Nouvelle chute mortelle d'un sans-papiers lors d'une intervention de police

Publié le 14 octobre 2008 par Torapamavoa Torapamavoa Nicolas @torapamavoa

**Nouvelle chute mortelle d'un sans-papiers lors d'une intervention de police
>
>
> Silence on tombe
>
> Elvis Akpa, sans-papiers, est mort en tombant du septième étage, 97
> boulevard de la Villette, alors qu'il tentait d'échapper à la police. Un
> an après la mort de Chunlan Liu, dans des circonstances semblables, cette
> nouvelle mort d'un sans-papiers suscite bien peu de réactions…
>
> Mercredi 1er octobre, une dépêche AFP annonçait la mort à Paris d'un
> Nigérian de 47 ans, « soupçonné de trafic de stupéfiants et d'association
> de malfaiteurs ». L'homme, « probablement en situation irrégulière »,
> selon la formule répercutée sur le site du Parisien, est mort en tombant
> par la fenêtre de son appartement alors qu'il tentait d'échapper aux
> policiers faisant irruption chez lui. Selon l'AFP, « les enquêteurs de la
> PJ de Meaux agissaient sur commission rogatoire d'un juge d'instruction de
> Meaux ». L'IGPN – la police des polices – a été saisie pour éclaircir les
> conditions de la mort de Elvis Akpa et celles de l'intervention de la
> police. **

>
> Elvis Akpa était bien sans-papiers, et sous le coup d'une "Obligation à
> quitter le territoire français" depuis 2007. Il se trouve que ce n'est pas
> la première fois qu'un sans-papiers paniqué saute par la fenêtre pour
> échapper à la police et à une expulsion. Il y a un an presque jour pour
> jour, une chinoise de 51 ans, Chulan Liu, trouvait la mort dans les mêmes
> circonstances sur le même boulevard de la Villette, suite à l'intervention
> de policiers envoyés eux aussi par le TGI de Meaux. Dans cette précédente
> affaire, la police venait aussi "pour une autre raison" – soit,
> officiellement, pas dans le cadre de la chasse aux sans-papiers décrétée
> par Brice Hortefeux. Elle agissait alors suite à une plainte… d'un
> sans-papiers déjà expulsé en Chine. Ce dernier se serait plaint – avant
> son expulsion donc – de la disparition de « ses effets » dans
> l'appartement collectif où il demeurait.
>
> Cette fois le motif de l'intervention policière est bien plus
> impressionnant. Et l'accusation de trafic de drogue semble paralyser toute
> mobilisation de ceux qui réagissent habituellement en de telles
> circonstances. Il faut dire que la version policière est terrible : non
> seulement Elvis Akpa appartiendrait à un réseau international de
> trafiquants de stupéfiants, mais ce serait dans le cadre de la même
> enquête que la police de Meaux a découvert, en mars dernier, le cadavre
> d'une jeune fille de quinze ans, « passeuse » du réseau, décédée suite à
> l'éclatement d'une boulette de cocaïne dans ses intestins. Devant un tel
> tableau, le silence est général.
>
> Nous avons cherché à connaître les circonstances de la mort brutale
> d'Elvis Akpa en allant interroger sa veuve, Huguette Ahouavoeke, la mère
> de ses quatre enfants.
>
> Nous avons ainsi rencontré madame Ahouavoeke – et sa sœur Estelle – dans
> son appartement. La première est en état de choc, et toutes deux sont
> révoltées par la façon dont la police est intervenue ce matin du 1er
> octobre.
