Le radio-réveil s’est déclenché, il est donc 5h15 du matin, j’émerge du coma onirique où je suis plongé chaque nuit, l’œil encore chassieux je titube jusqu’à la cuisine pour préparer mon petit-déjeuner. La cafetière commence à crachoter, je sors le beurre, le miel et la boîte de biscottes. Ah ! C’est vrai, la boîte est vide. Du placard j’extirpe un paquet neuf. J’ouvre le carton délicatement afin de pouvoir le refermer correctement grâce à la languette prévue à cet effet et j’y prends un sachet de biscottes. Les biscottes sont enveloppées dans un papier cristal qui doit les maintenir serrées afin de renforcer leur emballage. Après de nombreuses années de pratique j’ai enfin compris comment ouvrir ce paquet proprement avec mes mains, c'est-à-dire, sans écraser les biscottes et sans éparpiller partout dans la cuisine les miettes poudreuses. Je tire des deux mains l’extrémité de l’étui, d’un geste sec mais pas brusque, le papier s’ouvre et catastrophe ! Les biscottes se répandent sur le plan de travail de ma cuisine, explosées en mille morceaux ! J’ai acheté un paquet de biscottes cassées ! Je me vois mal retourner chez Champion avec mes miettes dans un sac plastique pour me plaindre de la mauvaise qualité de leurs produits, ils vont me dire que c’est moi qui les ai cassées. Je ne peux pas non plus ouvrir les paquets sur place avant chaque achat, la situation est inextricable et c’est encore moi client, le cocu dans cette affaire. Il ne me reste plus qu’à consommer ces brisures, mais pour les beurrer et y répandre une délicieuse couche de miel comme j’aime à le faire, inutile d’y songer car on n’a jamais vu tartiner des miettes. Je suis donc condamner à brouter ces grosses miettes, natures, pendant plusieurs jours, pfffff ! A moins que je ne les plonge dans mon bol de café, façon soupe à l’oignon, qu’elles y marinent et que je les en ressorte avec ma cuillère ? Rien que de l’écrire voilà une recette qui m’écoeure un peu. Quand je songe à toutes ces causes nationales, ces mouvements de défense de ceci ou de cela, de protestation contre telle ou telle injustice, ces défilés de banderoles dans les rues, ces cris de manifestants le poing tendu. Et moi, et nous, réduits à l’impuissance devant nos petits-déjeuners réduits à néant par l’effondrement des piles de biscottes en débris justes bons pour les piafs du jardin, qui écrira notre malheur secret confiné au périmètre de nos cuisines ? Qui prendra notre défense devant les micros tendus par des télés et radios avides de sensationnel ? Personne bien sûr, tout le monde se fiche des biscottes, il n’y en a que pour les tartines de pain ! Toujours les mêmes, quoi ! Heudebert salaud le peuple aura ta peau ! Ah ! Ils n’ont pas intérêt à m’emmerder au bureau cette semaine parce que démarrer la journée dans ces conditions ce n’est vraiment pas humain.