait l'amorce d'une terrasse. Hasard de la nature ou construction délibérée ? En apparence un désordre naturel aménagé par l'homme. Des deux côtés de la crête, la pente dégringole vertigineusement vers le lagon que l'on aperçoit à travers la végétation. Si la vue était dégagée comme elle l'était manifestement autrefois, on verrait d'ici tout l'horizon de l'ouest, du nord au sud. La tradition dit depuis Dillon que le dernier Français a vécu à Paucouri, ce qu'ont semblé confirmer des tessons trouvés naguère dans les vestiges du vieux village. La terrasse tabou pourrait être un ancien site cultuel érigé au passage par des Polynésiens au cours de la longue migration des Maori. Elle pourrait aussi avoir été aménagée sous la direction du dernier naufragé. Quoi qu'il en soit, il est impossible de ne pas penser qu'il disposait ici à la fois d'un signal remarquable pour laisser un message, et d'un exceptionnel belvédère à la pointe nord-ouest de Vanikoro, au plus près de la route des navires entre la Nouvelle-Calédonie et les Santa Cruz. Ici serait donc le signe et la vigie qui ont été cherchés partout. Nous avons tous en tête à cet instant la page du journal de d'Entrecasteaux à la date du 19 mai 1793.
Venant de Nouvelle-Calédonie, la Recherche et l'Espérance venaient d'apercevoir les Santa Cruz. "Une autre île fut vue quelque temps après dans l'Est 32° Sud. (..) Nous l'appelâmes île de la Recherche. Nous la vîmes dans un si grand éloignement que nous ne pûmes la placer sur la carte avec précision." C'était Vanikoro. L'homme qui vivait à Paucouri a vu très vraisemblablement de l'endroit où nous sommes les frégates françaises passer au large d'Utupua et s'éloigner en direction de Santa Cruz.
Les recherches qui ont duré toute la journée n'ont pas livré de signe, mais le bouleversement du site à flanc de colline ne permettait pas d'espérer un miracle. Jamais peut-être n'avons-nous eu l'impression aussi forte de côtoyer l'ombre d'un des survivants, d'approcher de la vérité de Vanikoro.
Les plongeurs reviennent sur le Dumont D'Urville (© : YVES BOURGEOIS)
Au moment du départ, Lawrence, une manière d'Hemingway mélanésien nous a entraînés au village proche de Lalé, où l'on trouverait des tessons de porcelaine chinoise quand la pluie ravine le sol. Il a confié à Alain Conan quelques tessons, et un fragment de bronze qui semble provenir d'une cloche.
Une large feuille de cuivre de quelque deux mètres carrés est remontée difficilement de la faille. Pliée en double et vierge de traces de clous, elle ne provient pas du doublage d'une soute à munitions. Elle devait avoir été embarquée à titre de rechange et de moyen de calfatage accidentel. Cette feuille de métal torturée, chiffonnée comme du papier témoigne de la violence extrême de la destruction de la Boussole au moment du naufrage. Philippe Houdret, le dentiste-plongeur a retrouvé lors de la dernière palanquée de la journée une plaquette gravée laissée en fin de mission en 1986 par l'expédition conjointe de l'Association Salomon et de la Queensland University. Cette trouvaille symbolique confirme la continuité des recherches depuis vingt ans. Demain auront lieu les dernières plongées et les derniers passages des détecteurs géophysiques de la mission Lapérouse 2008. Il fera très beau sur le lagon.
Vue aérienne de Vanikoro (© : YVES BOURGEOIS)
Vendredi 10 octobre
« Aux morts ! » Les sabres s'abaissent. En son « off » hors du dispositif militaire, le docteur Jean-Pierre Thomas qui a tant fait pour soigner le bakua a accepté la responsabilité écrasante de la sonnerie aux morts.
Elle est aussi prenante que diabolique dans son attaque en sourdine, son crescendo qui s'envole et son final évanescent, surtout quand l'exécutant a la gorge serrée. La pureté de cette sonnerie qui monte dans le silence doit porter très loin la ferveur de cet instant de recueillement. Elle s'éteint dans un silence profond piqueté par la pluie fine qui tombe. Une pluie de Toussaint. L'amiral Battet vient de rappeler la signification de cette cérémonie au bout du monde, là où des marins et des savants français sont allés jusqu'au-delà de leur mission généreuse.
