Dans un premier article consacré le mardi 30 septembre au mastaba d'Akhethetep dont la chapelle est exposée dans cette quatrième salle du Département des Antiquités
égyptiennes, je vous avais proposé, ami lecteur, non seulement quelques explications générales sur ce qu'était un mastaba à l'Ancien Empire, mais aussi de découvrir avec moi l'histoire des
fouilles de ce complexe funéraire, ainsi que les circonstances de l'arrivée de la chapelle au Louvre.
Dans un deuxième article publié mardi dernier, après avoir quelque peu évoqué certains détails de sa
façade, nous étions vous et moi entrés de conserve dans le petit couloir qui précédait
la chapelle proprement dite.
Et c'est aujourd'hui à l'intérieur précisément de ce monument que je vous convie de m'accompagner.
Autour d’elles, taillé dans d’énormes blocs de pierre, un décor en "façade de palais", c’est-à-dire composé d’étroites rainures et de bandes
verticales ornées de motifs peints, représenterait, selon les égyptologues, ces constructions palatiales légères de l’époque pré-dynastique, faites de poteaux de bois et de tentures
bariolées.
Au pied de ces portes devait se trouver une table d’offrande : vu sa très grande taille, les Conservateurs du Département ont préféré l’exposer en dehors du monument, dans la vitrine 2 : j'y reviendrai évidemment dans un prochain article.
De chaque côté de ces immenses fausses-portes s’organise tout le reste du décor de
la chapelle funéraire : c’est vers elles en effet que processions et animaux vont se diriger, c’est près d’elles que figurent les scènes en relation directe avec le culte rendu au
défunt.
Si nous faisons, vous et moi, un demi-tour complet, nous sommes face au mur de l’entrée, le mur est de la chapelle : cela nous permet d’admirer toute une série
de scènes typiques de la vie dans les domaines agricoles.
Seule ici une scène relève du monde funéraire : il s’agit
de la navigation du défunt, présentée au dernier registre, de part et d'autre de l'embrasure. A gauche sur le document ci-dessus, la scène est surmontée d’une légende qui ne fait aucun doute
sur sa destination : "Naviguer vers le Champ des Offrandes, auprès du grand dieu."
Bénéficier d’offrandes, tel était le but matériel avéré de ce voyage. Akhethetep y est
figuré dans la cabine centrale du premier des bateaux qui va aborder. Tout l’équipage s’affaire à une tâche bien déterminée : le pilote s’apprête à sonder l’éventuelle présence d’un banc de
sable : "A babord, à terre", prévient-il; à la proue toujours, un marin grimpe au filin, tandis que derrière lui, quatre autres hissent la voile du mât double; des rameurs
agenouillés manient les avirons et à l’arrière, trois autres, debout, font de même avec ceux de gouvernail, commandés par le quartier-maître qui, par gestes, transmet les instructions du
pilote.
Penchez-vous plus avant, ami lecteur : avez-vous remarqué ce détail ? A l'arrière de la cabine dans laquelle se tient Akhethetep, l'artiste vous donne
l'occasion d'assister à la préparation du repas : en effet, un cuistot s'affaire à plumer un canard.
Qui a parlé de gravité, de componction dans l'art funéraire égyptien ? Cette scène on ne peut plus profane reflète trait pour trait n'importe quel voyage d'agrémment
sur n'importe quel fleuve du monde.
Une autre scène de navigation fait pendant à celle-ci de l’autre côté de la porte d’entrée, avec à nouveau Akhethetep, debout, appuyé sur une longue canne, devant la
cabine de la première des embarcations qui, cette fois, remontent le Nil : "Ainsi tout va bien et le voyage sera bon", précise la légende.
Tout le reste de la paroi est a été consacré, comme je le soulignais en introduction, à la vie dans les domaines : on y voit le défunt encadré d’une légende qui définit parfaitement la scène : "Inspecter les labours, la récolte, la chasse, les divers travaux des champs." Vêtu d’un pagne de lin à devanteau triangulaire et d’une peau de félin nouée sur l’épaule, il est suivi de trois serviteurs qui portent son équipement. Devant lui, sur plusieurs registres, le travail des paysans restitue le cycle complet des saisons égyptiennes, des semailles, après la crue du fleuve, jusqu’à la moisson du lin et du blé. Plusieurs inscriptions hiéroglyphiques énumèrent les différentes étapes de ces travaux : "Botteler le lin", "Couper", "Manier la faucille", "Couper et poser à terre", "Remplir le filet", "Construire une meule", "Les ouvrières vannent" ..., tandis que d’autres restituent les ordres donnés : "Dépêche-toi", retrouve-t-on à plusieurs reprises; "Défais la corde", "Surveille-les de tous les côtés", crient les âniers ...
