Abdoulaye Wade, pyromane éthnique par Ibrahima Sall

Publié le 14 octobre 2008 par Bababe

Ibrahima Sall, historien, dernier ouvrage : Mauritanie - conquêtes et administration coloniale françaises1890-1945

Abdullaay Wad
Senegaal koko rennda…


Pour répondre au débat suscité par le provocateur Abdoulaye Wade, on aurait souhaité que Kalidou Diallo parlât de l'organisation administrative du Fuuta Tooro dans son intégralité territoriale, car ce pays est une entité territoriale socio-historique et politique et non un morceau d'une rive du fleuve Sénégal.
Ceci pour faire comprendre aux étrangers du Fuuta Tooro, et même à la majorité de ses ressortissants à qui on a fini par faire croire qu'il y a un Fuuta "sénégalais" (dont les habitants sont aujourd'hui « sénégalisés ») et un Fuuta "mauritanien" (dont les habitants sont aujourd'hui « mauritanisés ») les mécanismes par lesquels le colonialisme français avait mis en place son administration dans le pays et comment les aristocraties politiques traditionnelles (Aynaae, See et Tooroe) avaient été associées à cette gestion des populations et de leurs territoires.
A propos de l’organisation administrative et politique traditionnelle du pays, on doit bien faire comprendre comment avaient été constituées les provinces dont les limites sont transversales au lit majeur du fleuve de telle sorte que chacune d'elles possède sa rive droite (Rewo) et sa rive gauche (Worgo). Chaque rive possède son waalo (zone de décrue) et son jeeri (partie non inondable) Les initiateurs de cette délimitation territoriale par rapport au bassin du fleuve avaient une double préoccupation économique (maîtrise de l'espace agricole et des pâturages) et politique.
Kalidou a présenté l'organisation administrative de la rive gauche (Worgo) mais en l’isolant de celle de la rive droite (Rewo). Or les parentèles qui contrôlaient la vie politico-administrative se retrouvaient de part et d’autre du fleuve. Il suffit d’étudier de plus près les généalogies de toutes ces personnes citées dans son texte pour voir que toutes ont des liens de parenté plus ou moins proches, d’où le concept de «dynasties administratives » sur lesquelles l’administration coloniale s’était appuyée pour gérer les territoires des deux rives .
Pourquoi Abdoulaye Wade tient coûte que coûte à éclater l’entité territoriale fuutanke (les provinces traditionnelles évoquées restent dans le cadre administratif interne de ce pays), alors qu’on ne pense pas faire la même chose pour le Kajoor, le Bawol, le Jolof, le NJambuur, le Waalo Barak ? S’il faut restituer la territorialité historique de chaque Etat précolonial, il faudra le faire alors pour tous, et non exclusivement pour les Etats wolof. Car il y a aussi le Bunndu, le Fuladu, le Fuuta Tooro, le Gajaaga, le Saalum, le Siin, le Xaabu, etc. Sur le démembrement du Fuuta Tooro, on voit bien que Abdoulaye Wade et ses amis idéologues ont bien assimilé les thèses de Bouët-Willaumez élaborées entre 1843 et 1845 et mises en application à partir du gubvernorat de Faidherbe en 1854. Pour les appliquer, il a fallu trente sept années de guerre. Il ne faut pas que les Fuuta Toorankoobe tombent dans le piège de la provocation ethniciste que mène le chauvin Abdoulaye Wade dont nul n’ignore les véritables sentiments d’hostilité contre les Wiyooe mbiimi, mbiimaami e wiimaami de l’Afrique. Lui et tous ceux qui pensent comme lui restent très marqués par le syndrome faidherbien
Il n’a pas soulevé la question du wolof comme langue d’administration et de ciment au Sénégal gratuitement. Cette idée fut théorisée depuis les fin des années 50 par le grand idéologue de l’hégémonie wolof Cheikh Anta Diop, relayé ensuite par Paate Diagne, Sakhir Thiam, Iba Der Thiam, Ahmed Bachir Kounta et autres.
