J’ai lu tout à fait par hasard une communication faite par les Drs. Cebe et Aiach à la conférence de l’Association Internationale de Sociologie de 1995.
« Dans une version pessimiste et quelque peu caricatural de l’avenir, on peut imaginer le pharmacien [d’officine] pris dans un engrenage pouvant le mener à sa perte : avec la rentabilité de son officine laminée (par des mesures touchant les médicaments prescrits) obligé d’avoir recours à un personnel moins nombreux et moins qualifié tandis qu’il croulerait lui-même sous le poids des tâches administratives, contraint, pour assurer sa survie, à une dérive commerciale inévitable, il pourrait voir la part du temps qu’il est susceptible de consacrer au conseil et au contrôle des prescriptions se réduire dramatiquement, de telle sorte que la remise en question de la légitimité de son monopole se trouverait pleinement justifiée »
Le problème sous-jacent à cette déclaration est (encore et toujours) notre mode de financement. En effet, les médicaments vignetés (médicaments remboursés par l’Assurance Maladie sur prescription médicale) représentent 85% du chiffre d’affaire. Soit. Ce surajoute une seconde règle moins connues : le nombre de pharmaciens salariés (ou non) dans une officine est défini par la loi en fonction de tranches du chiffre d’affaire de la pharmacie qui ne sont pas proportionnels ; plus le chiffre monte, plus les paliers sont rapprochés. C’est ainsi que nous fonctionnons depuis des décennies. Soit. Le seul hic, c’est que cette seconde règle crée une situation quelque peu ubuesque (notamment lorsqu’une officine vient de passer un palier de chiffre d’affaire) où certains emplois qui sont obligés par le volume de dispensation des médicaments « sur ordonnances » sont payés par les ventes de parapharmacie et de médicaments « sans ordonnances ».
Ce phénomène s’est encore aggravé depuis le début de l’année avec les fameuses boîtes de trois mois. Je m’explique : on vous donne trois mois, le prix industrie est donc trois fois le prix d’une boite. Logique jusque là. Problème : les marges des pharmaciens fixées par l’état sont en dessous de trois fois la marge unitaire parce que le pharmacien est rémunéré suivant le principe de la marge dégressive lissée. Le principe de la marge dégressive lissée est le suivant : pour toute boite de médicament, la pharmacien est rémunéré à 26,1% du prix jusqu’à 22,90€, 10% pour la partie du prix comprise entre 22,91€ et 150€ et enfin 6% pour la partie du prix supérieure à 6%. Il est donc aisé de comprendre que les boîtes de trois mois maintiennent grosso modo le chiffre d’affaire mais font plonger les marges (Petite remarque au passage, est-il logique que nous soyons rémunéré en fonction du prix de vente de médicament en sachant que ce ne ce sont pas les médicaments chers qui sont forcément les pus délicats à manier ?).
De surcroît, courant juin, l’Etat a diminué unilatéralement la marge des grossistes répartiteurs (elle-même fixée par la loi) ce qui a provoqué une baisse du prix du médicament et donc une baisse des marges du pharmacien.
On se retrouve donc dans une situation, fin 2008, où les chiffres d’affaires sont en replis plus ou moins important suivant les zones géographiques (mais çà les patients s’en foutent et s’est bien normal car les pharmacien se font du beurre sur leur santé et qu’ils sont riches) et avec des marges qui plongent beaucoup plus vite (çà s’est inquiétant pour les salariés comme moi, enfin comme j’étais avant d’être en recherche d’emploi). On se retrouve ainsi, encore plus qu’avant à devoir payer des salaires légalement dus au chiffre sur le médicament vigneté avec de la parapharmacie et des médicaments « sans ordonnances » d’où la fuite en avant pour vendre encore plus et faire de l’épicerie. Ceci amène également un éclairage nouveau sur le libre accès des médicaments dans les pharmacies qui n’est pas tant là pour faire baisser les prix par une plus grande concurrence que d’autoriser le pharmacien à augmenter ses rotations sur le médicament « sans ordonnance » afin de compenser la baisse des marges.
Dès lors la légitimité de notre monopole n’est plus justifiée.
Voilà comment les pharmaciens seront les victimes des réformes comptables de l’Assurance Maladie, d’autant que personne ne veut prendre à bras le corps notre réforme du mode de rémunération qui ne peut qu’être lié à la qualité de notre exercice… et encore moins nos syndicats… parce que ce ne sont que des syndicats de titulaires !
NB : je ne veux pas défendre ceux qui veulent de toute façon faire de la pharmacie une épicerie mais expliquer pourquoi ceux qui croient encore en la noblesse de notre profession vont prendre du plomb dans l’aile les mois qui viennent.