Dans un autre registre, on apprend que "Le bureau de la fondation examine les comptes des
fermiers" et qu’une bastonnade attend ceux d’entre eux qui auraient malencontreusement trafiqué les chiffres.
On comprend mieux l'enthousiasme qui fut celui de Georges Bénédite dans sa lettre au Directeur des
Musées nationaux, le 28 mars 1903. D'autant mieux encore quand on se souvient que toutes ces scènes étaient originellement peintes et que cette polychromie flamboyante les rendaient encore plus
attirantes.
En nous tournant vers le nord, nous quittons la vie active des domaines et des marais pour pénétrer dans la demeure cossue du défunt où nous attend la scène
traditionnelle du banquet et de ses préparatifs, scène qui en occupe toute la paroi.
Assis de manière nonchalante dans un fauteuil à pattes de lion, Akhethetep contemple les nombreuses victuailles du repas funéraire qui se présente à lui, parfaitement
détaillées, sur quatre registres.
(Par parenthèses, avez-vous remarqué, encore très visible ici, le carroyage, originellement rouge, utilisé par le ou les artistes, pour respecter plus facilement les
proportions du canon esthétique égyptien ? C'est ce genre de détail qui souvent m'émeut : au-delà des siècles, au-delà des civilisations, la réflexion de l'artiste a accompagné sa main et cette
trace est restée bien présente. On se prendrait presque à penser qu'il va réapparaître de derrière le mur, après une petite pause qu'il se serait octroyée avant de peaufiner sa
décoration ...)
Deux musiciens, un flûtiste et un harpiste, et deux chanteurs, tous les quatre accroupis, un genou posé sur le sol, égaient le repas. Petit détail : un d'eux appuie la
main sur son oreille : vous souvenez-vous de Gilbert Bécaud ?
Au registre immédiatement inférieur, des femmes (dont on aperçoit ci-dessus à peine la tête et les bras levés), sept en tout, en file indienne, précédées du terme
"Danser", suivies par les porteurs d’offrandes sont censées symboliser, par leur chorégraphie, l’apport des produits nécessaires à la survie du défunt.
Enfin, au dernier registre, douze jeunes femmes, personnifiant les domaines ruraux que possédait Akhethetep, propriétés nommées devant chacune d’elles, arrivent, moulées
dans des robes décolletées et superbement transparentes, maintenant de la main droite sur leur tête coiffée d’une longue perruque tripartite qui une corbeille remplie de melons et de pains, qui
un panier en vannerie regorgeant de figues et de raisins, qui des laitues, des tiges de papyrus, des jarres ...; certaines, dans la main gauche, ont un pigeon ou un canard qu’elles empoignent par
les ailes : il s’agit là de la scène que les égyptologues ont coutume d’appeler "Défilé des domaines du défunt".
Le jeune Egyptienne que je vous propose d'admirer ici, l'antépénultième du défilé, présente, dans une corbeille à claire-voie, un monceau de pains, de figues et de
fruits de sycomores. D'un petit sac qu'elle tient dans la main gauche débordent des baies de fruits rouges.
Devant elle, gravés en colonne, se lisant de gauche à droite, des hiéroglyphes précisent le nom du domaine qu'elle représente : "Les pains «hébénéout»
d'Akhethetep". Derrière elle, le nom du domaine de l'avant-dernière élégante porteuse d'offrandes qui la suit : "L'orge grillée d'Akhethetep".
Si vous vous référez au deuxième de mes articles consacrés à cette chapelle d'Akhethetep, le
mardi 7 octobre, vous vous souviendrez, ami lecteur, que j'y avais attiré votre attention sur la graphie du nom du propriétaire du monument qui apparaissait sur le rouleau de façade. Vous
n'aurez aucun mal, aujourd'hui, à constater par comparaison qu'ici manque bien la galette de pain correspondant au phonème "T" qui, normalement, si l'artiste avait pris soin de graver ce
patronyme dans son intégralité, aurait dû suivre le premier signe, celui de l'oiseau ibis. Et comme je vous le signalais alors, ce n'est bizarrement que sur cette partie de la façade
qu'apparaît pour l'unique fois en entier le nom d'Akhethetep.
Douze domaines ayant appartenu à ce propriétaire foncier, aux dénominations éloquentes : "Le Château du Kâ d'Akhethetep", "La Vallée d'Akhethetep",
"La Fondation d'Akhethetep", "L'Oeuvre d'Akhethetep", "Les Perséas d'Akhethetep", et ainsi de suite, voilà qui pourrait paraître richissime à nos yeux de profane.
Il n'en est en fait rien ! Et vous n'aurez aucune difficulté à relativiser quand vous visiterez un jour, à Saqqara, le mastaba de Ti, par exemple, - qui comme celui-ci date de la même
Vème dynastie -, et que le guide vous fera remarquer que ce sont 108 domaines que possédait ce haut fonctionnaire du royaume.