Nous reviendrons sous peu sur la thèse de ces jacobins pour démontrer le caractère encore plus pernicieux de la wolofisation au Sénégal comparée à l’arabisation en Mauritanie
Il apparaît évident qu’ils ont été convaincus par leur allié de circonstance, le Système Bîdhân, selon lequel le flanc droit est désormais affaibli après les séries d’arrestations, de massacres et de déportations entre 1986 et 1991. Le Système Bîdhân encourage aujourd’hui l’Etat en phase d’ethnicisation du Sénégal de mener désormais une offensive plus ouverte sur le flanc gauche. On retrouve encore ici la thèse de l’ethnie locomotive, les Fule, qu’il faut déstructurer pour lui enlever toute forme de résistance contre l’assimilation. Car si en Mauritanie on massacre, on déporte, au Sénégal on assimile. C’est d’ailleurs la thèse défendue par Abdoulaye Wade qui a toujours préconisé la naturalisation administrative des déportés de Mauritanie, parce qu’il reste convaincu que les déportés victimes de l’épuration ethnique seront assimilés dans une ou deux générations grâce à la politique de wolofisation très insidieuse. Alors, on ne parlera plus de «déportés mauritaniens ». Les deux systèmes cherchent donc à nous installer entre le marteau et l’enclume.
En tout cas la nature des relations nouvellement établies entre les deux armées des deux Etats ethniques en construction au Sénégal et en Mauritanie ne nous rassure guère. Le chef d’Etat-major de l’armée de Nouakchott, le Colonel Moulaye Ould Boukhreïss, dont nul n’ignore son racisme anti Noirs et son chauvinisme arabo-berbere, avait tenu le jeudi 1er avril 2001 à Nouakchott une séance de travail avec son homologue de Dakar, le Général Babacar Gaye . Le défilé des éléments de l’armée du Système Bidan le 4 avril dernier à Dakar a choqué. Celle-là même qui a massacré des Noirs en Mauritanie et qui se comporte aujourd’hui en armée d’occupation dans la vallée du Sénégal (la formule ne vient pas de moi, mais d’observateurs étrangers très au fait de la situation des Noirs en Mauritanie). Le message est bien reçu. Comme on dit en pulaar, Min njiyii, min nani.
Le rapprochement entre les deux armées de Mauritanie et du Sénégal a vite rappelé au souvenir des observateurs des relations entre les deux Etats certains propos du Général Babacar Gaye dans son discours de prise de fonctions le 12 mai 2000. Celui-ci avait mis en garde toute volonté de contestation contre la mise en place de l’Etat ethnique au Sénégal : « Notre pays entre dans le troisième millénaire conforté dans son option démocratique, laïque et pacifique. (….) Cet acquis et cette volonté sont avec l’intégrité territoriale le patrimoine sacré que nous devons défendre face aux dynamiques identitaires et groupusculaires » .
En Mauritanie, l’arabisation organisée par le Système Bîdhân est un acte politique légitime aux yeux des Bîdhân. Sa contestation a entraîné ce que l’on sait. Au Sénégal, le jacobinisme wolof utilise le plus normalement possible les moyens de l’Etat (administration, Radio Sénégal, Télévision, etc. qui, dans ses principes républicains doivent être au service - à égalité totale - de toutes les ethnies du Sénégal : Balante, Beafada, Baynuk, Basari, Fule, Joola, Kokoli, Koniagi, Manding, Mandjak, Mankagn, Pepel, Seerer, Sooninko, Wolof) pour s’imposer afin de mettre les générations futures devant le fait accompli, comme l’anglais aux Etats-Unis avec la politique du WASP (White Anglo-Saxon Protestant). Au Sénégal, on cherche à normaliser le chauvinisme ethnique wolof. Dans ce pays, l’idéologie dominante ne peut admettre que cela heurte la sensibilité des autres ethnies. Abdoulaye Wade a décidé de légitimer politiquement et administrativement ce chauvinisme.
