Plongeant le spectateur dans l’atmosphère du Berlin-Est des années quatre-vingt, le réalisateur de “La vie des autres”, Florian Henckel von Donnersmerck révèle la trahison de la belle actrice (Christa Maria Dieland interprétée par Martina Gedeck). Elle dénonce en effet à la STASI, les activités de son amant, l’écrivain Dreymann, avec les milieux littéraires de l’Ouest.
Curieusement, le spectateur ne juge pas l’acte. Maria Christa, au coeur du dispositif de surveillance du groupe d’intellectuels gravitant autour de Dreymann, Maria Christa est le maillon faible, la proie et la victime: tout un système où les héros sont des anti-héros qui résistent dans le noir, dans la vacuité du temps de la délation obligée parce qu’imbriquée dans l’imbroglio d’un quotidien douloureux, des anti-héros comme Dreymann qui ne juge pas sa compagne parce qu’il est lui-même la cause de sa déchéance. Par le seul fait d’exister.
Inextricable complexité d’un monde dont il faut parler en finesse, comme il est fait dans ce film.
Alors, Kundera? Kundera à la une de l’actualité ce matin. Suspect . Vilipendé. Emprisonné dans ses contradictions, ses insolences, ses pieds de nez à l’enracinement, sa souffrance dans le vécu du déracinement, sa trop grande virtuosité intellectuelle… Mais Kundera, d’abord, il faut le lire. Ne pas lire seulement les critiques . Mais le lire. Lire ses livres.
Commencer par “L’ignorance” , ce grand livre sur l’identité et la trahison, justement.
A parcourir la critique, il ne s’agirait que du roman de la nostalgie. Mais c’est faux. Au contraire. La nostalgie est empoisonnée. Dans cet ouvrage, l’auteur de “L’insoutenable légèreté de l’être”, nous livre en effet, le désarroi de l’impossible enracinement. Bien sûr, on y évoque de façon temporelle et spatiale les aléas de l’immigration, le ressenti de l’exil, et c’est déjà beaucoup, mais il s’agit aussi et surtout de la fable de notre universelle condition.
Qu’avons-nous compris, que savons-nous de notre culture, de notre façonnement intime? Quels stéréotypes véhiculons-nous lorsque nous vivons ailleurs? Existe-t-il une seule valeur sure, intangible, incapable de trahir? La mémoire? L’intelligence? Les sentiments? Les êtres chers?
Hélas! Le tragique de notre condition est là. Nous trahissons. Même les mères trahissent!
Lisez “L’ignorance”. Vous le verrez bien.
Et revoyez “La vie des autres”.
Ce flic à l’oeil perçant, ce vil observateur, ce squatter des intimités, ce Gerd Wiester qui a tant surpris le public enthousiaste dans sa possibilité de transformation, c’est peut-être moi, c’est peut-être vous, soudain libérés de l’opacité de la pensée univoque…
A moins que ce ne soit qu’une fable. Un dérivatif au pessimisme de Kundera. A notre pessimisme quotidien.