Les détonations sèches des trois salves de mousqueton effarouchent les roussettes qui tournoient et surprennent les spectateurs venus de Paiou et des autres villages. Cette courte cérémonie autour du monument fraîchement repeint par le RIMAP, sur ce que l'on peut appeler pompeusement l'esplanade du musée encore noyée par le grain qui vient de s'éloigner, est loin d'être parfaite. Dans ces approximations réside sans doute justement une grande part de l'émotion qui nous étreint tous. Chacun, civil et militaire a fait de son mieux pour que l'hommage aux disparus de l'expédition Lapérouse soit digne de son objet. Pour que les uniformes blancs inspectés par le capitaine de corvette Gilles soient immaculés malgré la boue, pour que le rituel militaire soit impeccable malgré la pluie et le sol spongieux, pour que la sonnerie aux morts résonne, pour que le monument soit à sa place et d'un blanc lumineux sous la grisaille. Une petite communauté en quête de la mémoire de vies saccagées a parfaitement fonctionné dans un environnement ingrat. Nous avons tous en tête ce soir la vision, à quelques mètres à peine, des survivants du naufrage s'organisant ainsi de leur mieux pour faire front et continuer malgré l'adversité.
Dans l'infirmerie du Dumont d'Urville pendant ce temps, le médecin-chef Jérôme Blaise et le docteur Charles Merger opéraient une jeune mélanésienne d'une vingtaine d'années dont la paume avait été profondément entaillés il y a huit jours par un coup de sabre accidentel. En réparant miraculeusement trois tendons sectionnés, ils ont sauvé sa main in extremis. La mission Lapérouse 2008 aura fait son devoir jusqu'au dernier jour.
Dans la faille, les plongeurs ont inversé le sens des suceuses pour reboucher la tranchée de fouilles.
Dans la Faille. (© : C. GRONDIN - ASSOCIATION SALOMON)
Samedi 11 et dimanche 12 octobre
L'ULM a replié ses ailes, et tout le matériel est à nouveau rangé à bord. Le Dumont d'Urville a presque retrouvé son allure de mer. L'animation est retombée sur des visages las et plutôt graves. La mission est terminée. Quel en est le bilan ? - me demandez-vous, je le sens bien. Non seulement dans le domaine sanitaire et médical, le bilan de la mission Lapérouse 2008 est riche dans son objet principal, si plusieurs points ne seront éclaircis qu'après analyse de pierres, de métaux, de végétaux récoltés qui posent des questions et ouvrent encore des voies imprévisibles. Le bilan qui suit est mon interprétation sans plus, car restent à échafauder des scénarios possibles sur les constatations des archéologues et des géophysiciens. L'histoire n'est pas une science exacte, si elle s'efforce d'être objective. Il restera toujours à Vanikoro cette part de mystère que l'amiral Battet estimait nécessaire à la stimulation de la mémoire.
Remontée du fond de la Faille, une médaille gravée à l'effigie de Louis XVI et Marie-Antoinette (© : YVES BOURGEOIS)
Les plongeurs ont ramené plus de 150 artefacts. Ils appartiennent au mobilier de fouilles traditionnel de la faille : ustensiles de cuisine, silex à fusils, verroterie, bougeoirs, pièces d'argent, boucles de vêtements, verres et bouteilles.
Et l'omniprésente porcelaine de Nankin, le Chine bleu et blanc acheté à profusion à Macao. Cette porcelaine de Chine n'était plus une curiosité au temps de Lapérouse. "Je ne compte pour rien les porcelaines qui lestent les vaisseaux" écrivait-il en critiquant le déséquilibre des échanges commerciaux avec la Chine.
Les Portugais avaient introduit la porcelaine bleu et blanc de Jingdezhen au début du 16e siècle, et les Hollandais en avaient importé près de deux cents millions de pièces. Les compagnies européennes étaient toutes en cessation de paiement lors du passage de Lapérouse à Macao.
Les porcelaines trouvées dans l'épave de la Boussole sont les souvenirs exotiques qu'officiers, savants et marins rapportaient à leurs mères, à leurs femmes, à leurs soeurs. La parure en os et deux nouveaux percuteurs en marbre sont venus s'ajouter aux nombreux objets de la culture Tlingit provenant du passage de l'expédition en Alaska.