Le jeudi 12 juin dernier, en direct sur internet , il a profité d’une question sur le sujet pour introduire intelligemment l’officialisation du wolof comme langue d’administration au Sénégal. La question fut posée par un internaute qui s’est présenté sous le nom anonyme de Samba : « Que comptez-vous faire pour valoriser nos langues nationales ? J’ai 24 ans et j’aimerais que mes enfants fassent ce chat avec leur président en langue wolof. Quel sera votre apport ? » Question très légitime pour tout Africain qui cherche à promouvoir nos langues nationales encore aujourd’hui combattues ouvertement par des institutions néocoloniales comme la Francophonie qui œuvre pour la perpétuation de la domination de la langue et de la culture française dans les anciennes colonies de la France. Il est légitime aussi qu’un quelconque fonctionnaire sénégalais souhaite que « (…) ses enfants fassent ce chat avec leur président en langue (…) » joola, seerer, manding, pulaar, basari, sooninke, etc.
Voilà donc que Abdoulaye Wade est pris en flagrant délit de chauvinisme, de jacobinisme, de pyromane ethnique. Il confirme enfin ce qu’il avait toujours nié : « J’aime bien cette question ! (Il aime cette question parce qu’elle lui donne cette opportunité) Tenez, les 3000 enseignants dont on parlait tout à l’heure, je les ai affectés aux langues nationales. Je vais créer une Académie dans les langues nationales. Une Académie qui va voir le jour très rapidement. Son rôle sera semblable à celui joué par l’Académie française , de réflexions sur la langue, sur son respect et son évolution. Ce matin, en conseil des ministres, nous avons donné des instructions pour que tous les hauts fonctionnaires, militaires, professeurs, soient alphabétisés en wolof . Je peux vous dire que ce pari que j’ai lancé de développer les langues nationales sera tenu. Nous ferons de grands pas dans cette direction. Un jour, nous « chatterons » en wolof ». Il démontre ainsi qu’il n’est pas le président de tous les Sénégalais, mais exclusivement des Wolof et de ceux qui ont subi la loi de la wolofisation. Les jeunes de Duumnga Wuro Alfa, de Gudiri, de Kundara ou de Adeane sont donc condamnés à ne pas chatter avec Wade s’ils ne comprennent pas sa langue.
L’exclusion de citoyens sénégalais non wolof et des non wolofisés à la citoyenneté politique et administrative par le moyen de la langue organisée par une Administration wolof informelle parallèle (AWIP) à l’Etat sénégalais est une réalité au quotidien. Il suffit de regarder la télévision ou d’écouter les radios d’Etat ! Nul ne peut le contester.
Evidemment, la mise au point du Général Gaye ne s’adresse pas «(…) aux dynamiques identitaires et groupusculaires (…) » wolof dont lui-même fait partie. Sa mise en garde s’adresse alors à tous ceux qui contestent le chauvinisme et les prétentions hégémoniques wolof. La dynamique identitaire, ce n’est donc pas celle exprimée par le wolof Abdoulaye Wade, mais celle exprimée par ceux qui comme Ndikiri Jom moolo clament tout haut :
Holko ko mbadmi ?
Mbadmi ko wiide mbiimi
Ii, ndaw ko foti
Alla rokkami demngal
O rokkami kadi demngal
Neddo daroo noon wiya ina wattami baagal !

Comme Abdoulaye Wade est une personne sans vergogne, voilà que face à des réactions très négatives, il nie le plus naturellement avoir annoncé son propos : (« Ce matin, en conseil des ministres, nous avons donné des instructions pour que tous les hauts fonctionnaires, militaires, professeurs, soient alphabétisés en wolof »). Il prétend avoir fait un lapsus linguae, mais nul n’est dupe. Il s’agissait de lancer un ballon de sonde vers les autres ethnies afin de voir, après tant d’années de grignotage culturel acquis avec l’aide de toute cette logistique administrative, politique, et avec la stratégie de harcèlement psychologique, où en est t - on sur le degré de tolérance de la wolofisation. L’idéologie cheikh antaienne a toujours fait croire que les Fulbe sont les empêcheurs de tourner en rond. Ils constitueraient l’obstacle majeur à la wolofisation comme en Mauritanie pour l’arabisation. Dans ce dernier pays, l’intoxication a conduit dans la situation actuelle : déportations, massacres et toutes les formes d’exclusions qui sont en train de mettre en place progressivement les conditions objectives de l’explosion d’une guerre civile.
