Je n’aurai pas longtemps à attendre pour avoir la réponse à ma question. En première de la Nation une photo prise dans le parc los Andes, 100 corps pendus aux arbres de ce charmant petit parc coincé entre le cimetière de Chacaritas et l’Avenue Corientes. Parc plus connu pour son marché aux puces dominical, ses autels à la Difunda Correa et au Gauchito Gil qu’à l’horreur qui barrait la une du journal. La lecture de l’article nous a cependant sauvé la vie. Il expliquait dans le détail les techniques utilisées pour traquer les fileurs ayant réussit à se cacher pendant la traque. Technique simple et terrible : les trouver en les recherchant au travers de leurs propres rêves, une des rares choses qu’il nous est bien sur impossible de contrôler.
Une autre question qui me tracassait à elle aussi trouvée réponse dans cet article : Comment le gouvernement national pouvait laissé le maire massacré en toute tranquillité des centaines de personnes innocentes ? La vérité la réponse était d’une simplicité désespérante. Le maire était maintenant le vrai chef de la nation. La photo montrant le président marchant au milieu des pendus en disait plus que tous les discours. Son regard exprimait la terreur et non la sécurité qu’il affichait toujours. Même ses mots de félicitation à l’action dynamique du maire sentaient la peur. Quels secrets Moro avait-il voler dans les rêves du président, difficile à dire, la corruption ayant toujours été un mode de gouvernement. Par contre cette image annonçait une extension des massacres à l’ensemble du pays. Qu’en était-il ailleurs dans le monde, la nouvelle de notre existence ayant probablement été répandu partout sur la planète. La peur de ne jamais revoir tant de personnes que j’aimais et admirais a fait quelques instants disparaître celle que je ressentais pour ma propre survie.
En descendant du bus à deux rues de la maison, j’ai vu pour la première fois deux fileurs formé par le maire. Ce n’était plus des hommes discrets se fondant dans la population. Ils portaient un uniforme noir avec une casquette portant une araignée en son centre. Des fils d’argent courant sur l’ensemble de leur uniforme probablement pour symboliser les rêves. Ils étaient assis, l’un filant, l’autre lisant les rêves. Une nouvelle forme de triangulation était né. Leur présence m’a fait comprendre l’imminence du danger pour tout notre groupe.
A mon retour mon lots de mauvaises nouvelles a désespéré tout le monde. D’autant plus qu’ils m’annoncent que la radio et la télévision ne diffusent plus que de la musique militaire depuis plusieurs heures. Nous décidons pour nous protéger d’organiser des tours de gardes jour et nuit pour filer tous nos rêves et ainsi nous protéger des pisteurs du maire. Fabricio a levé alors levé une objection à cette idée :
- L’idée me semble bonne, mais aussi dangereuse. Ne serait-il pas suspect dans une maison où vivent officiellement 4 personnes qu’aucun rêve n’en sorte ?
- Crois-tu qu’ils soient suffisamment subtils pour s’en rendre compte ? à demandé Luis
- tu connais Moro ! Lui a répondu froidement Fabricio.
Le silence qui a suivit comportait autant d’angoisse que d’approbation à la remarque de Fabricio. Rompant ce silence pesant, Roberta nous a proposé de filer tous les rêves, de les lire et de “de-filer’ ceux qui étaient sans danger. Même si elle était complexe à mettre en place (un fils de rêve est une chose tellement fragile), nous avons adopté son idée. Nous étions 6 fileurs dans la maison, tous rompus depuis de nombreuses années à ce travail, nous avions toutes les chances de réussir à tromper les jeunes fileurs, même agressifs, formés par le maire (le futur nous le confirmera). Afin de couvrir toute la journée, nous nous sommes organisés en binôme. Catalina et moi pour les 8 heures de la nuits (étant les seuls à pouvoir sortir) Fabricio et Luis de 8h à 16h et pour finir Roberta et Pilar de 16h à minuit. Chaque binôme s’organisant pour filer, lire nos rêves et renvoyer ceux sans danger.
Se plonger dans les rêves de ses proches et amis est toujours une chose délicate, difficile d’entrée autant dans l’intimité d’une personne. Quelques jours plus tard aux sourires des uns au clins d’œil des autres nous savions en nous réveillant qu’un petit secret était sorti d’un de nos rêves. Luis nous transportait toujours dans ces voyages, sur les hauts plateaux andins, Roberta nous entraînais souvent dans le métro de la ville, mettant en scène les nombreux marginaux qui l’habitent.
Quelques jours plus-tard, la radio à recommencer à diffuser de l’information. Uniquement des flash pour annoncer l’arrestation ou l’exécution de tel ou tel fileur. La répression avait maintenant touché tout le pays. Les appels à dénoncer les rares fileurs encore vivant se multipliaient. A la télévision les portraits de nos 4 amis apparaissaient toutes les heures ainsi que ceux d’une dizaine d’autres personnes. Nous n’étions pas (encore?) les derniers. Il nous fallait les retrouver.
(à suivre)
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