>
> Madame Ahouavoeke nous a donné le récit de cette intervention : tôt le
> matin (à 6h45, semble-t-il) le couple a entendu des coups à la porte, et
> l'ordre d'ouvrir. A suivi un moment de confusion dans l'appartement :
>
> « J'entendais tellement de bruit, que j'ai eu peur ! Mon mari m'a dit :
> "N'ouvre pas, c'est sûrement pour les papiers !" ». « Je ne veux pas
> t'abandonner une deuxième fois. Je ne veux pas y retourner », a-t-il
> ajouté avant de se réfugier dans la chambre des enfants au fond de
> l'appartement, avec ceux-ci. Et c'est par le balcon de cette chambre
> qu'Elvis Akpa a essayé de s'échapper…
>
> Madame Ahouavoeke, entendant les policiers défoncer la porte, a fini par
> leur ouvrir, son bébé de deux mois dans les bras :
>
> « J'ouvre, ils m'ont dit : "Connasse ! Où est le monsieur qui vit avec
> vous, c'est votre mari, il est où ?" J'ai demandé ce qu'ils voulaient, ils
> avaient leurs bâtons noirs. Ils ont commencé à chercher, puis ont reçu un
> coup de fil et m'ont dit : "Votre mec il s'est cassé la gueule à cause de
> vous, il fallait ouvrir vite fait la porte !" Je ne savais pas quoi faire,
> ils m'ont ordonné de ne pas bouger, ils sont allés chercher les enfants,
> leur ont dit de ne pas bouger. J'avais le bébé dans les bras. Je demandais
> ce qu'il se passait, je pleurais, personne ne me disait rien. Ils m'ont
> dit "C'est ça ! Faîtes votre innocente !" Ils sont descendus, ils sont
> revenus, ils ont fouillé la maison, ils ont pris des affaires, je ne sais
> même pas quoi. Ils ont mis mes affaires par terre, ont demandé où était le
> portable, j'ai dit que je ne savais pas, ils m'ont dit "C'est ça, ça ne se
> passsera pas comme ça !". Ils m'ont mise par terre devant mes enfants, et
> ils m'ont fouillée ».
>
> Les policiers n'ont trouvé ni drogue ni argent dans l'appartement. Avant
> de partir, ils rédigent un rapport qu'Huguette Ahouavoeke refuse de
> signer. « Puis, ils sont partis. Ensuite, les pompiers ou les gens du Samu
> sont venus me voir. Ils ont dit qu'ils n'avaient rien pu faire pour sauver
> mon mari. »
>
> Pendant tout le temps qu'a duré cette perquisition, Huguette Ahouavoeke
> n'a pu à aucun moment quitter l'appartement pour aller voir le corps de
> son mari. Sa sœur, prévenue par téléphone et présente sur les lieux dès
> 7h45, n'a pas eu l'autorisation de monter la voir. Les enfants, présents
> dans la chambre lorsque leur père est tombé, ont assisté aux événements.
> Les deux aînés, 11 et 7 ans, ont été interrogés par la police dans une
> pièce à part, une heure chacun, séparément, sans aucun témoin – ni leur
> mère, ni aucun psychologue ou médecin. Depuis, les enfants se cachent dès
> que quelqu'un frappe à la porte, craignant un retour de la police et
> suppliant la mère de ne pas ouvrir.
>
> Toujours pendant la perquisition, avant la levée du corps, les policiers
> de l'IGPN sont arrivés sur place. Ils ont interrogé Huguette Ahouavoeke à
> nouveau, ainsi que sa sœur, et les voisins.
>
> Avant de partir, des policiers lui ont donné le téléphone de la PJ de
> Meaux au cas où elle désirerait des informations complémentaires. Depuis,
> celle-ci a appellé à plusieurs reprises mais n'a jamais pu obtenir
> d'explications :
>
> « On ne veut pas m'éclairer. Quand j'appelle ils me font balader. Jusqu'à
> aujourd'hui je ne sais pas ce qu'ils lui reprochaient. C'est par le
> journal que j'ai su qu'il recherchaient un trafiquant de drogue ».
>
> C'est le lendemain, jeudi, que Huguette Ahouavoeke était enfin autorisée à
> se rendre à la morgue pour voir le corps de son mari. Celui-ci ayant subi
> une autopsie le matin même, à la demande de la police et pour une raison
> qu'elle ignore, elle n'aura pu voir que son visage.