Faut-il encore plus d’arguments pour convaincre enfin les éternels optimistes qu’on est en train de mettre en place toutes les conditions objectives d’une alliance militaire donc de guerre contre les empêcheurs de tourner en rond.
A propos de cette wolofisation, «c’est normal. Il faut bien qu’il y ait une langue qui domine au Sénégal » nous disent des interlocuteurs wolof. Une argumentation qui justifie donc l’arabisation et la domination des Bîdhân en Mauritanie. La répression organisée par le Système Bîdhân est aussi chose normale, si on suit toujours leur logique. Ces réactions aideront,, je l’espère enfin, certains naïfs, à mieux comprendre la politique de Abdou Diouf appliquée à partir de 1995 et poursuivie aujourd’hui par Abdoulaye Wade. Le discours prononcé par ce dernier à Atar en Mauritanie le 16 mai dernier est clair.
On pratique aussi au Sénégal une politique très connue en Mauritanie : le terrorisme intellectuel et psychologique. Toute personne qui refuse de se soumettre à l’idéologie de l’ethnie à vocation dominante est accusée de raciste. Toute personne qui répond dans sa langue maternelle plutôt que par celle de Kocc Barma est accusée automatiquement d’anti-wolof, de raciste, de non sénégalaise. Car on trouve inadmissible qu’un Sénégalais ne comprenne pas le wolof. On trouve normal que les Wolof ne parlent aucune autre langue du pays. Tous les Wolof se sont entendus sur une chose : Imposer au pays leur langue : «Vous êtes Sénégalaise, vous êtes Sénégalais, donc parlez wolof ». Des agressions psychologiques quotidiennes de plus en plus insupportables visant à culpabiliser toute personne qui ne parle pas leur langue. Abdoulaye Wade pratique régulièrement de l’agression linguistique durant ses tournées à l’étranger devant des assemblées composées à écrasante majorité de non wolof. Toute personne qui relève cette anomalie est taxée tout de suite de raciste. De telles pratiques ne sont pas l’apanage de Abdoulaye Wade. D’autres leaders politiques wolof pratiquent cette politique provocatrice. Il suffit que les assemblées des immigrés copient sur leurs comportements provocateurs pour que tout dégénère. Souvent, plusieurs d’entre nous sortent en signe de désapprobation. Désormais, partout où ces provocateurs nous trouveront, ne commettons plus l’erreur politique de leur laisser monopoliser l’espace de rencontre et la parole. Les idéologues du Système Bidan n’ont pas l’apanage de l’intolérance, du chauvinisme ethnico-culturel : « Vous êtes Mauritanienne, vous êtes Mauritanien, donc vous parlez arabe ». La même idéologie exclusiviste est pratiquée de part et d’autre du fleuve. Celle pratiquée au Sénégal est seulement en retard d’une génération.
Si les expériences malheureuses que nos compatriotes africains vivent aujourd’hui en Casamance, en Mauritanie, en Sierra Leone, au Liberia, au Nigéria, aux deux Congo, au Rwanda, au Burundi, au Tchad, en Somalie, au Soudan, et plus récemment en Côte d’Ivoire ne suffisent pas pour mettre en garde Abdoulaye Wade et ses idéologues qui œuvrent pour imposer un Etat ethnique au Sénégal, alors, il faut mobiliser dès à présent les Africains (et ils sont nombreux) qui luttent en faveur de la restauration de la paix sur notre continent pour dénoncer ces pyromanes ethniques.
