
Voici
plus de 40 ans que Germain Clavien, écrivain valaisan,
poursuit la rédaction d'une suite nommée Lettre à
l'Imaginaire, qui compte déjà 19 volumes, à
quoi il faut rajouter des monographies, des poèmes, du
théâtre, des contes... 33 livres parus à ce jour,
ce qui fait une oeuvre considérable.
Germain Clavien, je l'ai rencontré
pour la première fois il y a 5 ans au salon du livre de
Genève. Là, dans cette grande bastringue, j'ai été
en le voyant, il faut l'avouer, ébloui par une remontée
de mémoire, venue de ce moment où, dans les années
70, il incarnait pour moi le romancier valaisan.
J'avais 15 ans lorsque j'avais lu Les
moineaux de l'Arvèche,
juste sorti de presse, avant de découvrir les premiers
tomes de sa Lettre, qui utilisaient le matériel
autobiographique et les souvenirs d'enfance, les transposaient en
romans. De très bons souvenirs.
Il m'a convaincu, donc, il y a cinq
ans, de m'inscrire à l'Association valaisanne des écrivains,
dont il a été le président depuis 1988, et nous
nous voyons depuis avec plaisir. Enfin, je ne veux pas parler en son
nom, mais j'éprouve, moi, en tout cas, beaucoup de sympathie
pour lui et un grand profit à lui parler.
Son dernier livre, En 2003 Rouvre,
est dans la suite du mouvement qui a vu Germain Clavien passer
progressivement du roman au journal littéraire. Il y évoque
l'année 2003 sous plusieurs aspects.
Le
quotidien de l'auteur, d'abord, ses satisfactions et ses doutes, sa
difficulté à vivre isolé dans un pays qu'il aime
mais qui ne reconnaît pas ses écrivains comme ils
aimeraient l'être.
Les
événements internationaux ensuite. On y assiste à
la préparation de la guerre en Irak, à la conquête
du pays et on y apprend les débats que ces faits suscitent
entre le narrateur et son ami Marc, dans les fréquentes
promenades qu'ils font le long du Glour.
Ces
discussions sont emblématiques. Il y a beaucoup de
conversations, chez Clavien, et elles sont souvent des confrontations
d'idées, de points de vue, d'opinions, entre le narrateur et
ceux qu'il rencontre. C'est que le style de Germain Clavien,
personnel, se construit à partir du dialogue, entre la
souplesse de la discussion, le goût pour le raisonnement et la
dialectique, et une forte affirmation finale de soi.
Mais
on trouve aussi, dans En 2003 Rouvre,
une galerie de gens qu'il fréquente, portraiturés sous
des noms de fantaisie parfois imagés, parfois caricaturaux,
que les initiés peuvent reconnaître - et dont les
béotiens comme moi s'agacent parfois de ne pas trouver toutes
les clés.
Gens
qui ne sont d'ailleurs pas toujours très contents de se
retrouver dans la Lettre à l'imaginaire
La
réception de ce journal littéraire, telle qu'elle est
décrite par Clavien, me rappelle un peu celle du journal des
Goncourt, telle que l'exposait Edmond, le survivant des frères.
Même suspicion des proches qui se plaignent d'être
injustement dépeints et se mettent à être
dissimulés, quand ils ne rompent pas. Même silence de
leur part sur les livres parus.
Il
y a d'ailleurs d'autres comparaison possibles entre Germain Clavien
et Edmond de Goncourt. Tous deux ont glissé progressivement
du roman au journal. Ils ont une position comparable par rapport au
réel, source globale de littérature, et par rapport à
l'oeuvre, dont on attend tout et dont l'accueil qu'elle obtient
déçoit son auteur.
On
ne peut non plus séparer, chez eux, les hommes et leurs
livres. Par exemple, si on apprécie Clavien et sa personnalité
combative, on goûtera sa littérature qui en est
l'expression la plus claire.
C'est
ce qui explique aussi que cet écrivain ait ses détracteurs,
ou même ses ennemis. Des gens qui n'ont pas envie d'entrer dans
son jeu, d'accepter cette oeuvre centrée sur lui-même,
ce jeu avec le réel, ou que son tempérament irrite.
Lire
En 2003 Rouvre, en tout cas, c'est comme faire une suite de
promenades avec l'auteur, dans lequel il nous dévoilerait ses
émotions poétiques, nous expliquerait sa vie
personnelle et littéraire, nous parlerait familièrement,
sans ménagements, sur ce ton qu'il a cultivé et qui lui
est propre, avec cette position affirmée devant les choses qui
est la sienne.
Germain Clavien, En 2003 Rouvre, L'Age d'Homme