>
> Les jours suivants, les enfants sont restés dans l'appartement avec leur
> mère et ne sont pas allés à l'école. Le collège Louise Michel, où l'aînée
> est scolarisée, a envoyé vendredi le médecin scolaire et un psychologue
> pour voir les enfants. Ceux-ci ont été d'accord pour retourner à l'école à
> partir du lundi.
>
> Huguette Ahouavoeke dément les accusations de trafic de drogue : « Ils se
> sont trompés de personne », dit-elle. Béninoise, elle vit en France depuis
> 2001, et a une carte de séjour de dix ans. Ses deux premiers enfants sont
> nés au Bénin, et les deux plus jeunes à Paris. Son époux l'a rejointe en
> 2006, et a fait une demande d'asile qui a été rejetée. Il est sous le coup
> d'une OQTF depuis 2007. Il n'a jamais eu de problèmes avec la police, et
> avait très peur de retourner dans son pays, où il se disait en danger pour
> raisons politiques. Il avait très peur d'une arrestation depuis l'OQTF.
>
> « Mon mari a fait tous les boulots, mais ce n'était pas un trafiquant de
> drogue ! Il avait peur. » « Est-ce qu'il a voulu s'enfuir ? Qu'est-ce qui
> s'est passé dans sa tête ? Je ne sais pas ! À 33 ans, je reste avec des
> enfants mineurs et un mari qui n'existe pas ! ». Les quelques voisins
> rencontrés sont émus, certains choqués. Les témoignages sont simples : un
> monsieur gentil, toujours poli, pas d'histoires, pas de bagarres, attentif
> à la scolarité de ses enfants – selon une jeune fille qui faisait du
> soutien scolaire auprès d'eux.
>
> Un événement étrange survient le lundi matin.
>
> Ce jour-là, Huguette Ahouavoeke se rend à la mairie du Xe arrondissement
> pour y chercher l'acte de décès de son mari. Le document remis par la
> fonctionnaire de mairie qui a établi le certificat de décès contient deux
> aberrations manifestes, l'ignorance de la date du décès et le lieu où se
> trouvait le corps : « Nous avons établi le décès de Iheanacho, Elvis Akpa,
> (…) dont la date n'a pu être établie (…). Le corps a été trouvé en son
> domicile (…). Dressé sur la déclaration de Philippe Guilbert, commandant
> de police du 8e arrondissement (…) qui, lecture faite et invité à lire
> l'acte, a signé avec nous (…) ».
>
> À la lecture de cet acte de décès, Huguette Ahouavoeke proteste : « C'est
> faux ! C'est la police qui a tué mon mari ! » La fonctionnaire lui répond
> alors imperturbablement qu'elle s'est basée sur le rapport de la police
> pour établir l'acte et qu'elle ne peut le corriger.
>
> Huguette Ahouavoeke rentre chez elle et avertit son avocat. Celui-ci
> estime que le fait est grave et lui demande de garder les documents. Sa
> sœur prévient de même le QSP par téléphone.
>
> Le lendemain matin, la fonctionnaire téléphone à la veuve pour lui
> expliquer qu'elle s'était « trompée », et qu'elle allait établir un
> nouveau certificat, mais qu'elle attendait pour ça un feu vert du
> procureur. Nous sommes allés l'interroger. Elle dit avoir fait une erreur
> de saisie. Elle se serait rendu compte de son erreur le lendemain, en
> relisant le texte du procès-verbal policier.
>
> « Pourquoi avoir procédé alors à cette vérification ? », lui demande-t-on.