Certains esprits qui n’ont encore rien compris réagiront en disant que je n’ai pas à me mêler «des problèmes internes à leur pays », le Sénégal, que la question que je soulève, même si elle existe, concerne exclusivement les «Citoyennes et Citoyens du Sénégal». C’est quoi être Sénégalais ? Je suis du Fuuta Tooro. Je suis donc chez moi. La Mauritanie et le Sénégal, à travers l’administration coloniale française par l’arrêté du 4 avril 1904 du gouverneur général de l’A.OF et par le décret du 25 février 1905 du Président de la République française ont annexé chacun une partie de mon pays. Et on veut que je ne sois pas chez moi en Mauritanie ? Et on veut que je ne sois pas chez moi au Sénégal ?

A toutes ces personnes, je répondrai en reprenant ce passage d’une modeste contribution

« La seconde chose sur laquelle nous voudrions attirer votre attention est l’appartenance des populations riveraines du fleuve Sénégal aux mêmes nationalités respectives des Fulbe ou Haal pulaar’en, des Wolof et des Sooninko. Certains le savent aussi bien que moi puisqu’ils ont séjourné dans cette vallée du Sénégal comme administrateurs de la colonie de Mauritanie. Je ne conteste pas l’entité géographique de ce pays qu’il faut préserver par souci de paix dans notre sous-région, comme du reste dans les autres parties de l’Afrique. Je suis d’accord pour l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Mais cela ne veut pas dire que je dois faire table rase de mon histoire, de ma culture par lesquelles je m’identifie en tant qu’être humain. J’ai hérité cette culture et cette histoire de par mes ancêtres dans un espace géographique qui s’appelle Fuuta Tooro, et qui est écartelé actuellement en deux parties administratives. La partie sud est au Sénégal, la partie Nord en Mauritanie par la volonté d’une puissance coloniale, qui, pour organiser les territoires qu’elle a conquis a séparé mon pays, celui de mes ancêtres. Les informations les plus anciennes que nous possédons actuellement le font remonter au Vème siècle de l’ère chrétienne. Au XIème siècle, dans le cadre du mouvement réformiste islamique, certains de ses dirigeants participèrent à l’épopée des Almurabitun avec les Sooninko de Ganna. Comment une colonie créée il n’y a pas encore un siècle et devenue pays indépendant il y a 35 ans peut-il mettre entre parenthèse pour l’effacer de la mémoire collective un pays millénaire dont les institutions furent détruites par la puissance coloniale française seulement en 1890 ? . Certes ses institutions politiques ont été détruites, mais la conscience collective identitaire continue de survivre au sein de la population, malgré l’écartèlement de ses territoires entre la Mauritanie et le Sénégal.
La destruction de ce pays dont l’existence gênait les Européens fut programmée depuis l’occupation anglaise. Les Français héritèrent de cette idée après la réoccupation de Saint-Louis grâce au traité de Paris de 1815. Nous donnons ici quelques passages de correspondances. Le Gouverneur de la colonie du Sénégal Bouët-Willaumez exprimait déjà ces ressentiments dans une lettre adressée en 1844 au Ministre des Colonies. Il jugeait qu’il fallait "(...) travailler au démembrement du Fouta qui devient inquiétant par son esprit de domination, par le fanatisme de sa population et par l’étendue de son territoire ; ne lui laisser commettre aucun acte de violence sans le châtier vigoureusement (...)" et chez ces (...) zélés musulmans du fleuve, le double titre du fanatisme et de l’indépendance nationale est d’autant plus prompt à vibrer qu’ils sont les seuls du fleuve à être dotés d’institutions libres" . Tous les gouverneurs qui se sont succédé à Saint-Louis après Bouët-Willaumez entre 1844 et 1891 vont avoir le même jugement très négatif sur le Fuuta Tooro. Nous citons les gouverneurs assez représentatifs. Faidherbe parlera "(…) de faire le plus de mal possible au Fouta (…)", qu'il faut "(…) traiter, impitoyablement (…)". Son successeur, Jauréguiberry avait pris, quant à lui, la décision définitive "(...) d'établir sur des bases solides" la suprématie et l'influence française dans le Fuuta Central. A cette fin, il jugea qu'il ne fallait pas se contenter "(...) de traverser le pays en vainqueur.". "(...) Après la défaite des forces ennemies, il faut y laisser les traces les plus funestes de notre passage", écrira-t-il, en transformant le pays en "(...) un désert momentané" . Enfin le gouverneur Brière de L'Isle, en 1876, pendant l’ultime phase de la campagne de démembrement du pays avait écrit qu'il fallait absolument empêcher la reconstitution de "(...) cette redoutable fédération qui (...), fanatisée par les prêcheurs de guerre sainte et les faux prophètes dont elle est le berceau habituel, avait paru à juste titre devoir être détruite comme étant un danger permanent et sérieux pour notre domination dans le fleuve". Les arguments pour justifier leur conquête étaient : "(...).influence politique néfaste sur les autres pays (...)", "(...) fanatisme religieux (...)", "(...) esprit d'indépendance (...)", "(...).intérêts commerciaux des Français menacés (...)", "(...) mission civilisatrice de la France (...)", etc.