En face, sur la paroi gauche (= mur sud), le banquet funéraire de la paroi droite auquel je viens de faire allusion se trouve complété par la très longue liste des
offrandes nécessaires, ainsi que des quantités, gravées à l’intérieur de petites cases, l’ensemble formant un quadrillage.
A mi-hauteur, ce mur sud est percé, au niveau des yeux, d’une étroite fente horizontale qui permettait de voir dans le serdab, petite pièce "aveugle", interdite aux
vivants, aujourd’hui disparue mais qui, à l’époque, communiquait directement avec la chapelle : là se trouvaient les statues personnifiant le défunt grâce auxquelles il pouvait au-delà de la mort
bénéficier des aliments déposés sur la table d’offrandes.
De part et d’autre de la fente du serdab, ont été représentées deux séries de vases posés sur des tables basses et contenant les huiles destinées au rituel de
l’embaumement.
Au bas de la paroi, procédant du même rite funéraire, des serviteurs apportent l’un, les bandelettes de tissus qui serviront à la momification, l’autre, deux récipients
contenant les huiles de base. Un troisième soulève le couvercle d’un encensoir dont les vapeurs purificatrices vont titiller les narines du défunt. Du quatrième, il ne reste que le jambes.
D’autres viennent ensuite qui conduisent divers animaux : grue, taurillon, génisse, canards .., tandis qu’au registre suivant défilent les victimes destinées à l’offrande funéraire : boeufs gras,
oryx, bouquetin, antilope, gazelle ...
Cette description narrative des différentes parois de la chapelle funéraire d’Akhethetep, et ces quelques documents iconographiques, nécessaires pour donner une idée de
ce que l’on peut y admirer, laisse volontairement de côté une interprétation qui mettrait en parallèle la fonction religieuse de l’architecture et son décor proprement dit.
Si vous me le permettez, ami lecteur, je vais maintenant tenter de vous en donner quelques clés.
Il est manifestement possible de déterminer en quoi l’image proposée par l’artiste est étroitement liée à l’espace architectural, au demeurant extrêmement simple : plan rectangulaire ouvert en son milieu sur la face est et précédé d’une antichambre est-ouest, axe privilégié s’il en est puisque c’est celui que parcourt la lumière entrant dans le mastaba pour venir éclairer les deux "fausses-portes" du fond. C’est également celui qu’emprunta le cortège funéraire d’Akhethetep. C’est enfin celui que suivront les prêtres qui viendront déposer les offrandes sur la table de granit (originellement placée devant les stèles "fausses-portes", comme je l’ai déjà mentionné plus avant). Il ne semble donc pas que ce soit un hasard si l’artiste a représenté dans l’embrasure les statues du défunt, hâlées sur un traîneau et empruntant ce même chemin.
Si je rappelle brièvement que la façade de la chapelle, exposée à l’est, regarde le fleuve, les prés où paissent les troupeaux, les vergers, les champs et que, par conséquent, le mur ouest est adossé au désert occidental, là où l’on enterre les morts, il n’est pas difficile de comprendre que c’est volontairement que l’artiste a proposé, sur la paroi intérieure du mur est, la scène de navigation, les scènes des travaux des champs et celles qui se déroulent dans les marais et, sur la paroi interne du mur ouest, les stèles "fausses-portes" permettant le passage virtuel entre le monde d'ici-bas et celui de l'au-delà.
Il est donc important d'avoir présent à l'esprit que cette paroi, avec tous ses
registres séparés entre eux par des bandeaux peints, ne constitue nullement un espace réel, encore moins une unité temporelle : c'est une simple juxtaposition de scènes et
d'inscriptions hiéroglyphiques.
Un second axe, nord-sud cette fois, est aussi porteur de semblables corrélations. Le mur nord, celui qui propose les scènes du banquet funéraire et de ses
préparatifs, est en effet visible, au travers de l’étroite fente du serdab pratiquée dans le mur sud qui lui fait face, par les statues grâce auxquelles le défunt peut profiter de ses offrandes;
offrandes dont la liste est gravée en détails sur cette même paroi sud.
Rien n’a donc semble-t-il été laissé au hasard par les artistes qui ont décoré ce monument.
Mais qu’on lui applique une lecture traditionnelle ou, plus finement, que l’on y décèle une véritable symbiose entre décor et architecture, il est manifeste qu’avec cette chapelle d’Akhethetep,
nous sommes en présence d’un de ces très grands joyaux dont, grâce à la pugnacité de Georges Bénédite, peut aujourd’hui s’honorer le Musée du Louvre.
(Pour une visite détaillée du mastaba, je vous convie instamment, ami lecteur, à consulter ce lien : http://www.culture.gouv.fr/culture/arcnat/saqqara/fr/intro_flash.htm)
(Ziegler : 1993, passim)