> Ce serait le souvenir des protestations de la veuve qui l'aurait réveillée
> dans la nuit. Elle insiste pour dire que l'erreur est de son fait, qu'elle
> « assume », et que « la police n'y est pour rien ». Affable, elle nous
> montre alors la déclaration de décès qu'aurait apporté le commandant
> Guilbert du 8e arrondissement. Ce rapport mentionne en effet que le corps
> a été trouvé « à l'aplomb du domicile du défunt », et qu'Elvis Akpa est «
> décédé le 1er octobre à 7h30 ». Comme on s'étonnait de ce que le
> commandant Guilbert ait pu relire et signer un acte erroné, elle nous
> explique que celui-ci a signé « en blanc », lorsqu'il a apporté le
> rapport, avant qu'elle-même n'ait imprimé l'acte de décès… Et qu'il en est
> toujours ainsi.
>
> La question de savoir pourquoi la police du 8ème arrondissement aurait été
> chargée de ce rapport étonne la greffière : « Parce que c'est elle qui est
> intervenue. » On s'interroge sur ce qu'aurait eu à faire là des
> fonctionnaires du 8ème arrondissement, pour une opération diligentée à la
> requête du parquet de Meaux dans le 10ème, et alors que l'AFP indique ce
> ce sont des « enquêteurs de la police judiciaire de Meaux » qui seraient
> intervenus.
>
> « On va porter plainte. La police n'avait pas à la violenter, ni à
> interrroger les enfants sans psychologue… On ne l'a pas laissé voir son
> mari par terre et voir comment il était avant l'autopsie ! On ne sait pas
> ce qui s'est passé. Il y a trop de questions qu'on se pose. On est là à se
> faire plein de films dans la tête. On ne sait pas, puisqu'on n'a même pas
> pu voir son corps ! Notre avocat a demandé le rapport de police, pour
> savoir sur quoi ils se sont basés pour la perquisition, et pourquoi c'est
> la police de Meaux qui a fait la perquisition. On est dans le 75 ici !
> Pourquoi il n'y avait aucun policier du Xème ! ».
>
> Huguette Ahouavoeke n'est pas encore allé chercher le corps de son mari à
> l'institut médico-légal : elle n'a pas l'argent nécessaire pour faire
> rapatrier son corps au Nigéria. « Le moins cher, c'est le service
> municipal de la mairie. Mais ça coûte quand même 5638 euros ! Je ne les ai
> pas. Pour un trafiquant de drogue, il m'a laissé 10 euros 75 ! Ils étaient
> dans sa poche. »
>
> Dix euros soixante-quinze, c'est la fortune qu'Elvis Akpa a laissée à sa
> famille, ainsi que son alliance. Vendredi, celle-ci a été rapportée à sa
> veuve par deux policiers, s'excusant de ce qu'elle était un peu « tordue
> ».
>
> Elvis Akpa est mort, et l'enquête le concernant est stoppée. Reste
> l'enquête de l'IGPN sur les circonstances de sa mort. Et restent en
> suspens quelques questions dans cette histoire.
>
> Mais, de toutes façons, quel qu'ait été son moyen de subsistance, Elvis
> Akpa est bien mort pour avoir follement tenté d'échapper à l'expulsion au
> Nigéria que lui promettait l'Obligation à quitter le territoire français
> dont il était l'objet depuis 2007.
>
> Il était en France depuis deux ans et avait fait une demande d'asile
> politique qui avait été rejetée. Se remettant alors en ménage avec la mère
> de ses trois premiers enfants, ils en auront conçu une quatrième. Divine,
> née il y a deux mois. Elvis Akpa n'aurait pas voulu abandonner sa femme et
> ses quatre enfants.
>
> Concluant l'interview, sa belle-sœur nous apporte quelques photos d'Elvis
> avec sa femme, et d'Elvis avec ses enfants, prenant son bain ou se
> promenant au bord du canal Saint-Martin. « C'est ça qu'il ne voulait pas
> quitter », dit-elle.
>
>
>
> Appel à solidarité
>
> Madame Ahouavoeke a besoin d'argent pour faire rapatrier le corps de son
> mari. Si vous désirez l'aider, adressez vos chèques à :
>
> Madame Huguette Ahouavoeke
>
> 97, boulevard de la Villette, 75019 Paris
>
> Merci pour elle.