Un Fuutanke (habitant du Fuuta Tooro, qui peut-être donc Sénégalais ou Mauritanien), quel que soit son niveau d’instruction vit intimement avec cette conscience identitaire très forte. Nous nous définissons d'abord chacun par rapport à nos espaces historiques et culturels identitaires, nos espaces économiques puis ensuite seulement aux pays où nous avons été "administrativement" intégrés (Sénégal, Mauritanie, Mali, etc.), pays qui, il faut le rappeler, ne sont pas des œuvres de constructions internes des nationalités qui les composent actuellement. Ces pays résultent de constructions exogènes. C'est la France qui a fait de nous des "Mauritaniens", des "Sénégalais", des "Nigériens", des "Centrafricains", etc.
Pour illustrer cette réalité, nous donnons l'exemple de cet animateur des émissions en pulaar de Radio Mauritanie dans les années 60-70, Al Hajji Ngayde.
En 1979, le Président de la République du Sénégal, M. Léopold Sédar Senghor, s'apprêtait à effectuer une visite officielle dans la région du Fleuve dont Saint-Louis est la capitale administrative. Le Fuuta Tooro (rive gauche) compose la majeure partie des territoires de cette région administrative. A cette occasion, l'animateur en question lança un appel à tous "les enfants du Fuuta" pour leur demander d'accueillir chaleureusement leur illustre hôte. Il termina son appel en ces termes que nous citons in extenso : "Oh Enfants du Fuuta Tooro, encore une fois nous allons prouver à l'opinion qui nous écoute, qui nous regarde que les enfants de notre Fuuta savent bien accueillir leurs illustres hôtes. J’invite chaque village de la rive droite [mauritanien] à aider son vis-à-vis de la rive gauche [sénégalaise] à organiser son accueil". Précisons que cet animateur ne s'exprimait plus en tant que "mauritanien", mais en tant que Fuutanke utilisant un instrument d’information de l’Etat mauritanien pour véhiculer un message réveillant leur conscience collective identitaire qui allait mettre entre parenthèse pendant quelques heures les intégrités administratives de la Mauritanie et du Sénégal.
L’inverse est également valable. Lorsque les présidents de la Mauritanie visitent la région du fleuve, ce sont tous les villages de la rive gauche qui viennent renforcer en nombre leurs familles de la rive mauritanienne, afin de rendre la foule plus dense pendant l’accueil. Car dans ces circonstances, c’est l'honneur de la province et du pays (Fuuta Tooro), et sa réputation de terre d’hospitalité (teddungal) qui doit être défendue. Paradoxalement, on l'a vu récemment à l'occasion de la visite de Wul Taya dans les provinces des Halaye, du Laaw et du Yiirlaae (région administrative du Brakna).
