Arrêtons-nous sur une nouvelle qui a pu passer inaperçue : la remise en question de la semi-liberté dont bénéficie Jean-Marc Rouillan, co-fondateur et activiste du groupe militant communiste libertaire Action Directe, dont les membres furent condamnés pour divers homicides, dont ceux de l’ancien patron de Renault, George Besse, et celui du général Audran, pour les deux plus connus.
Quel fut le crime de Jean-Marc Rouillan, pour amener à remettre en cause la semi-liberté dont il jouit, dès lors qu’il justifie d’un emploi (dans une imprimerie de Marseille) et ne risque pas de récidiver ?
Première piste : la fameuse interview accordée à l’Express. Que raconte donc l’ex-militant ? Qu’il ne peut s’exprimer sur les actions menées dans le cadre d’Action Directe et que ce ne serait pas le cas s’il crachait sur ce qui a été fait. Citation de J.-M. Rouillan : "Je n'ai pas le droit de m'exprimer là-dessus... Mais le fait que je ne m'exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu'on avait fait, je pourrais m'exprimer". Donc, dans un premier temps, il exprime l’interdiction qui lui est faite de parler des actions menées, et dans un second temps explique que "si" il reniait son passé, il pourrait s’exprimer. A-t-il contrevenu à l’injonction ? Non, il ne parle pas des actions passées. Fait-il l’apologie du crime ? Non, il précise même que "le processus de lutte armée tel qu'il est né dans l'après-68, dans ce formidable élan d'émancipation, n'existe plus". Il ne fait que répondre à la question d’un journaliste en mal de sensation et qui se fiche visiblement des conséquences que cela peut avoir pour l’interviewé… passons.
Seconde piste : l’adhésion au parti de notre postier national, dont il a été question sur ce blog il y a peu… c’est la thèse de l’avocat… pour ma part je ne crois pas trop à une manœuvre du pouvoir pour couler Olivier Besancenot via J.-M. Rouillan… au contraire, ça donne une dimension "authentiquement révolutionnaire" à un parti qui annonce ne plus l’être : la confusion ne peut que bénéficier à Olivier Besancenot (suivant la maxime du Cardinal de Retz sur l’ambiguïté en politique).
Ma thèse : on est confronté à un bel exemple de ce que la morale religieuse a pu laisser comme trace dans notre société.
Qu’avons-nous ? Un ancien militant communiste libertaire qui, à un moment de l’histoire de son mouvement, est passé à la lutte armée et a tué plusieurs personnes.
Arrêté et condamné, il a purgé une peine de prison, dure il faut le souligner (on a plus facilement accordé à Papon la remise en liberté pour cause médicale qu’aux membres d’Action Directe qui la réclamaient).
Au bout d’un certain temps, un régime de semi-liberté est accordé… Jean-Marc Rouillan trouve un travail et respecte ses obligations. Un journal souhaite l’interviewer et le questionne sur les homicides : "Regrettez-vous les actes d'Action directe, notamment cet assassinat ?"… la réponse, reproduite plus haut, me parait très équilibrée… sans concession mais sans excès non plus.
Que reproche-t-on donc vraiment à Jean-Marc Rouillan ? Il me semble que c’est de "repentir" qu’il s’agit… l’émoi suscité repose, à mon sens, sur cela qu’il ne fait aucunement preuve de repentir, qu’il ne bat pas sa coulpe en demandant pardon… N’est-on pas là dans une problématique purement religieuse ? Ce qu’on demande à Jean-Marc Rouillan, c’est de rentrer dans le rang des brebis, de mettre fin à son égarement, de suivre la voie tracée par notre Seigneur et par l’Etat – notamment depuis qu’à la tête de celui-ci, nous y avons un Chanoine confirmé qui est allé prendre possession de sa stalle à St-Jean de Latran.
Après tout, condamné et ayant purgé sa peine, ne s’exprimant pas sur les actions menées, je ne saisis pas bien ce que l’on peut légalement reprocher à Jean-Marc Rouillan… en revanche, sur un terrain moral, mêlant repentir, culpabilité et soumission…
Plus généralement, cela pose le problème de la laïcité… Comme le souligne son avocat, "la demande de révocation n’est pas fondée sur le plan juridique"… Le serait-elle donc sur un plan moral ? Et si oui, de quelle morale parle-t-on ?
Olivier Besancenot serait-il le seul à avoir le recul nécessaire, lorsqu’il dit : "Il a purgé sa peine. A un moment, il faut tourner la page".
Cela montre que la laïcité, loin de reposer sur l’athéisme, doit reposer sur la liberté de pensée… cette liberté est clairement ce qu’évoque Jean-Marc Rouillan dans son interview : "Par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique". La possibilité d’un tel bilan critique, c’est ce que les philosophes du 18e siècle appelaient la liberté d’examen… qui pose toujours un problème dans la France d’après 1789, d’après 1848, d’après 1871, d’après 1936, d’après 1968… une France dont les réflexes cléricaux et moralisateurs sont toujours aussi prompts.
Un mot pour terminer cette longue chronique… le lecteur aura sans douté noté, voire condamné l’impartialité honteuse dont j’ai fait preuve : "militant", "homicide", "actions menées", "ce qui a été fait"… je n’ai pas écrit "terroriste", ni "meurtre", "assassinat" ou "crime", ni "attentats" ou parlé de ce qui a été "commis"… Tout cela pour réfléchir un peu à la manière dont les journalistes rédigent leurs articles, choisissent leurs termes, usent et abusent des connotations… ma contribution immodeste au débat, en somme !!