Macao, l'Alaska. Deux escales dont le souvenir est inscrit dans l'épave, avec les pierres de lest provenant de Botany Bay. Parce que le hasard a fait découvrir le coffre ou la chambre de Rollin ou de Lamanon, et parce que seuls le cuivre, le plomb, la pierre, le verre et la porcelaine ont resisté à la mer et au temps. Le plomb de la machine à sonder hydrographique de Lamanon est la collecte la plus marquante du matériel scientifique dont, aux horloges près - sinon une monture à la cardan trouvée en 1964 - presque tout a été retrouvé au fil des campagnes de fouilles. La découverte sur le platier de ce cylindre de plomb d'une quarantaine de kilos témoigne, comme la feuille de cuivre chiffonnée comme du papier de soie, de la violence du naufrage et de la dispersion des superstructures arrachées par la mer. La mission de recueil de la mémoire de la Boussole a été accomplie malgré le temps perdu à nettoyer la faille des éboulements qui avaient été rendus nécessaires en fin de campagne 2005 par sa dangereuse instabilité.
Renaud Tarnus, géophysicien, observe à l'écran, la retranscription des émissions sonores souterraines qui lui permettent d'obtenir une radiographie du sous-sol (© : YVES BOURGEOIS)
A terre, l'emploi généralisé des appareils de géophysique a considérablement fait avancer les connaissances. Les archéologues disaient naguère n'avoir pas trouvé de traces d'installation ni de sépultures en dehors de la petite zone découverte en 1999 par Jean-Christophe Galipaud. Le dépouillement des radars de sol et des relevés sismiques et magnétométriques leur permettent aujourd'hui d'affirmer qu'il n'y a pas eu de cimetière ni d'installation ancienne à Païou, hors de la zone du camp des Français. De Paucouri jusqu'à Emoa, la mangrove était, sur une douzaine de kilomètres alentour, imperméable à une installation raisonnable. Alors, commencent les hypothèses. La base des naufragés est maintenant recouverte par la mer pour les uns, ou ils vivaient à bord de l'épave de l'Astrolabe plantée sur le récif pour les autres. C'est l'hypothèse des marins de la mission 2008, car nous n'y voyons que des avantages en matière de confort et de sécurité.
Il reste établi qu'un petit camp aux contours archéologiques nets a été occupé au bord de la rivière Lawtence, là où a été construit vraisemblablement un bateau. Et où fonctionnait un observatoire puisqu'un fragment de grand quart de cercle astronomique y a été trouvé. Dans ce domaine aussi, le processus de compréhension du séjour des naufragés à Vanikoro a considérablement progressé. La suite reste un mystère, dont le paramètre premier est le comportement des Vanikoro à l'égard des Français. Les multiples traditions orales et l'histoire des autres contacts entre Européens et Mélanésiens se détruisent l'une l'autre sur ce point, laissant planer un terrible doute sur la réalité de ce que nous cherchons dans cette île maudite : l'évasion de Français ayant échappé à un naufrage, à un massacre et à la malaria.
Et puis enfin, la découverte de la terrasse basaltique de Paucouri est l'un des jalons les plus marquants de l'enquête. Là a sans doute pleuré de rage et de désespoir le dernier survivant, quand passaient lentement au loin la Recherche et l'Espérance.
C'était fête hier soir à Païou. Michel Bellion exposait au Musée-dispensaire une soixantaine de ses oeuvres, et le vernissage fut très réussi, en présence de nombreux habitants du village. Suivit un kaïkaï dans la meilleure tradition mélanésienne, dont le cochon rôti devait son immolation à l'Association Salomon qui a offert encore beaucoup de gâteries aux enfants. On était venu de toute l'île pour voir les danses. Même les Tikopiens étaient là, timides et réservés quand même, en territoire inamical. Dans la nuit qui tombe vite sous les tropiques, un magnifique feu d'artifices offert par l'association Salomon a clôturé la fête. Le spectacle de ces fusées éclatant dans le ciel noir de notre dernière nuit à Païou, un village oublié des dieux où il ne s'est jamais rien passé sinon un fulgurant naufrage, avait la force des provocations événementielles des surréalistes. C'était un dernier clin d'oeil d'Alain Conan à Lapérouse.
Le Batral Dumont D'Urville (© : YVES BOURGEOIS)
La Concepción au Chili le 12 mars 1786 : "Nous résolûmes avant notre départ de donner une fête générale. Une grande tente fut dressée sur le bord de la mer. Nous y donnâmes à dîner à cent cinquante personnes, hommes ou femmes qui avaient eu la complaisance de faire trois lieues pour se rendre à notre invitation. Ce repas fut suivi d'un bal, d'un petit feu d'artifice, et enfin d'un ballon de papier assez grand pour faire spectacle."
Il est 08 h 30 dimanche. Le Dumont d'Urville se prépare à appareiller pour Nouméa. Au-dessus du mont Kiomolelu, le soleil s'est levé derrière des nuages lourds de pluies à venir sur le secret de Vanikoro. "
François Bellec.