Autre exemple qui illustre la complexité de la relation entre nos identités spatiales historiques et culturelles et l'entité étatique artificielle (Mali, Mauritanie et Sénégal pour les cas qui concernent notre propos) imposée par l'ancienne puissance coloniale. En 1989, en pleine crise entre les deux Etats du Sénégal et la Mauritanie, et à l'occasion d'une de ses tournées dans la vallée du Sénégal, le ministre mauritanien de l'Intérieur, le Colonel Gabriel Cimper alias Djibril Wul Abdallah tint une réunion avec le Conseil des Anciens des Halaye de la rive droite à Bogge. Ce ministre, avec son arrogance et son racisme primaire qui ont toujours caractérisé ses rapports avec les Noirs, s'adressa avec son insolence habituelle à cette assemblée de vieillards pour leur reprocher d'entretenir des "liens coupables" avec leurs familles de la rive sénégalaise (rive gauche) contre les intérêts de la Mauritanie. Feu Hammaat NGayde, (qui fut préfet puis gouverneur de région administrative), au nom de ses pairs lui répondit : "(....) Monsieur le Ministre, les habitants de la rive sénégalaise et nous appartenons aux mêmes familles. Le fleuve Sénégal fait partie intégrante de notre pays, le Fuuta. La relation qui existe entre ce pays et ce fleuve est comparable à celle qui existe entre le cavalier et son cheval qu'il monte éternellement. Le Fuuta représente le cavalier, le fleuve Sénégal, son cheval. Le flanc gauche du cheval et la jambe gauche du cavalier sont la rive sénégalaise. Le flanc droit du cheval et la jambe droite du cavalier sont la rive mauritanienne. Vous ne réussirez jamais à détruire cette réalité".
Sur la rive mauritanienne du Fuuta Tooro, quand quelqu'un quitte son village pour aller à Nouakchott, Atar, Kiffa ou Aïoun el-Atrouss, il dit le plus naturellement du monde "qu’il va en Mauritanie". Sur l’autre rive, un Fuutanke qui quitte Maatam ou Podoor pour aller à Dakar ou Luga, dira aussi le plus naturellement du monde "qu’il va au Sénégal". "(...) Prendre son petit déjeuner au Fuuta et aller déjeuner au Sénégal le même jour, c’est bien grâce à Senghor que nous pouvons le faire aujourd'hui (...)" dit une célèbre chanson en pulaar que l’on entend sur les ondes de Radio Sénégal.
Toutes ces illustrations visent à démontrer les difficultés que nous rencontrons psychologiquement par rapport à ces constructions artificielles (Mauritanie, Sénégal, Guinée, etc.) qu’on cherche à nous faire assimiler dans notre subconscient collectif, de nos réalités socio-culturelles, historiques qui sont nos repères sur lesquels nous fonctionnons. Vouloir les détruire ou les nier, c’est chercher à détruire notre "moi". C’est alors que ce "moi" que l'on cherche à mettre entre parenthèse pour permettre à l'autre (perçu désormais comme adverse) de mieux s'épanouir se métamorphose en un nationalisme militant, un instrument de lutte contre les forces politiques et culturelles qui cherchent à détruire son identité. En Afrique, les nations qui auraient pu être dans un futur certes lointain des synthèses culturelles harmonieuses de l’ensemble des individualités ethniques qui composent chacun des pays actuels, tendent, en réalité, vers la formation d’Etats-ethniques résultant de la volonté d’un chauvinisme (dans le sens français du terme) ethnique de contrôler chacun des pays par le moyen des trois pouvoirs essentiels : le politico-militaro-administratif, l'économique et le culturel. C'est le jacobinisme qui va détruire inévitablement les pays qui n'auront pas la volonté politique de se construire avec les matériaux apportés volontairement par chacune de ses composantes ethniques »

Senegaal koko renndaa.
Sikke alaa.
Moritani koko renndaa.
Sikke alaa
Ko renndaa aynete, reenete.
Sikke alaa
So aynaaka, so reenaaka firtoto. Sikke alaa

Ibrahima Abou SALL